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Arts-chipels.fr

Pièce sans acteur(s). Être ou ne pas être du théâtre…

© 2b Company

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Circulez, y’a rien à voir ? Voire… Peut-être que si, justement, quand deux diables dans une boîte sonore décident de s’interroger sur le spectacle vivant, sur le vrai et le faux et sur les mises en abîme.

François Gremaud affectionne les petits ajouts intempestifs qui changent le sens des mots et des phrases. Giselle… était toute en points de suspension entre le ballet et son commentaire, Phèdre ! s’exclamait sur le double jeu entre fascination pour la langue et décalages facétieux, la Pièce sans acteur(s) s’intéresse au singulier et au pluriel d’une forme qui fait débat dans la langue française. Ce qui suit « sans » doit-il être au singulier, puisqu’il n’existe pas, ou au pluriel si l’on postule que ce qui manque était au pluriel ? Curieuse définition, quoi qu’il en soit, appliquée au théâtre. Le théâtre ne suppose-t-il pas la présence d’acteur(s) ? Est-il encore le théâtre lorsqu’ils sont absents de la scène ? Des questions qui pourraient sembler absurdes mais ne le sont pas tant que cela si l’on prend, comme les deux comparses que sont François Gremaud et Victor Lenoble, le temps d’y réfléchir.

© 2b Company

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L’art de la frustration ?

Sur la scène obstinément vide de toute présence humaine, seules trônent deux immenses enceintes son. Ça parle dans chacun des postes, et ça raconte la naissance du projet, la nature de l’interrogation. Il est question de projets plus anciens, d’une pièce qui raconte la pièce et d’une création précédente avec des acteurs mais sans texte, alors pourquoi pas l’inverse ? Pourquoi pas du théâtre sans acteur(s) ? Une heure durant, les voix vont s’interroger. Sur ce que raconte le spectacle, et plus généralement le théâtre, sur ce qui a servi de déclencheur, sur les fictions possibles, sur la fiction que représente le projet de fiction, sur le vrai et le faux, sur la présence ou non de la musique, sur les limites du jeu inventé pour la circonstance. Mais on nous a prévenus : c’est une pièce sans acteur(s). Imaginée lors du premier confinement, une pièce sans acteur après deux années sans acteur ne passerait-elle pas pour une provocation face à l’écho d’un traumatisme ? C’était sans compter que la pièce, à travers l’absence, raconte autre chose. Dire qu’il ne se passe rien serait mentir. D’abord parce que les variations de la lumière et la musique, pour minimalistes qu’elles soient, restent du domaine du spectacle. Parce que les voix qu’on entend, identifiées au départ chacune dans une enceinte, de part et d’autre de la scène, se rejoingnent, à un certain moment dans l’une d’elles. Et parce que des commentaires écrits – courtes phrases et interjections qui forment la réaction de l’Autre – apparaissent en fond de scène et se déplacent, bien sûr, avec la voix qu’ils représentent. Le mot est lâché : il s’agit bien de représentation…

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Un contenu foutraque et hilarant

On se retrouve au pays du non-sens, avec un boulanger qui mélange allègrement le vrai et le faux, nous propose des omelettes d’œufs dont on serait en peine de dire s’ils existent vraiment, d’histoires de poules qui picorent dans la cour mais qui pourraient aussi bien aller à jardin, de chasseur et de biche perdue sur un air d’« il était une fois », du temps qui passe de plus en plus vite alors qu’on en a de moins en moins, de semis de tomates et de leur production qui devient ratatouille ou coulis, d’un décor transformé en serre, une scène dans le jardin. Les deux protagonistes, entre scène, cour et jardin,  tournent autour du théâtre, évoquent Avignon, se posent la question de plantes vertes pour enrichir la scénographie, s’interrogent sur le caractère écologique d’une pièce sans acteur(s). Les assonances et les rapprochements insolites s’ajoutent aux jeux de mots. Le convoyeur condescendant voisine avec le camion mayonnaise. On se retrouve dans un jeu surréaliste à suivre le fil d’une conversation qui perd le fil sans jamais le quitter où, à un moment, on ne sait pourquoi, la partie haute de l’une des enceintes tourne avant de retrouver sa place.

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Un jeu à la Escher

Dans l’interrogation sur le théâtre qui court tout au long de cet étrange objet, on se retrouve dans un jeu à la Escher, sur un escalier qui monte sans cesse en même temps qu’il descend et dont on serait bien en peine de déterminer le haut et le bas. On revoit ces deux mains dont l’une dessine l’autre qui dessine l’une sans qu’on puisse déterminer s’il y a un début et une fin et ce qui fut premier. Parce que cette pièce sans acteur(s) avec acteurs tout de même, présents-absents dans les enceintes – et il faudra attendre la fin pour comprendre qu’il n’y a pas de réponse possible sur la présence ou l’absence des acteurs ou que les deux propositions sont vraies, ou vraisemblables – questionne le théâtre et son origine, mais aussi sa nature. Parce que le théâtre travaille aussi sur le caché, qui « n’enferme pas mais ouvre sur une sorte de vertige » et que, quelle que soit la forme de la représentation, on est bien dans le spectacle vivant puisque le public l’est, vivant, et que l’absence produit de l’imaginaire. Dans cette tentative de pousser encore plus loin les expérimentations sur les formes théâtrales déjà entamées dans les spectacles précédents pour « voir jusqu’où le théâtre résiste », cette exploration physique des limites, vécue par le spectateur, est un séduisant parcours, plein de pertinence et de drôlerie. À condition qu’on en joue le jeu et qu’on devienne acteur de cette pièce sans acteur(s)…

Pièce sans acteur(s) de François Gremaud, Victor Lenoble

S Création François Gremaud, Victor Lenoble S Collaboration artistique Séverine Besson, Léo Piccirelli, Antoine Surer, Kwok-Tung Kan, Sara Zazo Romero, Elena Diez del Corral Areta, Joël Maillard S Lumières Stéphane Gattoni – Zinzoline S Son Raphaël Raccuia S Direction technique Stéphane Gattoni – Zinzoline S Administration, production, diffusion, Michaël Monney, Noémie Doutreleau S Coproduction, 2b company, L’Arsenic – Centre d’art scénique contemporain (Lausanne) S Avec le soutien de l’État de Vaud, Ville de Lausanne, Loterie Romande, CORODIS, Pro Helvetia, fondation suisse pour la culture S Coréalisation Monfort théâtre et Festival d’Automne à Paris 2022 S Durée 1h05

TOURNÉE
du 9 au 11 décembre 2022 Théâtre Les Halles, Sierre (CH)
le 25 mars 2023 Théâtre de Mende 
le 28 avril 2023 Théâtre de l'Echandole, Yverdon-les-Bains (CH)

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