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Arts-chipels.fr

La Langue des cygnes. La métamorphose du vilain petit canard.

© Yves Petit

© Yves Petit

Évoquer la différence et la découverte de soi à partir du caneton d’Andersen en créant une forme de récit où le langage emprunte à l’homophonie entre cygne et signe était une entreprise potentiellement risquée. Danse, marionnettes, musique  et vidéo se conjuguent ici pour créer un objet attachant et sensible.

Le vilain petit canard. Tout le monde ou presque connaît l’aventure de ce drôle de volatile couvé par une mère poule qui découvre un petit tout gris qu’elle rejette. On se souvient de la fin, sans nécessairement en avoir retenu les péripéties. L’exclu trouve sur son chemin des jars sauvages qui l’acceptent, mais les chasseurs arrivent et le « caneton » se retrouve seul. Il est recueilli par une vieille femme qui le confond avec une cane puis par un paysan avant de devoir fuir à nouveau dans l’hiver et le froid. Un jour, cependant, sa route croise des cygnes. Ébloui, il décide de les suivre sans savoir qu’il appartient à la même espèce qu’eux jusqu’au jour où, se mirant dans l’eau, il découvre qu’il est lui aussi un cygne admirable et majestueux. Récit initiatique d’apprentissage et de formation de l’enfant qui grandit, le conte offre, à travers le personnage du caneton-cygne une métaphore d’Andersen lui-même, venu d’un milieu extrêmement pauvre, qui se pose en artiste incompris tel l'Albatros de Baudelaire avant d'accéder à la reconnaissance et à l'acceptation de soi. C’est dans la tension entre le passage vers l’âge adulte et le sentiment valorisé de la différence que se construit le conte d’Andersen.

© Yves Petit

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Du cygne au signe

La force du spectacle vient de la quasi suppression de la parole « parlée » et de son remplacement par le « montrer ». Une forme visuelle qui emprunte aux arts du spectacle que sont la danse, la marionnette et le théâtre mais aussi à la langue des signes, qui devient ici éloquente. Une histoire se raconte à travers cette mère poule démesurément agrandie coupée à la taille qui occupe l’écran en fond de scène pour dévoiler un œuf de grande taille dans lequel se niche le petit à venir. L’apprentissage de l’enfant passe par un décalque des attitudes et expressions de la mère que l’enfant copie avant d’être chassé. La danse, que le danseur et chorégraphe gabonais Andy Scott Ngoua positionne entre mime et chorégraphie, en puisant dans le hip hop comme dans les traditions du continent africain, rend la gestuelle lisible. Un simple tremblement des mains nous plonge au cœur de l’hiver tandis que sa découverte du monde s’effectue sur le plateau nu par la seule force de ses déplacements.

© Yves Petit

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Des marionnettes corps

Seule la mère, matérialisée sur l’écran, et l’enfant-danseur sont des figures humaines de chair et d’os. Comme pour recentrer l’histoire autour de l’aventure du caneton-cygne, les autres personnages, qui ne sont pas moins doués de vie, sont incarnés par des marionnettes de corps. Figures de vieilles ou d’animaux rencontrés par le futur cygne, elles émergent de l’écran tombé au sol et devenu voile. Situées aux extrémités du corps de la marionnettiste que sont les pieds et les mains, elles sont animées par les contorsions du corps qui s’enroule autour de l’enfant ou se déplace pour le mettre à l’écart. Quant aux jars et aux cygnes, ils étendent une immense aile protectrice manipulée à vue au-dessus du danseur.

© Yves Petit

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Le conte de la musique

Multi-instrumentiste en même temps que bruiteur, Adri Sergent joue de la voix comme du son avec infiniment de délicatesse. Passant de la guitare électrique et des sons fabriqués électroniquement à ce qui pourrait être un tro khmer, ce curieux instrument traditionnellement fabriqué avec une coque de noix de coco sur laquelle on tend une peau de serpent, ou un rebab indonésien, il tire avec un archet des trois cordes de l’instrument des sons étranges qui nous transportent vers un ailleurs. Les sons inarticulés émis par sa voix ponctuent l’avancée de l’histoire sans l’illustrer. Ils forment un contrepoint musical dans un monde où le langage articulé a été relégué au second plan. Et lorsqu’il prend la forme de paroles, c’est à travers une évolution du parler du conte vers le slam et le rap.

Éloge de la différence

Réalisé à partir de la réécriture en langue des signes du texte et avec la participation d’une comédienne sourde qui utilise cette langue, ce spectacle attachant, qui navigue à la frange de l’onirisme et mêle des éléments de tous les temps et de tous les lieux, est un vibrant plaidoyer pour la reconnaissance des différences en même temps qu’une affirmation et une reconquête de la différence assumée. Vilains petits canards marionnettiste, danseur, musicien, rappeur, cinéaste, ou enfants n’utilisant pas la parole pour s’exprimer, tous ont leur place dans ce monde pour et avec ce qu’ils sont. Il suffit pour cela de se trouver soi-même et d’accepter les autres…

La Langue des cygnes. La métamorphose du vilain petit canard.

La Langue des cygnes inspiré du Vilain petit canard de Hans Christian Andersen

S Mise en scène, marionnettes et direction de la manipulation Laurie Cannac S Interprétation et chorégraphie Andy Scott Ngoua S Jeu en langue des signes projeté Karine Feuillebois S Co-écriture du texte en langue des signes française Igor Casas S Vidéo et mapping Fabien Guillermont S Musique originale Adri Sergent, Kôba Building S Ingénieur du son François Olivier S Création lumière Sébastien Choriol S Production Compagnie Graine de Vie S Coproduction Les Scènes du Jura – Scène nationale • Communauté d’agglomération Pays Basque – Kultur Bidean Art, Enfance, Jeunesse • La Minoterie – Scène conventionnée Art, Enfance, Jeunesse à Dijon • Collectif Instant’T – NouvelleAquitaine • L’Agora – Association culturelle de Pau • Le Lieu espace de création et d’accompagnement – Cie Florence Lavaud S Soutiens DRAC Bourgogne-Franche-Comté • Région Bourgogne-Franche-Comté • Conseil Département du Doubs • Ville de Besançon. S Regard extérieur IVT – International Visual Theatre S Résidences Le Mouffetard – CNMa à Paris • Le Strapontin – Scène des arts de la parole de Pont Scorff • Le Théâtre des 4 saisons à Gradignan • L’ECLA à Saint Vallier et L’Artdam à Longvic S À partir de 9 ans S Durée 1h

Du 9 au 22 mars 2023. Du mardi au vendredi à 20h, samedi à 18h, dimanche à 17h

Le Mouffetard – Centre national de la marionnette, 73 rue Mouffetard, 75005 Paris

T. 01 84 79 44 44 www.lemouffetard.com

TOURNÉE

Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes - septembre 2023 - Charleville-Mézières (08)

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