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Arts-chipels.fr

Que du bonheur (avec vos capteurs). Quand le mentalisme et la magie naviguent sur internet.

Que du bonheur (avec vos capteurs). Quand le mentalisme et la magie naviguent sur internet.

Ce spectacle qui mêle magie, mentalisme et réseaux sociaux offre un condensé à la fois fascinant et inquiétant des dérives possibles de notre monde connecté en même temps que proie des infox.

Pour seuls accessoires sur la scène, un téléphone portable, un écran d’ordinateur et une table sur laquelle est disposé un jeu de cartes. Le personnage qui regarde rentrer les spectateurs ne se distingue en rien du public. Ni cape de magicien, ni accessoire extraordinaire, ni costume à poches ou à manches larges qui permettraient de dissimuler un accessoire qu'on tire ensuite subrepticement de sa cachette. Il se présente comme vous et moi, sans décorum, en jeans et en baskets.

Bien sûr, le premier tour qu’il propose est un tour attendu avec un jeu de cartes : une carte qu’on sort et qu’on replace dans le jeu que naturellement, humour oblige, le manipulateur retrouve après avoir simulé une erreur… Pour faire bonne mesure, notre magicien nous explique comment le tour fonctionne, il nous en dévoile le « truc ». On nage en eaux tranquilles, on avance en terrain connu, mais l’entrée en matière n’est là que pour mieux nous abuser...

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

En circulant dans les circonvolutions du cerveau et la magie des connexions

Voici que notre Monsieur-tout-le-monde aborde le sujet des possibilités et des limites de notre cerveau en matière de mémorisation de séquences des 54 cartes qui composent le jeu avec lequel il a ouvert la séance. Ce n’est plus une mais deux ou trois cartes qui sont retirées et un petit détour historique nous signale que ces manipulations auraient pu nous valoir le bûcher pour sorcellerie au XVIIe siècle, avant de devenir « magie » au XIXe et de rejoindre le rang des « sciences » – entendez matières compréhensibles par la raison – à notre époque. Continuant sur sa lancée, Thierry Collet nous explique pourquoi et comment il est possible, aujourd’hui, de communiquer avec un homme décédé en 1992 en chatbot (via un robot avec lequel on chate). Car le robot utilise les informations accumulées sur le mort pour se substituer à lui et engager la conversation, avec un niveau de pertinence de plus en plus grand et une finesse de plus en plus accrue à mesure que les intelligences artificielles de nos ordinateurs évoluent. La nouvelle « magie » ira puiser dans les informations accumulées par les Google et autres réseaux la matière nécessaire à nous bluffer et à nous faire prendre les vessies pour des lanternes.

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Des tours connectés

Nous voici mûrs pour comprendre – ou tout au moins concevoir – le caractère intrusif des informations connectées qui circulent sur la Toile et la manière dont le mentaliste nous suggère leur utilisation . Internet va permettre à Thierry Collet, en choisissant un spectateur dans la salle, de savoir quelle boisson il consomme de préférence hors de chez lui – ici en l’occurrence un buveur de bière – en retrouvant en moyenne combien de fois il en commande, quel type de bière et en quelles quantités chaque fois. Il nous fournit même le nom du bistrot dans lequel notre buveur s’attable de préférence. Le mouvement est lancé. Usant tantôt du mentalisme pour deviner à qui appartient un portefeuille choisi parmi quatre autres avant de faire de même avec les autres, tantôt des informations fournies par les réseaux sociaux, il nous entraîne dans un monde où manipulation mentale et manipulation informatique se rejoignent pour produire l'illusion, à la manière dont un prestidigitateur créerait devant nos yeux des images à la frontière du réel et de l'imaginaire.

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Troubles et tremblements

Vient un moment où le spectateur ne sait plus où il s’aventure. Utilisé comme partenaire dans différents tours, est-il simplement « victime » de la manière dont son comportement est analysé, décrypté par le mentaliste qui lui fait face ? Les tours sont-ils truqués grâce à des comparses répartis dans la salle ? et le recours au dark net, cette partie cachée d’internet dans laquelle circulent les informations interdites, des ventes d’armes au trafic de drogue, cet univers dans lequel naviguent des geeks qui craquent les systèmes de cybersécurité et piratent les données, que le magicien-mentaliste demande à un comparse situé hors du lieu de représentation d'effectuer, est-il dans le spectacle le moyen d’offrir un accès aux informations que tout un chacun considère comme de l’ordre du privé ? Thierry Collet ne lève aucune ambiguïté.

Intelligence artificielle et répliques

On navigue en eaux troubles, entre viol de la vie personnelle et dérives possibles de l’intelligence artificielle qui permet à la machine d’anticiper vos réactions, voire même de les précéder ou de les remplacer en vous dupliquant grâce à un logiciel en mesure de créer une réplique numérique de vous non seulement visuelle mais dotée de la capacité de s’exprimer aussi en vos lieu et place. Le piratage s’attaque à la forme et à son contenu et le sentiment de vous appartenir vous quitte. Cette plongée dans un monde où illusion et réalité se confondent et jouent au jeu des substitutions a un certain piment. Elle provoque l’émerveillement et la fascination, mais suscite aussi l’inquiétude, tant on touche du doigt les incursions qu’opère à notre insu – même lorsqu’on nous a mis en garde, c’est une chose de savoir, une autre d’éprouver concrètement cette forme de dépossession de soi – la mise en réseau que nous pratiquons tous les jours. Le spectacle, réussi, présente, bien sûr, une version soft et limitée de cette confiscation par d’autres de soi-même. Celle-ci n’en est pas moins tangible. Si le spectacle est une invitation à nous rendre compte des manipulations dont nous sommes l’objet, il pourrait aussi avoir pour morale un adage bien connu : pour vivre heureux, vivons cachés…

Que du bonheur (avec vos capteurs)

S Conception et interprétation Thierry Collet S Mise en scène Cédric Orain S Assistanat à la création et interprétation Marc Rigaud S Production déléguée Le Phalène Coproduction Maison de la culture d’Amiens, La Comète Scène nationale de Châlons-en-Champagne, La Villette (Paris), Le Granit — Scène nationale de Belfort, Théâtre-Sénart Scène nationale. S Soutien Hexagone Scène nationale du Meylan Arts et Sciences, Maif Social Club, L’azimut — Antony/Châtenay-Malabry S Les effets magiques ont été conçus à partir des travaux de Theodor Annemann, Martin Eisele, Mark Kerstein, Alan Rorrison, Colin Mc Leod, Peter Turner, Dai Vernon. Les applications utilisées durant le spectacle sont accessibles en téléchargement : Replika, Qlone, Scan 3D, Wecheer, Scandypro S Partenaires : la compagnie Le Phalène est conventionnée par la Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Île-de-France / Ministère de la Culture et de la Communication et est soutenue par la région Île-De-France. S Thierry Collet est artiste associé à La Comète, Scène Nationale De Châlons-en-Champagne depuis septembre 2014, à la Maison de la Culture d’Amiens et est partenaire de La Villette dans le développement du Magic WIP. S Coréalisation Théâtre du Rond-Point S Spectacle créé les 15 et 16 octobre 2019 à la Maison de l’Université de Rouen

Théâtre du Rond-Point 2 bis avenue Franklin-Roosevelt – 75008 Paris

Tél : 01 44 95 98 00. Site : www.theatredurondpoint.fr

19 – 23 octobre 2021, 20h30 & 26 octobre – 6 novembre 2021, 19h (sf dim. & lun.)

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