12 Décembre 2022
Se faire peur est un grand classique de madame-et-monsieur-tout-le-monde. Entre références aux faits divers et aux films d’horreur, ce spectacle dévoile les ficelles de la fabrication de la terreur dans une mise à nu réjouissante et pleine d’humour.
Les histoires sordides ont le vent en poupe et les journaux et magazines regorgent de violences en série, d’assassinats gratuits, de familles décimées et de meurtres que l’actualité monte en boucle. Le glauque fait recette tant dans l’actualité qu’au cinéma et dans les nombreuses séries gore qui ont leur lot d’addicts inconditionnels. Interroger l’appétence du public pour ces formes diverses de l’angoisse et de la peur, c’est plonger au cœur de nous-mêmes pour interroger leur fonction de reflet en même temps que d’exutoire, mettre en question ce plaisir trouble mêlé d’appréhension qui nous saisit et nous ficelle, victimes consentantes d’un jeu dangereux auquel l’humour apporte une échappatoire salutaire. C’est en interrogeant le rapport aux terreurs cachées, aux phobies et aux peurs de chacun de ses membres que le collectif Mind the Gap nous convie à son jeu de massacre.
Deux fables pour deux registres
Deux décors sont plantés sur la scène encombrée d'objets hétéroclites où voisinent aussi bien des éléments de camp scout que l’intérieur d’une cuisine. La première histoire, inspirée d’un fait divers des années 1970, emprunte à l’imaginaire du conte au coin du feu où bien au chaud et à l’abri, on joue à se faire frissonner en créant un dehors hostile, siège de tous les dangers. Et justement, c’est dans ce monde périlleux que le groupe rejette celui qui ne lui ressemble pas. Mais la plaisanterie sinistre crée du fantasme, la nuit est longue et lorsque l’exclu ne revient pas, l’inquiétude et l’angoisse s’installent… La seconde puise sa source dans le film de Wes Craven, Scream, avec son noir fantôme, son tueur psychopathe masqué qui, conformément à la tradition du slasher movie, se focalise sur une victime et son entourage et ne cesse, de film en film – on en compte aujourd’hui cinq et un sixième, dont la promesse est d’atteindre un sommet du gore, est prévu en mars 2023 – de poignarder encore et toujours.
Le dévoilement progressif des procédés de fabrication
Dès l’abord, les bruitages sont effectués à vue pour planter le décor. Un tissu qu’on agite reconstitue le vol soudain d’un oiseau, du plastique froissé évoque des pas dans les feuilles. Un filet d’eau qu’on laisse tomber dans une cuvette évoque une rivière, l’eau agitée renvoie aux remous du courant. Le vent souffle avec la respiration, le tonnerre gronde sur une plaque de métal, le son est spatialisé. Peu à peu, nos bruiteurs s’emmêleront volontairement les micros et les sons, intervertissant voix féminines et masculines pour les personnages, débarquant de manière intempestive sur la scène du crime, réduisant à néant toute velléité d’illusion.
De glissement en glissement
On se fait un film à voir le film en train de se faire. La musique joue sa partition d’angoisse, l’obscurité aussi lorsqu’on s’introduit dans la cuisine où une jeune fille épluche des carottes tout en conversant de manière banale au téléphone. Mais voici qu’elle se blesse et on imagine sans peine que le sang qu’elle étanche n’est que le prélude à plus gore. C’est alors, bien sûr, que le tueur apparaît. Peu à peu la belle machinerie se dérègle, la conversation téléphonique change, l’ordre des événements se modifie, on grimpe des degrés dans le sanglant, l’attitude de la jeune fille évolue à mesure que les scènes de meurtre, rejouées jusqu’à l’excès, reviennent. On glisse sans coup férir vers le grand-guignol sanguinolent dans une progression d’hémoglobine et de violence à la drôlerie déjantée pour finir en apothéose.
Une pièce toute en clins d’œil
La pièce ne fait pas l’économie des références du gore et de son histoire. Dans les années 1930 et le Code Hays, qui avait pour objectif de faire régner la « décence » sur les écrans et pour conséquence de limiter ce qu’on pouvait montrer, le gore avait été censuré. C’est au milieu des années 1960, avec l’émergence des baby-boomers et l'aspiration à la liberté qui se fait jour, que des fissures apparaissent. L’engouement populaire pour Blood Feast (1963) permet l’essor du genre. L’Amérique est alors en pleine guerre du Vietnam et les mouvements de protestation se multiplient. L’essor du film gore va de pair avec la révélation des atrocités commises au Vietnam. Les années 1970 et 1980 consacrent le genre et l’on reconnaît, au fil de la pièce, des clins d’œil aux « classiques » de ces années que sont Massacre à la tronçonneuse (1974) où l’outil mortifère devient cocassement couteau électrique ou à Shining (1980) dont la hache brandie avec délectation par Jack Nicholson dans le film de Stanley Kubrick occupe le plateau comme une citation…
Aux amateurs de films et de séries gore, la pièce offrira pléthore de références et de souvenirs. Aux béotien.ne.s dont je suis, elle conduira à s’interroger, tout en s’amusant beaucoup, sur l’opération d’exorcisme ou de catharsis que représente ce déchaînement cru, sans nuance, où tout est « montré », et sur la magnification ou la dénonciation de la force brute qui en est le corollaire. Dans l’atmosphère de violence latente qui règne aujourd’hui, la déconstruction a des allures de salubrité nécessaire et il importe de ne pas se laisser duper…
J’aurais mieux fait d’utiliser une hache
Mise en scène et interprétation Thomas Cabel, Julia de Reyke, Solenn Louër, Anthony Lozano et Coline Pilet Dramaturgie Léa Tarral Création sonore Estelle Lembert Création lumière Quentin Maudet Scénographie/costumes Clémence Delille Administration/production Margot Guillerm Production Collectif Mind The Gap Coproductions Équinoxe – Scène nationale de Châteauroux, Le Théâtre de Vanves, L’Échalier - St-Agil, le Théâtre de la Tête Noire - Scène conventionnée d’intérêt national Art et Création - Écritures contemporaines Accueil en résidence Le Théâtre de Vanves, L’Échalier - St-Agil, Théâtre de la Tête Noire, 108 Maison Bourgogne, Centre Chorégraphique National d’Orléans, Espace Culturel de Saint Jean de Braye, Le VPK au Volapük, La Pratique, AFA de l’Indre, « Résidanses » pluridisciplinaires, Antre Peaux dans la cadre du soutien à la résidence, Le Bouillon - Théâtre universitaire Orléans Soutiens de la DRAC Centre Val de Loire (aide à la résidence et aide à la création), la Ville d’Orléans, la Région Centre Val de Loire, la SPEDIDAM et la participation artistique du Jeune théâtre national Cette structure a reçu une aide de l’État - ministère de la Culture - au titre du Plan de relance pour le soutien à l’emploi artistique culturel. Le spectacle bénéficie de la convention pour le soutien à la diffusion des compagnies de la Région Centre Val de Loire signée par l’ONDA, la Région Centre et Scenocentre. Ce spectacle fait appel à une chorale constituée d’amateur.ice.s Durée 1h05
TOURNÉE
8 >> 9 décembre 2022 - Festival Impatience – CDN de Sartrouville)
27 >> 28 janvier 2023 (14h30 / 20h30) - Théâtre Georges Simenon, Rosny-sous-Bois
8 >> 18 mars 2023 (19h30, relâche les 12 & 13) - Le Monfort – Paris