7 Octobre 2021
C’est une pulsation au tout début, comme un souffle, comme une respiration, comme un halètement. Puis peu à peu les mots arrivent et les corps se mettent en mouvement.
C’est une chorégraphie sur une poésie interprétée par trois danseuses et un guitariste qui nous entraine dans une étrange et magnifique déclaration d’amour, texte du poète Ghérasim Luca qui rythme et porte ce spectacle. C’est le rythme du souffle et le souffle des mots qui porte les mouvements des trois interprètes. Danser les mots comme une pulsation. Réciter le texte comme un mouvement. Psalmodier les phrases et les syllabes comme des notes, comme des sons comme une intense vibration.
Dans Passionnément, on fait l’expérience intime de la parole en mouvement. C’est inédit et jubilatoire. Cette « chorégraphie de la parole » ce bégaiement puissant du texte Ghérasim Luca nous parle de nous, de nos émotions, de nos difficultés aussi à les exprimer dans leur intimité pudique, dans leur violence passionnée et cet appel intime et déchirant du langage émotionnel de cette intense déclaration d’amour nous plonge au cœur de notre solitude d’être humain qui cherche désespérément la fusion du collectif.
Maxence Rey, comme toujours, excelle dans cette mise en résonnance, dans ce jeu vibratoire des corps entre pulsion, pulsation et vibration. Elle dit de son spectacle : « …La pièce Passionnément met en jeu la relation entre les tâtonnements et les cris du corps, tant en fragilité et délicatesse, qu’excès et étrangeté ; la relation entre les émotions les plus violentes, de la rage irrépressible à l’amour inconditionnel ; la relation entre le vous, le il et le je dans l’espace intime et collectif… »
Le travail de Maxence Rey va explorer les limites de la chorégraphie et de la performance. Il y a de la spontanéité, du « lâcher prise » qui me rappelle dans certaines postures, dans la décomposition, la déstructuration des mouvements, dans cette lenteur et également ce lien avec le souffle intérieur, une inspiration de la danse Butô.
L’architecture du spectacle est le texte du poète Ghérasim Luca, poème inclassable, sorte de bégaiement incroyable, fantastique, irrévérencieux on pourrait dire provocateur et cependant c’est un immense message d’amour à l’humanité et à la vie, message d’espoir et finalement très optimiste pour ce poète désespéré.
Ghérasim Luca est né à Bucarest en 1913. Il sera l’un des fondateurs du surréalisme roumain, membre du parti communiste clandestin dans les années 30. Il émigrera en France à partir de 1952 et y vivra jusqu’à son suicide en 1994 à 81 ans. Ghérasim Luca se disait apatride, il a vécu 40 ans « sans papier » en France et a dû régulariser sa situation à la fin des années 1980. Il dira à ce propos qu’il n’y a plus de place pour les poètes dans ce monde… Linda Lê le décrit comme « irréconciliable, il ne se conformait qu'à une règle : rester à l'écart, ne pas se mêler à la tourbe des fauves aux dents longues. »
Ce texte est écrit en français en 1947 avant son installation en France.
A noter également les créations sonores de Nicolas Losson qui joue de la guitare en live avec des sonorités rugueuses et brutes et les créations lumière de Cyril Leclerc qui à partir d’un espace scénique entièrement blanc interviendra petit à petit avec de la couleur sur les corps et sur la scène.
Distribution
Conception, chorégraphie Maxence Rey
Texte d’après Passionnément de Ghérasim Luca in Le Chant de la carpe éditions José Corti
Interprétation : Marie-Lise Naud, Maxence Rey, Carlotta Sagna
Création sonore et interprétation guitare électrique Nicolas Losson
Création lumière Cyril Leclerc
Costumes Sophie Hampe
laRegard extérieur Corinne Taraud
Visuel Delphine Micheli