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Arts-chipels.fr

Liberté Cathédrale, une radicalité brute, dérangeante, sans compromis – intronisation à toute volée de Boris Charmazt à la tête du Tanztheater Wuppertal.

Liberté Cathédrale, une radicalité brute, dérangeante, sans compromis – intronisation à toute volée de Boris Charmazt à la tête du Tanztheater Wuppertal.

Le spectacle commence déjà dès l’entrée dans la salle car la scène du théâtre du châtelet a été transformée en cathédrale. Elle est méconnaissable dans une métamorphose incroyable. Elle a été complètement réarchitecturée en recouvrant les fauteuils d’orchestre, qui inventent un autre espace scénique avec le public tout autour. La métamorphose va jusqu’aux luminaires, sorte de chandelles à l’envers qu’il y a parfois dans certaines églises qui éclairent dans une lumière très chaude la première partie.  Ce dispositif n’est pas sans rappeler celui de sa première pièce « À bras le corps ». L’étonnement continue lorsque les danseurs et danseuses arrivent mais avec Boris Charmatz tout est souvent disruptif et perturbant.

Liberté Cathédrale, une radicalité brute, dérangeante, sans compromis – intronisation à toute volée de Boris Charmazt à la tête du Tanztheater Wuppertal.

Ainsi, les interprètes arrivent en courant et en chantant à l’unisson, a capella et se jettent par terre tout en se relevant pour bouger, courir et retomber mais au final toujours ensemble dans un unisson qui tient du miracle tant les mouvements semblent désordonnés et spontanés. C’est toute la magie des chorégraphies de Boris Charmazt qui oscillent toujours entre performance, improvisation et unisson. Il fait sortir du chaos une infime cohérence qui au bout du compte éclaire son propos. D’ailleurs il décrit lui-même cette première partie (interview sur France inter émission Grand canal) ainsi : « Nous ne dansons pas sur cette musique, nous l’incorporons et elle en devient méconnaissable. Le piano nous porte, mais c’est seulement le souvenir de la sonate qui nous fait chanter. C’est d’ailleurs inchantable ! »

 

Puis vient cette partie que finalement tout le monde attend ! Cette chorégraphie au son des cloches. 33 minutes de volée de cloches de toute l’Europe qui va du carillon mignon aux belles sonorités graves des plus grosses. Les cloches résonnent comme dans une église dans cette scène du Chatelet transfigurée et cette lumière assez crue qui vient de ces sortes de chandelles, le rendu est impressionnant.  Car ces sons nous renvoient à des souvenirs, à des sentiments diffus, confus, à des évènements intimes. Ces sons ne sont pas anodins. Ils font partie de l’histoire de notre civilisation. Ils font partie de notre histoire commune et résonnent en nous étrangement.

 

Liberté Cathédrale, une radicalité brute, dérangeante, sans compromis – intronisation à toute volée de Boris Charmazt à la tête du Tanztheater Wuppertal.

La performance des interprètes est phénoménale car sans cesse, ils et elles reviennent, réinventent, se réinventent dans une partition difficile et très technique. On tombe beaucoup dans cette chorégraphie. On tombe et on se relève pour retomber encore. Pour Boris Charmatz cela fait partie de l’héritage de Pina Bausch et plus généralement du métier de danseur.

 

Et puis, comme Boris Charmazt aime à le faire, vient ensuite une partie où le public est mis à contribution. On l’invite à venir participer à une ronde, on vient lui murmurer des choses à l’oreille bref une interaction active avec les interprètes.

Et comme tout à une fin, la dernière partie est réellement magnifique.  C’est comme une danse immobile, lente,  terriblement sensuelle sur une note d’orgue infinie avec un amoncellement des danseurs à terre. Les danseurs et danseuses bougent avec une lenteur, une économie d’énergie qui contraste tellement avec le reste du spectacle. La scène se vident peu à peu de ses interprètes. On parle d’amour bien que l’on soit dans la violence, dans l’affrontement, c’est sombre mais aussi sensuel.
C’est une danse qui nous faire réagir, qui peut choquer, déranger mais qui nous interpellent et nous questionnent. On n’est pas dans le beau et le « bien danser », on est dans un entre deux non défini d’un spectacle hybride qui nous entraîne et nous fait réagir.

 

Liberté Cathédrale, une radicalité brute, dérangeante, sans compromis – intronisation à toute volée de Boris Charmazt à la tête du Tanztheater Wuppertal.

Il est en cela le digne Héritier de Pina Bausch et Régime Chopinot.
Boris Charmatz est depuis 2022 le directeur du Tanztheater Wuppertal, compagnie de Pina Bausch. Cette pièce est la première qu’il créée après sa nomination et donc bien évidement le monde de la danse attendait cet évènement, car c’est un évènement. Déjà par la monumentalité du spectacle et en cela il a repris la posture de Pina Bausch qui ne reculait devant aucune problématique technique. Et également par le décalage, le coté dérangeant, improbable de la chorégraphie. Il n’est pas dans le « faire comme » il est dans une invention, une radicalité chorégraphique qui n’est pas sans rappeler les premières créations de Pina Bausch. Et puis, il y a aussi l’influence sibylline de Régine Chopinot avec qui il a travaillé dans sa jeunesse qui se retrouve infinitésimalement dans ces expérimentations parfois déroutantes, dans ce mouvement de la « non-danse », dans son interaction systématique avec le public, dans sa posture toujours un peu performative également. Oui c’est en héritier de ces deux incontournables artistes qu’il invente aujourd’hui la danse de demain.

Sans oublier le côté narratif et émotionnel du spectacle
Parce qu’au final il en ressort une thématique, une narration hachée, intuitive, abrupte basée presque uniquement sur le ressenti des spectateurs. On parle à nos émotions. C’est un langage émotionnel qui dérange parce brut, parfois violent et imparfait avec un résultat et à la limite du primitif, souvent austère et désordonné, souvent déconcertant mais terriblement saisissant et impressionnant. La dramaturgie est là, surprenante et percutante. Le propos n’est pas de « conter fleurette » mais de raconter le monde tel qu’il va et il ne va pas vraiment bien.

Sans oublier les silences qui tout le long du spectacle rythment et participent de cette narration improbable. Parce que le silence fait partie de l’univers des églises, parce que la béatitude et l’étonnement mais aussi l’horreur font partie de cet environnement. Boris Charmatz parle beaucoup des agressions sexuelles commises par les prêtres et le silence qu’il y a eu tout autour pendant si longtemps. Ces moments de silence au milieu du tumulte sont une transition, une sorte de respiration mais aussi une dénonciation, ce cri silencieux que les victimes ont longtemps enfoui en eux.

 

Liberté Cathédrale, une radicalité brute, dérangeante, sans compromis – intronisation à toute volée de Boris Charmazt à la tête du Tanztheater Wuppertal.

Boris Charmatz est un ancien élève de l'École de danse de l'Opéra de Paris. Il a collaboré à ses débuts comme interprète avec Régine Chopinot, Odile Duboc, Olivia Grandville, Xavier Marchand et Meg Stuart. Il fut l'un des chefs de file du courant de la non-danse. Ainsi sa première pièce À bras le corps, remporta de nombreux prix internationaux et la reconnaissance du public. Il a dirigé de 2009 à 2018 le Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne, qu'il a rebaptisé Musée de la Danse.

Un spectacle de Boris Charmatz n'est pas un long fleuve tranquille mais se rapprocherait plutôt d’un sport de combat (sic 😊), pour les interprètes mais aussi parfois pour le public.  Il ne laisse en tout cas personne indifférent, on déteste ou on aime. Celui-ci encore plus particulièrement parce qu’il est profondément dérangeant et troublant mais aussi si bouleversant …

Distribution

Chorégraphie Boris Charmatz
Organiste Jean-Baptiste Monnot /
Assistante chorégraphique Magali Caillet Gajan /
Lumière Yves Godin
Costumes Florence Samain /
Travail vocal Dalila Khatir / µ
Matériaux sonores Olivier Renouf, Phill Niblock, Ludwig Van Beethoven

AVEC L’ENSEMBLE DU TANZTHEATER WUPPERTAL & LES INVITÉS *

Régis Badel*, Emma Barrowman, Dean Biosca, Naomi Brito, Emily Castelli*, Ashley Chen*, Maria Giovanna Delle Donne, Taylor Drury, Çağdaş Ermiş, Julien Ferranti*, Julien Gallée-Ferré*, Letizia Galloni, Tatiana Julien*, Milan Nowoitnick Kampfer, Simon Le Borgne, Reginald Lefebvre, Johanna Elisa Lemke*, Alexander López Guerra, Nicholas Losada, Julie Anne Stanzak, Julian Stierle, Michael Strecker, Christopher Tandy, Tsai-Wei Tien, Aida Vainieri, Solène Wachter*, Frank Willens*, Tsai-Chin Yu
 

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