2 Décembre 2022
Trajal Harell, debout sur scène, vêtu d’une chemise blanche et d’un pantalon sombre avec par-dessus accroché à son cou qui pendait devant lui une longue robe claire, regardait la salle se remplir… Image incroyable. Il était là, regardant les spectateurs s’installer et, à peine, le dernier spectateur, légèrement en retard comme il se doit, a été assis, il a commencé à danser seul, avec un mouvement lancinant et circulaire sur Joni Mitchell. Puis un autre danseur l’a rejoint et petit à petit, un à un tous les danseurs et danseuses sont arrivées. Cette première partie sur quatre morceaux de Joni Mitchell nous emmene dans une promenade très voguing où le genre est un lointain souvenir. On retrouve ainsi ces thématiques principales qui sont le féminisme et le genre avec cette première partie dégenrée et décomplexée. Une transition douce entre le monde du dehors et le Köln Concert.
Et puis, les premières notes du piano de Keith Jarrett sont arrivées, reconnaissables entre toutes. Les interprètes, drapés de noir, entre toge antique et justaucorps primitifs ont envahis la scène. Ils, elles ont dansé tour à tour, ou ensemble, chacun, chacune se passant le relais, avec une fluidité, une sensibilité à fleur de peau. Ils, elles alternaient les positions assises sur des tabourets de piano et les figures dansées, chacun, chacune avec sa spécificité, son interprétation, dans une retenue éclatée si je puis dire. Parfois le solo était très long, parfois très court. Chaque interprète restait libre dans sa gestuelle et son approche, l’idée étant de « dévorer la scène » comme leur demande Trajal Harell tout en se mettant au diapason de la musique, sans fioriture, sans en faire trop. Trouver le ton juste, se mettre au service du propos de Keith Jarret sans tomber dans le piège du superfétatoire.
Ainsi, retranscrire ce concert était un vrai challenge que Trajal Harell a mis vingt ans à relever. Pour cela il a beaucoup écouté, beaucoup regardé et surtout beaucoup exploré toutes les formes de danses différentes allant du Voguing de son début de carrière au Butô qu’il a particulièrement étudié ces dernières années. Et cette combinaison qui semble à priori étrange et incompatible ne pouvait qu’être réalisée par lui. Trajal Harell est un chorégraphe New-yorkais qui a toujours évolué entre plusieurs formes de danses, le Voguing et le post-moderne américain à ces débuts, associé désormais au Butö. Il a toujours pratiqué l’hybridation et le mélange, ainsi ces performances ont été présentées dans des lieux dédiés aux arts visuels comme le Muséum of art de New-York
Cette synthèse improbable porte les clés de la réussite de cette chorégraphie. Ce sont les grands chorégraphes qui sont capables de transmuer les styles, de les remodeler à leurs pattes pour nous les présenter comme neufs et méconnaissables.
Trajal Harell nous convie à cette cérémonie improbable pour un artiste inclassable et monumental qui est Keith Jarret. Pari réussi. Respect !
Distribution
Mise en scène, chorégraphie, scénographie, son et costumes, Trajal Harrell
Avec Titilayo Adebayo, Maria Ferreira Silva, Trajal Harrell, Camille Durif-Bonis, Thibault Lac, Songhay Toldon, Ondrej Vidlar
Dramaturgie, Katinka Deecke
Lumières, Sylvain Rausa
Musique, Keith Jarrett, Joni Mitchell
Assistantes production, Camille Roduit, Maja Renn