Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

Bambina. Du sexe, du pouvoir et de la cause des femmes.

© Philippe Hanula

© Philippe Hanula

Le Rubygate, une affaire de prostitution de mineures au cours de parties fines dans lequel l’ex-président du Conseil italien Silvio Berlusconi était compromis, a fait beaucoup de bruit voici une dizaine d’années. La comédienne et autrice Serena Reinaldi en fait le point de départ d’un spectacle où elle règle ses comptes à propos du sort fait aux femmes.

Un Récamier occupe une grande partie de la scène. Une paire de chaussures à talons est exposée en pleine lumière. Une jeune femme entre. Elle est la propriétaire des chaussures, la call-girl qui a ébranlé le pouvoir. Jeune fille mineure au passé difficile, elle s’est trouvée mêlée aux soirées très privées d’un politicien dont le nom n’est pas divulgué mais que chacun identifie sans peine. Elle raconte. Sa vie. Son travail d’hôtesse de boîte de nuit. Sa participation à des soirées très rémunératrices où des jeunes filles mineures accompagnent des hommes du milieu politico-financier. Un monde où l’argent peut tout acheter. Un monde où tout se monnaye, y compris le silence. Ce qu’elle a fait car celui qu’elle fait chanter est au faîte du pouvoir. Elle se trouve compromise dans une affaire de vol. Il use de son pouvoir pour la faire libérer, de peur qu’elle balance tout. Mais la justice a la dent dure. Écoutes téléphoniques compromettantes, interrogatoires poussés, contradictions successives révèlent la réalité de cette affaire de prostitution de mineures.

© Philippe Hanula

© Philippe Hanula

Une voleuse de cœurs au destin rocambolesque

L’histoire que nous raconte cette femme est calquée au départ sur l’affaire qui mêla Karima El Mahroug dite Ruby Rubacuori (la « voleuse de cœurs ») et Silvio Berlusconi. Malgré les dénégations de la jeune fille quant à des relations sexuelles qu’elle aurait eues avec le président du Conseil – elle aurait cependant reconnu sa participation à ces soirées très spéciales et reçu des « enveloppes » et des bijoux –, l’interception légale des conversations téléphoniques est accablante et Berlusconi est condamné pour avoir eu des rapports sexuels avec une mineure et avoir abusé de ses fonctions pour la faire libérer – il avait faussement fait valoir qu’elle était la nièce du président égyptien Hosni Moubarak et plaidé un possible incident diplomatique. Un peu plus tard cependant, il fait appel et est blanchi par la Cour d’Appel au motif qu’il ignorait, déclare-t-il, avoir eu affaire à une mineure. Quant à la jeune femme, lorsque l’affaire éclate en 2010, elle s’est construit une nouvelle vie avec un patrimoine financier aux origines mystérieuses sur lequel la justice italienne enquête…

© Philippe Hanula

© Philippe Hanula

Le côté sordide de la force

Si l’affaire fit le miel de la presse italienne et internationale, c’est l’autre face qu’en montre Serena Reinaldi en enfilant les talons et les robes sexy de Ruby : l’histoire d’une jeune femme qui lassée des rebuffades de la vie, décide, parce qu’elle est très jolie, de tirer profit de la seule chose qu’elle possède – son corps – avant d’aller plus loin en monnayant son silence. Avec un mélange de ruse paysanne et de cynisme, et sur l’autre face le plaisir illusoire d’une vie de paillettes et de luxe ponctuée par l’oubli de soi que procurent la drogue et l’alcool, elle se glisse dans la peau de la poupée qu’on a créée exprès elle, chiffon de tissu malléable qui, s’il brille dans la lumière, souffre dans l’obscurité. Non seulement de ne pas exister plus qu’une potiche ou un bibelot, mais aussi de se plier et de subir le rôle pas toujours enviable qu’on lui fait endosser. Défilent en arrière-plan, comme pour souligner le propos, les images pas très roses de prostituées et de leurs clients. D’ailleurs dans le procès dans lequel elle est apparue, c’est elle qui paye, d’une certaine manière, les pots cassés. Elle devient une cible de la presse à scandale, ramenée à son seul statut de prostituée dont on veut lui voir continuer le rôle, et son suborneur s’en tire…

© Philippe Hanula

© Philippe Hanula

Une femme pour toutes les femmes

Serena Reinaldi suit pas à pas le sort de cette jeune femme devenue proie à qui l’on demande des détails croustillants jusqu’à ce que l’actualité se détourne d’elle pour passer à autre chose, mais elle va plus loin. Elle transforme sa victime en Némésis vengeresse. Car Ruby a une revanche à prendre sur ces hommes qui sont passés sur son corps comme d’autres hommes sur le corps d’autres femmes. La voici à la tribune prônant une revanche des femmes, les appelant à la révolte. Son appel à l’insurrection, qui rappelle les slogans tels que « Notre corps nous appartient », passe par le refus de l’autre statut que la société reconnaît aux femmes : celui de faire des enfants. Dire non à la maman comme à la putain. On pense à Lysistrata, cette pièce d’Aristophane où les femmes se révoltent contre la domination des hommes et entreprennent une grève du sexe pour faire cesser les guerres incessantes auxquelles se livrent les « mâles ».

© Philippe Hanula

© Philippe Hanula

Une actrice habitée

Maniant tour à tour la séduction et la révolte, aguicheuse en montrant qu’elle en utilise les artifices, avide de reconnaissance et déstabilisée et traversée de doutes sur la manière de s’opposer au personnage qu’on veut créer pour elle, Serena Reinaldi campe une femme qui se cherche pour échapper aux idées toutes faites sur les femmes. Mobile, virevoltante, opiniâtre, volcanique, habitée, elle arpente les terres de la révolte comme la scène, nous entraînant sur les terres du féminisme d’aujourd’hui, agressif, radical, parfois jusqu’au-boutiste, non sans prendre quelque distance avec les tendances Femen. Au-delà du portrait au vitriol d’une société machiste qui ne dit pas son nom et dont les médias se font les porte-parole, elle nous dit aussi qu’une solution peut être trouvée, mais qu’elle n’est en aucun cas l’apanage de l’un des deux genres. Elle ne passe pas par la lutte à mort mais par le respect mutuel, la communication et le partage d’êtres conscients de leurs responsabilités et animés par la volonté de changer. Alors, en attendant que naisse cette société radieuse, acceptons-en l’augure…

Bambina de et avec Serena Reinaldi

S Mise en scène Sébastien Rajon Avec les voix de Christophe Alévêque, Laure Portier, Sébastien Rajon S Costumes Sarah Colas S Enregistrement des voix Laurent Balot et Alexander Maxwell S Musique Pigmy Johnson S Images Alexandra Lang S Vidéaste Frédéric Bremond S Lumières Florent Barnaud

Théâtre Lepic - 1, avenue Junot 75018 Paris

Les mardis à 19hoo

Réservations à partir de 17h au 01.42.54.15.12 ou billetterie@theatrelepic.com

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article