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Arts-chipels.fr

Richard III. Furieusement jouissif et déjanté.

© Erik Damiano

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La mise en scène pleine de bruit et de fureur de Guillaume Séverac-Schmitz n’hésite pas à marcher dans les traces du grand-guignol. Elle est un régal de démesure et de drôlerie.

Noir c’est noir. C’est sous le signe de l’ombre et de la lumière que s’inscrit cette lecture de Shakespeare qui fait émerger ses personnages d’un rideau composé de bandes tantôt translucides et tantôt opaques comme des diables d’un castelet, tout environnés de brume, avant de les renvoyer au néant de l’obscurité. Richard de Gloucester, qui n’est pas encore Richard III – ou plutôt l’acteur qui le joue – vient interpeller le public, lui raconter son personnage de contrefait dont le physique a modelé l'âme et l’a rendue mauvaise. S’emparant de la défroque physique de Richard, le comédien éclatant de vie et de santé se casse, se courbe et adopte une démarche claudicante. Nous y sommes. Le spectacle peut commencer…

© Erik Damiano

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Des histoires de famille à s’emmêler les crayons

D’abord il faut comprendre qui fait quoi, qui descend de qui, et les raisons de leurs bagarres – le public aura même droit à une interro orale pour savoir s’il a bien suivi au cours du spectacle. Du côté des filles, chez les York, on trouve la duchesse d’York, mère du roi Édouard IV, bientôt défunt, Élisabeth Woodville, la femme du roi, Margaret, fille de Clarence, frère du roi et, du côté des Lancastre, Lady Anne, veuve d’Édouard de Westminster qui épousera Richard. Il faut savoir que les York et les Lancastre n’ont pas cessé de se battre pour le pouvoir et qu’avant Édouard IV d’York, on avait, chez les Lancastre Henri VI (dont le spectre rend visite à la pièce) et son fils Édouard de Westminster. Chez les York, on a, parmi les candidats à la succession d’Édouard IV, Clarence, le frère du roi, et les deux fils du roi, Édouard (le V, pour peu de temps) et Richard, pas vraiment ragoûtant en tant que candidat, mais qui a besoin d’éliminer tous ses concurrents pour devenir The One. Un beau marigot qui respire plus les ambitions politiques que l’harmonie familiale… Et si on s’emmêle dans les arbres généalogiques, il n’y a cependant pas de lézard : ce qui gouverne tout ce beau monde, c’est l’ambition politique et le jeu des alliances.

© Erik Damiano

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Dans le grand cirque de la politique

Les comparses ne sont pas mieux lotis car il n’est question que de trahisons, de retournements d’alliances qui se retournent elles-mêmes et de manipulations. On y retrouve le même jeu des promesses qui n’engagent que ceux qui les croient, de serments et déclarations d’intentions jamais suivies d’effets auxquels le jeu politique nous a habitués. Le Londres-vaut-bien-une-messe de Richard converti en dévot ou l’exercice de manipulation des foules auxquelles se livrent Buckingham et Richard en conviant le public à faire de Richard le Sauveur providentiel d’un monde en perdition entraînent dans leur sillage des références plus contemporaines. Sauf qu’ici, en plus, faut qu’ça saigne ! Et l’hémoglobine ne manque pas dans ce grand-guignol politique où on explore les différentes méthodes de passage de vie à trépas !

© Erik Damiano

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Le théâtre de Shakespeare, une oscillation dialectique permanente

Ordre et désordre sont les maîtres-mots qui traversent tout le théâtre de Shakespeare comme une réflexion ininterrompue sur l’atmosphère chaotique de son temps. Une perception éminemment baroque de pertes des repères qui règne sur le théâtre élisabéthain mais aussi sur le premier Corneille ou les romans picaresques espagnols de l’époque. Ce « quelque chose de pourri » qui choisit pour expression le « trop », l’emportement ou l’humour trouve ici une expression apocalyptique, excessive, outrancière, qui atteint un point d’orgue avant de retrouver – artificiellement ? – une forme d’équilibre, ici très militarisé en la personne de Richmond qui met fin à la guerre des Deux-Roses et renvoie – un petit coup de chapeau courtisan ne fait pas forcément de mal – à la lignée dont Élisabeth Ire, qui règnera sur la destinée de Shakespeare, est issue.

© Erik Damiano

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La contamination du mal

Ce qui fascine dans Richard III, c’est la mécanique infernale qui, partant d’un simple mal-être psychologique et physiologique du personnage de Richard, contrefait et mal-aimé, transforme sa disgrâce physique en tare morale qui gagne peu à peu tous ceux qui l’entourent. Une contagion du mal qui semble sans limite, une vérole qui s’empare des esprits, pourrit ce qu’elle touche et s’accompagne d’exécuteurs sans foi ni loi. Aspect physique et état mental se renvoient la balle sans qu’on sache lequel des deux est la conséquence de l’autre. Plus Richard sombre dans l’abjection et la cruauté, plus son état physique se dégrade jusqu’à le transformer en pantin cuirassé de tout part, enfermé dans les prothèses monstrueuses de son cerveau malade. Thibault Perrenoud s’y enfonce avec une jouissance sardonique et maligne, démon incarné qui hausse le mal d’amour à la dimension du meurtre.

© Erik Damiano

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Ici et maintenant

La langue qu’emploie, dans son adaptation, Clément Camar Mercier, le traducteur, si elle fait la part belle à cette poésie qui sourd toujours de la langue de Shakespeare, adopte les expressions d’jeun’s ou populaires d’aujourd’hui, passant de l’une à l’autre avec une vivacité expressive, une aisance réjouissante et un plaisir gourmand. Les personnages, bien sûr, ne sont pas en costume d’époque hormis un Shakespeare en culotte bouffante et pourpoint qui fait une apparition inopinée au cours du spectacle. C’est costume trois pièces ou complet cravate pour la tenue « habillée », cuir noir pour les exécuteurs des basses œuvres, parfois assorties de marcels côté fort des Halles ou de lunettes noires façon thriller. Quant aux assistants ou aux comparses, c’est en régisseurs de théâtre en combinaison noires qu’ils apparaissent dans une triangulaire ou la fable historique, l’intemporalité de ce qu’elle met en jeu et le théâtre jouent à se renvoyer la balle. Les tribunes politiques sont des praticables montés sur roulettes et le trône de Richard III un fauteuil de paralytique où le roi attrape le pompon d’une couronne suspendue pour se sacrer lui-même. Le massacre est joyeux et bien que plus noir que noir.

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La vie est un théâtre…

En faisant monter des spectateurs sur la scène, Guillaume Séverac-Schmitz joue de la réversibilité entre scène et salle, entre réel et imaginaire, entre réalité et théâtre. un jeu cultivé à loisir tout au long du spectacle où le théâtre cite le théâtre et joue de la confusion entre acteur et personnage, entre spectateur et acteur. Montrer que la vie est un théâtre et que le théâtre est la vie fut l’une des constantes du baroque. Ce jeu des doubles faces résonne avec une acuité particulière dans notre monde où la surmédiatisation place en pleine lumière des attitudes et des événements dont on ne sait s’ils ont été fabriqués pour s’inscrire dans ce processus ou s’ils n’en sont que l’aliment privilégié, amplifié et travesti. Déformés comme la difformité de Richard. Ridicules à force d’être amplifiés. Tragiques dans leurs prolongements. Le XXIe siècle, ce pourrait être l’hémoglobine en moins – n’étaient certains exemples récents, quelque part à l’Est – la farce tragique de notre temps. Les Richard ne manquent pas, ses comparses non plus…

© Erik Damiano

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Richard III de William Shakespeare

S Conception et mise en scène Guillaume Séverac-Schmitz S Traduction et adaptation Clément Camar Mercier S Avec Jean Alibert (Buckingham), Louis Atlan (Clarence, Gray, le jeune prince Édouard), Martin Campestre (Mortimer, Rivers, Un meurtrier, Tyrrel), Aurore Paris (Lady Anne, he roi Édouard IV, le Maire de Londres), Thibault Perrenoud (Richard), Nicolas Pirson (Hastings, Brackenbury, Une greffier, le Comte de Richmond), Julie Recoing (Margaret, la duchesse d’York), Anne-Laure Tondu (la Reine Eklisabeth, l’évêque d’Ely), Gonzague Van Bervesselès (Catesby, Un meurtrier, le jeune duc d’York) S Scénographie Emmanuel Clolus S Conseillère artistique Hortense Girard S Création lumière Philippe Berthomé S Création son Géraldine Belin S Création costumes Emmanuelle Thomas S Régisseur général Jean-Philippe Bocquet S Régisseur plateau Sébastien Mignard S Régisseur lumière Léo Grosperrin S Administration, production Dantés Pigeard -Eudaimonia S Diffusion Olivier Talpaert -En votre Compagnie S Photos et vidéos Loran Chourrau et Erik Damiano -Le Petit Cowboy S Construction du décor Atelier du ThéâtredelaCité -CDN de Toulouse-Occitanie S Création du 19 au 21 janvier 2023 au Théâtre du Château Rouge, Annemasse S Production Eudaimonia S Coproduction Maison des Arts de Créteil, ThéâtredelaCité-CDN de Toulouse Occitanie, Théâtre de Caen, Montansier-Théâtre de Versailles, Théâtre de Nîmes scène conventionnée d’intérêt national art et création danse contemporaine, Théâtre du Château Rouge-Annemasse - scène conventionnée au titre des nouvelles écritures du corps et de la parole, Théâtre Jean Arp de Clamart - scène conventionnée d’intérêt national Art et création, Théâtre du Cratère - Scène nationale Alès, Théâtre Molière de Sète - Scène Nationale Archipel de Thau S Avec le soutien du GIE Fondoc - fonds de soutien à la création de la Région Occitanie, du Conseil départemental de l’Aude, de la région Occitanie, du ministère de la Culture-DRAC Occitanie, de l’Adami S Avec la participation du TNB - Théâtre National de Bretagne et la participation artistique du Jeune Théâtre National (JTN) S Durée 3h10 (avec entracte)

TOURNÉE

Du 8 au 10 février 2023 - MAC ‑ Maison des Arts de Créteil

Du 16 au 18 février 2023 -Théâtre Jean-Arp - Clamart

Les 8 et 9 mars 2023 Théâtre Cinéma, Scène nationale Grand Narbonne

Le 23 mars 2023 Théâtre Jacques Coeur, Lattes

Du 18 au 21 avril 2023 Théâtre Montansier, Versailles

Les 1er et 2 juin 2023 Théâtre de Caen

Du 8 au 14 novembre 2023 Théâtre de la Cité, CDB Toulouse-Occitanie

Les 22 et 23 novembre 2023 Théâtre de Nîmes

Les 28 et 29 novembre 2023 Le Cratère - Scène nationale d’Alès

Les 5 et 6 décembre 2023 Théâtre Molière Sète - Scène nationale Archipel de Thau

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