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Arts-chipels.fr

La Petite dans la forêt profonde. Un conte cruel hérité de l’Antiquité au contenu très actuel.

La Petite dans la forêt profonde. Un conte cruel hérité de l’Antiquité au contenu très actuel.

Transposant l’art des conteurs dans une version contemporaine, ce spectacle, qui prend sa source dans les Métamorphoses d’Ovide nous plonge dans une atmosphère terrible et sanglante de viol et de vengeance.

Une scène nue sans autres accessoires que, dans un coin, un micro et une table sur laquelle reposent les objets les plus triviaux : un livre, du papier, une bouteille en plastique – on en découvrira d’autres par la suite, tel un appeau lançant des cris d’oiseaux. Ils camperont le décor de ce conte où le traditionnel « Il était une fois » recouvre un contenu qui n’a rien d’un conte de fées. Mais pour le moment, nous sommes dans le décor idyllique d’une forêt. Les pages du livre tournées par une comédienne renvoient au froufroutement d’un vol d’oiseau dans les feuillages, le papier d’aluminium froissé évoque les pas dans les feuilles mortes qui jonchent le sol, les bruitages à la bouche complètent le décor. « Tu dis que c’est un havre de paix ? », demande la Petite. « Oui », répond le Jeune Roi, qui se fait mielleusement protecteur de cette Petite qui a peur de tout ce qui l’entoure. Le cadre de l’histoire se met en place. Le Jeune Roi est allé chercher la Petite chez son père, pour l’amener à sa femme, qui s’ennuie dans son palais. Mais le Jeune Roi a d’autres projets. La Petite est jolie et il se fait pressant avant de la prendre par la force.

© Marie Hamel

© Marie Hamel

Une fable issue des Métamorphoses d’Ovide

Cette histoire, projetée dans le monde d’aujourd’hui, ou dans un temps indistinct qui pourrait aussi bien rappeler les Contes de Perrault et ses thématiques « trash » comme Peau d’âne, avec son thème de l’inceste installé au cœur du conte, Philippe Minyana la puise dans l’Antiquité. Dans les Métamorphoses, Ovide conte l’histoire de deux sœurs, Philomène et Procné. Cette dernière est l’épouse de Térée, roi de Thrace. Procné s’ennuie de sa sœur et Térée, ayant promis au père de Philomène d’en prendre soin, vient la chercher. Mais il entraîne la jeune fille dans une bergerie et la viole. Puis il lui coupe la langue pour l’empêcher de parler et fait croire à Procné que sa sœur est morte durant le voyage. Ne pouvant raconter la vérité à sa sœur puisqu’elle ne peut plus s’exprimer, Philomène tisse une toile racontant son histoire et la fait parvenir à Procné. Les deux sœurs se retrouvent et ourdissent ensemble une vengeance terrible. Procné tue le fils qu’elle a eu de Térée, le dépèce et le fait cuire avant de le faire manger à son époux. Lorsque son époux réclame son fils, elle lui déclare : « Ton fils est avec toi ». Philomène jette sur la table la tête coupée. Térée, fou de rage, poursuit les deux sœurs qui se métamorphosent, Procné en rossignol, Philomène en hirondelle. Térée, changé en huppe, ne peut les atteindre.

© Marie Hamel

© Marie Hamel

Un conte cruel à deux voix

Le spectacle retrouve l’art traditionnel du conteur à travers les voix des deux comédiennes qui incarnent tour à tour tous les personnages en même temps qu’elles assument le rôle de narratrices. L’une bruite et l’autre parle et les rôles se renversent. Elles sont conteuses et personnages, bourreaux et victimes, traversant avec une apparente neutralité et une naïveté recréée une histoire des plus sombres où la violence atteint des sommets, tant dans l’évocation du viol que dans celui de la vengeance des deux femmes. Dans cette évocation faite sur le mode anodin du conte, où la poésie naît de la langue très épurée et imagée de Philippe Minyana comme de la manipulation à vue du bruitage qui engendre de l’imaginaire, l’émotion naît non de la reconstitution de ce drame atroce sur la scène mais de son évocation. Comme une esquisse saisie sur le vif, livrée dans l’immédiateté de la perception. Elle en est d’autant plus forte qu’elle n’est pas jouée mais racontée, et qu’elle s’adresse à nous dans le contexte de notre société où le viol et la violence forment un substrat noir omniprésent. Et si la fin laisse en suspens, comme l’envol des oiseaux, le jugement qu’on peut avoir sur ces violences qui se répondent et sur l’outrance répondant à l’outrance, on n’en ressent pas moins l’atrocité qui lui donne naissance. Toute en retenue, en demi-tons et en finesse, cette Petite en proie au grand méchant Roi, dans sa simplicité et sa volontaire absence d’effets, est plus convaincante que bien des slogans revendicatifs et vengeurs qui émaillent notre quotidien.

© Marie Hamel

© Marie Hamel

La Petite dans la forêt profonde de Philippe Minyana (L’Arche éditeur)

S Mise en scène Alexandre Horréard S Avec Louise Ferry, Clémence Josseau S Production Compagnie Requin-baleine S En coréalisation avec le Théâtre des Déchargeurs S Avec le soutien de l’Annexe, Fabrique artistique et citoyenne et du Bouffon théâtre S Durée 1 heure S À partir de 14 ans

Du 27 novembre au 20 décembre 2022, du dimanche au mardi à 19h

Théâtre des Déchargeurs – 3, rue des Déchargeurs, 75001 Paris

www.lesdechargeurs.fr  

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