14 Mars 2023
La voiture est devenue dans nos sociétés un objet mythologique. Autour d’elle, sur elle et avec elle, ce spectacle pour le moins étrange et conceptuel, pose la question du rapport de force que nous entretenons avec l’objet et de la place de l’homme vis-à-vis de ces technologies qui ont bouleversé la société.
Des objets sont répartis dans l’espace. Pièces mécaniques, panneaux vitrés de pare-brise, éléments de pare-chocs, phare scintillant masquant un micro, lumières clignotantes, bande adhésive à rayures délimitant un espace, capot de voiture ou bloc de moulage monumental en cire... Peut-être sommes-nous dans l’instant d’après, celui où les pièces assemblées se désassemblent parce qu’un crash a eu lieu, ou peut-être ne sommes-nous encore qu’au moment où les pièces s’assemblent, pour célébrer celle pour laquelle on a saigné la circularité des villes anciennes, percé des artères, sacrifié une histoire au profit de cet objet qui ronronne, ronfle et souffle, crisse, hoquète ou nous grise au fil de ses déplacements. Un objet qui a conditionné nos existences comme s’il possédait une vie propre, indépendante de sa simple valeur d’usage : la voiture.
Objet à chanter, objet à éprouver
Trois comédiens vont se succéder dans l’espace ainsi constitué, expérimentant par la voix, le toucher et le mouvement les fonctions de l’objet et notre rapport avec lui. Il y a, au début du chemin, l’émerveillement et la fascination que la voiture provoque. La sensation de liberté, le sentiment, pour les possesseurs de voiture, d’être élus. Et sa célébration comme un objet de culte, que le spectacle transpose en choisissant de recourir au chant lyrique version opéra. Mais foin de passions humaines, d’amours irrépressibles ou de désespoirs sans fond, le chant dévidera ironiquement, avec la même force de conviction, un catalogue de conseils aux automobilistes et d’analyses de leurs comportements. Il s’attardera sur la vision périphérique, musicalisera la perception du danger, grimpera dans les aigus en abordant l’analyse du risque ou les supputations que conduire occasionne. La hauteur du chant et son intensité évolueront au rythme des sonorités du texte et plus la beauté du chant atteindra les hauteurs de l’âme, plus triviale sera la situation qu’elle décrit, unissant sublime et dérisoire. Les autres comédiens expérimenteront, le premier le thème de la vibration née du contact de l’humain avec une plaque de verre, variable en fonction de la pression exercée, la seconde le poids que représente l’objet en mouvement – en l’occurrence un capot de voiture – en créant une chorégraphie où glissements, pivotements, rotations et portés dessinent dans l’espace la forme de l’objet et sa relation à celle qui le manipule.
Objet à interroger
Cette relation physique aux objets s’accompagne d’interrogations sur la manière dont la voiture amplifie nos perceptions, provoque un désir de jeu, engendre du risque. La voiture-signe devient médium qui violente l’espace, enjeu dont il faut payer le prix, scène d’un théâtre où s’expriment les défis, qu’ils ressortissent de nos peurs individuelles ou du désir de se montrer, de s’exposer. André Gorz, après Baudrillard, est appelé à la rescousse pour révéler l’aliénation qui se cache derrière le sentiment de liberté que la voiture procure, comment elle devient l’instrument d’un système où l’homme est coupé en tranches qui courent d’un endroit à l’autre, pour travailler, habiter, s’approvisionner, s’instruire ou se divertir. Derrière cette désintégration, l’objet vivant, c’est la machine et l’homme la chose à son service. La vitesse devient son arme, elle vit pour elle -même et le rôle dévolu à l’humain n’est plus que celui d’opérateur technique. Le médium est devenu premier et nous n’en sommes que l’accessoire.
Entre théâtre d’objets et arts plastiques
Cette expérimentation qui place face à face des objets et des comédiens avec lesquels ils interagissent en créant une indécision du sujet et de l’objet, de l’animé et de l’inanimé, d’une certaine réalité et de son concept est l’aboutissement d’un travail de recherche et de création au long cours mené par Aurelia Ivan, d’abord en suivant des séances de crash test du Groupe Renault basé à Lardy, où des mannequins sont soumis aux chocs, au sein du laboratoire Noise Voice Harshness (NVH) du même groupe, spécialisé dans le traitement vibratoire et acoustique des moteurs et des boîtes de vitesse, puis à la Scène de recherche de l'ENS Paris-Saclay. À la croisée de la science et de l’art, des techniques et de l’univers du sensible, elle articule étroitement langage plastique et langage scénique pour élaborer un processus où les objets font corps et interagissent avec les comédiens et avec le texte non théâtral mis en spectacle. Mais pour le spectateur non embarqué dans les phases préliminaires de ce spectacle dépourvu d’intrigue, l’abord est déroutant et chacun s’invente une œuvre en regardant comment les objets et les interprètes s’ordonnent. Cette proposition audacieuse a de quoi surprendre, mais n’en est pas moins intéressante. Elle risque, cependant, d’en dérouter plus d’un…
Si la voiture est fétiche, l’accident ne l’est pas
S Conception & Mise en scène Aurelia Ivan Avec Bogdan Hatisi, Aurelia Ivan et Virgile Pellerin S Extraits de texte interprétés L’Autoguide Rousseau, 2022, L’Idéologie sociale de la bagnole d’André Gorz, Écologie et Politique, Le Sauvage, 1974, Jeux de Jean Baudrillard, Cahiers de Médiologie, 2001, « Sorge l'irato nembo », dans Orlando Furioso, RV 728, Antonio Vivaldi, 1727 S Tranches de réel sonore Carrefour Saint-Martin de Nicolas Barillot et La Briche Saint-Denis d’Aurelia Ivan S Écriture musicale de l’Autoguide Rousseau Virgile Pellerin et Aurelia Ivan S Sculptures Aurelia Ivan et Sallahdyn Khatir avec la participation de Loraine Mercier et Johnny Lebigot S Création espace & lumières Sallahdyn Khatir S Création sonore Nicolas Barillot S Régie son Nicolas Barillot ou Grégory Joubert S Laboratoires, travail vocal et musical Dalila Khatir S Collaboration chorégraphique Anna Chirescu S Regard extérieur Johnny Lebigot S Assistante artistique Maria Claudia Gamboa S Régie générale Edith Biscaro S Stagiaire scénographie et régie Anaëlle Rosich S Direction de production Antoine Blesson S Administration de production Jason Abajo S Attachée de production Flora Courouge S Production Tsara S Coproduction Le Quartz scène nationale de Brest, Théâtre de la Cité Internationale - Paris, Les Bords de Scènes – Théâtres et Cinémas – Juvisy-sur-Orge, Collectif 12 – Mantes-la-Jolie, Espace Lino Ventura – Garges-lès-Gonesse, Les Passerelles – Scène de Paris-Vallée de la Marne – Pontault-Combault, L’Onde Théâtre Centre d’art de Vélizy- Villacoublay, Théâtre de Vanves scène conventionnée d’intérêt national S Avec le soutien de la DRAC Île-de-France – ministère de la Culture, de la Région Île-de-France, du Conseil départemental du Val-de-Marne, du Conseil départemental de l’Essonne, de l’ADAMI, de la SPEDIDAM, d’Arcadi, du Collectif 12 – Mantes-la-Jolie, de la Ville de Lardy, de la Scène de recherche – ENS Paris-Saclay et de la Fileuse - Friche artistique de Reims S En partenariat avec l’ENS Paris-Saclay et le groupe Renault - Centre technique de Lardy L’association Tsara est soutenue par la Région Île-de-France au titre de la Permanence Artistique et Culturelle S Création le 18 novembre 2022 au Collectif 12 – Mantes-la-Jolie S Durée 1h10
TOURNÉE
• Création le 18 novembre 2022 au Collectif 12 – Mantes-la-Jolie • Du 5 au 17 décembre 2022 au Théâtre de la Cité Internationale – Paris • Du 19 au 20 janvier 2023 à l’Onde Théâtre Centre d’art de Vélizy-Villacoublay • Du 9 au 10 février 2023 aux Passerelles – Pontault-Combault • Du 6 au 11 mars 2023 au Théâtre de l’Échangeur – Bagnolet • Le 24 mars 2023 à l’Espace Culturel Alain-Poher – Ablon-sur-Seine • Le 9 juin 2023 à l’Espace Lino-Ventura – Garges-lès-Gonesse