7 Octobre 2021
Librement adapté des Soirées d’orchestre de Berlioz, ce parcours de vie d’un ténor, traité de manière à la fois sarcastique et touchante, outrancière mais non dénuée de justesse, nous renvoie, au-delà de son trait forcé à une certaine Maria Callas, conspuée autant qu’elle fut adulée après qu’elle eut perdu la profondeur de sa voix, et qui n’eut pour compagne, à la fin de sa vie, que la solitude. En texte, en chant et en musique…
Je vous parle d’un temps… dans ce XIXe siècle qui ne connaissait ni la radio ni la télévision. Un temps où l’opéra et le spectacle vivant constituaient l’essentiel du « divertissement » et où les engouements comme les aversions ne pouvaient que prendre des formes excessives. Un temps où l’on se battait au théâtre et où les gloires fulgurantes du jour pouvaient le lendemain subir les haros du public. Les artistes trop vite hissés au pinacle étaient, comme le sont les footballeurs d’aujourd’hui : des stars, avec leurs caprices, leurs excès, poursuivis par des fans en délire qui s’en détournent dès que leur temps est passé.
Berlioz, une plume inconnue
On connaît le compositeur pour ses œuvres qui défrayèrent la chronique de leur temps, pour la dimension orchestrale hors norme de sa Symphonie fantastique et pour la rancune tenace de critiques qui, bien des années après, continuèrent de lui nier sa qualité de compositeur novateur et de qualifier sa musique de « bruit ». Très contesté pendant une partie de sa vie, il connut le succès à l’étranger en tant que compositeur, mais aussi de chef d’orchestre. On sait moins qu’il intervint dans l’écriture des textes de ses opéras, dans la Damnation de Faust, avec Almire Gandonnière, et dans les Troyens dont il rédigea le livret à partir de l’Énéide de Virgile. Et on ne connaît pas, ou peu, le chroniqueur de la Gazette musicale et l’écrivain à la plume acérée qui décrivit, avec humour, le monde artistique auquel il était confronté, lorsque la musique, le théâtre, la danse et l’opéra sacraient des idoles éphémères aux frasques auscultées à la loupe. Découvrir ce texte est, avec le plaisir de la représentation, l’occasion d’une nouvelle exploration en même temps qu’une imprégnation de l’esprit de cette époque. Une manière de rendre à César toute l’étendue de ce qui lui appartient.
Une vie de ténor
Berlioz n’a que peu composé de musique lyrique : sept œuvres en plus de quarante ans de carrière, dont Benvenuto Cellini (1834-1838) qui fut un échec, la Nonne sanglante, qui resta inachevée, la Damnation de Faust (1846) dans laquelle il investit tous ses avoirs et se retrouva presque ruiné, et les Troyens (1856-1858) qui est son grand œuvre lyrique. On comprend que ses relations avec le monde lyrique ne soient pas des plus harmonieuses. Il n’en dépeint pas moins, avec une sûreté de trait dont on peut se demander s’il est vraiment forcé, tout l’artifice qui forme la vie d’un artiste lyrique. Le ténor qu’il dépeint, il le suit de ses débuts à sa chute avec un brin de cruauté joyeuse que le spectacle restitue. Dans son sillage, on découvre les années de galère, la course aux cachets mal payés, le n’importe-quoi-pourvu-qu’on-bouffe et puis une célébrité qu’on acquiert hors de chez soi – bizarre, bizarre – dans la patrie du bel canto, en Italie, avant un retour triomphal au bercail et une carrière de plus en plus gouvernée par l’argent où l’âme n’est plus classée qu’au rang des accessoires.
Un ténor passé par les Deschiens
Le spectacle de Jean-François Novelli n’emprunte pas seulement à Berlioz. Il y adjoint deux maîtres en cruauté dans la peinture sociale que sont Maupassant et Flaubert. Dans un décor composé par un piano à queue, version réduite au quart, sur lequel trône un bouquet de fleurs et quelques flûtes à champagne, par un siège de velours rouge et par un portant sur lequel s’alignent les costumes de ce parcours de vie, notre ténor apparaît, façon Bianca Castafiore, accompagné de son pianiste impavide mais musicien remarquable. Il se déhanche, fait des mines, surjoue sa vie comme ses scènes, se juche sur des talons car il est trop petit, passe de la chemise de nuit aux habits chamarrés et nous chante, au sommet de sa gloire, un air de « money-money ». On passe du poème chanté de Ribouté, les Tendres souhaits, au Lac de Lamartine mis en musique par Niedermeyer, et du Barbier de Séville de Rossini à Eugène Onéguine de Tchaïkovski, avec bien d’autres encore, Berlioz compris. Jean-François Novelli, qu'on prend plaisir à écouter chanter, fait merveille avec sa voix qu’il module selon l’évolution du personnage. Un peu fluette et peu affirmée lorsqu’il commence à chanter, sa voix acquiert de l’ampleur et de la modulation lorsqu’il prend du coffre avant de se tordre, devenir fausse et mourir à la fin. Sans doute est-ce là le double sens de ce spectacle, à la fois drôle et tragique : révéler, en dépit du ridicule parfois, le caractère émouvant de la fragilité de l’artiste.
Ma vie de ténor
Textes Hector Berlioz, Gustave Flaubert, Guy de Maupassant S Adaptation Olivier Broche, Jean-François Novelli S Avec Jean-François Novelli, Romain Vaille S Mise en scène : Olivier Broche assisté de Kenza Berrada S Assistance à la mise en scène, scénographie et costumes Kenza Barrada S Création lumières Emmanuelle Phelippeau-Viallard S Durée : 1h05
Théâtre les Déchargeurs – 3, rue des Déchargeurs – 75001 Paris
Du 6 au 28 octobre 2021, mercredi et jeudi à 21h
Tél. 01 42 36 00 50. Site www.lesdechargeurs.fr