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Arts-chipels.fr

Traverse ! Voyage au coin de ma rue et de celle des autres.

Traverse ! Voyage au coin de ma rue et de celle des autres.

Il y a mille et une manières de conter une histoire. Et mille et une manières de la créer. Traverse ! en explore de très diversifiées, du collectage et de l’interview à la mémoire populaire ou aux discours, du conte ancré dans la réalité à l’imaginaire sur lequel il débouche, et du théâtre à la danse ou au chant. La compagnie La Volige, implantée dans le Haut Val de Sèvre, fait de son festival un lieu de rencontres et d’échanges mêlant spectacles en scène, représentations éclatées dans des lieux insolites et chez l’habitant.

Pendant vingt années, la Communauté de communes du Haut Val de Sèvre, à mi-chemin entre Niort et Poitiers, a porté un festival consacré aux arts de la parole. Contes en chemin a programmé des conteurs venus de tous horizons dans des lieux non théâtraux et à destination d’un public familial et de curieux de passage. Le plaisir de se retrouver ensemble y accompagne le partage d’un moment de spectacle. Confiée en 2019 à la compagnie La Volige et sous l’impulsion de Nicolas Bonneau et Fanny Chériaux, la programmation accueille des formes issues de la création contemporaine au sein des arts du récit. Artistes prometteurs et confirmés s’y côtoient dans une ambiance chaleureuse où s’exprime une grande diversité de propositions.

Je me maquille pour ne pas pleurer

Je me maquille pour ne pas pleurer

Works in progress, women on stage au banc d’essai

Cette année Traverse !, en soutien à la création contemporaine, faisait une place au spectacle en train de se faire à travers des propositions aussi diversifiées que la vie même. Les Déesses – une place des femmes à parité revendiquée par le festival dans la programmation – mettaient en scène des problématiques plus spécifiquement féminines. La première, un duo féminin de Pauline Letourneur, prenant appui sur la Women’s Pentagon Action, une manifestation féminine qui s’est déroulée à Washington en 1980, s’articule autour du genre et de l’engagement politique des femmes. Le second, Je me maquille pour ne pas pleurer, s’introduit dans les affres quotidiennes d’une jeune mère (Héloïse Desrivières) élevant seule son enfant. Se réfugiant dans le maquillage et les produits de beauté comme dans des paradis artificiels, elle se débat au milieu des dorures et des rêves de star d’une apprentie sirène dont la queue de coquillages ne masque pas le désarroi ni les efforts désespérés d’échapper à la dépression qui guette. À travers Épervier(s), où se rencontrent danse et théâtre, la compagnie Le Théâtre au corps remonte aux blessures de la petite enfance, dont le souvenir reste cuisant même après le passage à l’âge adulte. Le spectacle montre comment, au travers d’un événement anodin – des enfants poursuivant une petite fille pour la forcer à embrasser le plus moche de la classe – se développe un traumatisme dont aucun des participants, vingt ans après, n’a mesuré la portée. Quatorze millimètres, de Sandrine Bourreau, nous présente le portrait attachant et sensible d’une femme fracassée par un cancer du sein. Elle nous fait mesurer l’atteinte que représente cette mutilation, ce sentiment de perte de son corps de femme, d’abandon face à l’adversité et de vacuité de la vie qu’elle provoque, mais aussi l’espoir fou qui surgit lorsqu’on pense que l’amour revient. Un récit à la première personne plein d’émotion. À travers Venise, Fannytastic s’interroge sur le reflet que nous propose le miroir et, par-delà, la société. La richesse de timbre de cette chanteuse, passant du grave à l’aigu en fonction de l’accent des textes, intéressants, qu’elle écrit, laisse augurer d’un devenir à suivre. Enfin, comme il n’y a pas non plus de femme sans homme, c’est au tour de Marien Tillet de raconter l’histoire de Deux sœurs au destin tragique, quelque part dans le sud-ouest de l’Irlande, à proximité d’une mine de cuivre. Le fantastique se mêle à ce qui pourrait bien ressembler à une chasse aux sorcières, dans une atmosphère où peur et folie sont les deux mamelles d’une forme d’hystérie collective rapportée par un jeune ethnologue. On se laisse entraîner dans ce thriller énigmatique et fascinant, très élaboré, assez noir, où la perte de repère de l’individu noyé dans le groupe et la violence aveugle qu’elle peut entraîner croisent le fil d’une histoire rapportée, passée de main en main, au filtre d’un récit toujours indirect, où réflections et réflexions forment un tissu d’interrogations sur nos comportements potentiels.

La vie rêvée des eaux usées

La vie rêvée des eaux usées

Du côté du terroir

Au côté de ces formes présentées à des degrés divers d’achèvement, des spectacles constitués étaient aussi présentés. Parmi les pistes explorées, on retrouvait des réminiscences de terrains connus. Le conte, c’est celui qu’on se raconte tous les jours, celui qu’on se rapporte de bouche à oreille, que les anciens colportent et transmettent à de plus jeunes qui les transmettront à leur tour. Ils ont un goût de terroir, parfois, ils fleurent bon les traditions locales, ce petit quelque chose qui donne à l’air une densité particulière et à la langue un goût à nul autre pareil. C’est le cas lorsque Michèle Bouhet et Koldo Amestoy (Cie de la Trace) font se rencontrer les cultures poitevine et basque dans le Caillou dans la chaussure ou quand Daniel Lhomond fait rouler les pierres chantantes de son accent périgourdin là où « parfois les pas vous portent où vous ne savez pas… un coup à rencontrer les esprits errants », dans une histoire qui place un gabarrier périgourdin et un quidam venu de Louisiane pour un enterrement sur une embarcation où s’échangent les souvenirs. L’Estrambord propose ainsi une dégustation où « blanche et noire est la vie qui passe », où les souvenirs acadiens de la Nouvelle-Orléans et du Québec font valser exotisme et érotisme, où pléonasmes et anagrammes, glissements de mots l’un vers l’autre se doublent d’images telle qu’une carte « frivolant » au vent qui passe ou de l’évocation d’un individu au cerveau incertain qui n’a pas « tous ses fagots à l’abri ».

J’ai toujours voulu présenter la météo marine mais la place était prise par Marie-Pierre Planchon.

J’ai toujours voulu présenter la météo marine mais la place était prise par Marie-Pierre Planchon.

La vie comme elle vient…

Le conte s’ancre aussi bien dans notre vie de tous les jours. Il est celui du quotidien le plus trivial, où le thème des eaux usées – avec le collectif Vie rêvée des eaux usées – fournit la matière d’une dérive instructive et divertissante où se mêlent relationnel et imaginaire. Il s’intéresse à la politique, et plus particulièrement aux femmes politiques, avec une rencontre entre Nicolas Bonneau et Noël Mamère (Une vie politique, Cie La Volige). Il peut prendre la forme de nos passions, en musique, avec Chloé Lacan et son spectacle autour de Nina Simone, J’aurais aimé savoir ce que ça fait d’être libre, où elle évoque les souvenirs liés à la chanteuse qui accompagnent son enfance et sa transformation. Hélène Palardy, conteuse et chanteuse rock, elle, donne du biopic qu’elle consacre à Janis Joplin, une vision intime et décalée. Il nous projette dans nos plaisirs filmiques avec Règlement de comptes où Achille Grimaud tente d’entrer en interaction avec un western à travers un dispositif qui projette des images dans l’espace du jeu. L’évocation du quotidien ne serait pas parfaite sans l’évocation de notre avenir – les horoscopes sont un must de la presse. Catherine Pierloz, avec Tarot Conte, se mue en diseuse de bonne aventure pour déchiffrer les cartes qui s’ouvrent sur vos questionnements secrets. Quant à Babette Largo, petit bout de femme à l’humour ravageur, elle se glisse dans la peau d’une chargée de mission du territoire dont elle stigmatise gentiment les poncifs et la langue de bois avant de se plonger dans le projet d’une jeune adolescente stoppée dans ses élans avec J’ai toujours voulu présenter la météo marine mais la place était prise par Marie-Pierre Planchon. Elle nous plonge avec bonheur dans la poésie des vents de force 7, des mers « grosse à très grosse », des avis de tempête et des échelles de Beaufort tout en convoquant la Lorelei et en savonnant son commentaire sur les « passades orageuses » et les « mâles dominants ». Ça glisse, ça glisse et ça dérape de plus en plus. Du « Chers amis, bonjour ! » du Jeu des mille francs aux coups de foudre chez le coiffeur rapportés par les auditeurs du courrier du cœur et aux obsédés pour qui le moindre sourire est une invite, on glisse insensiblement vers l’ensemble des poncifs véhiculés sur nos ondes pour finir en apothéose sur une évidence magnifique : « Bon courage aux femmes battues ! »

Règlement de comptes

Règlement de comptes

Ces contes qui hantent nos enfances

Dans l’armoire aux souvenirs, Barbe bleue occupe une place de choix, mais il a changé d’allure. Dans son château, il fournit la matière d’un fait divers. Dans Sous peine de poursuite, Pierre Desvignes se croque en passionné de Barbe bleue confronté aux réticences des habitants du village face aux disparitions mystérieuses qui se produisent. Pauvre Barbe bleue, confronté à son image désastreuse qui croise la route d’une petite fille dans Barbe Blues. Élodie Mora y fait le portrait d’une petite fille timide qui devient, avec l’aide de son père, une vraie bagarreuse, Coud’boule, qui écrase tout sur son passage. Marien Tillet revient, quant à lui, sur une autre figure de monstre des contes enfantins : l’ogre. Dans le Dernier Ogre, il crée une mise en abîme de la figure de l’ogre dans notre société contemporaine. Deux histoires se mêlent et alternent. La première reprend l’épisode bien connu où le Petit Poucet et ses sept frères sont hébergés par l’Ogre. Mais celui-ci est le narrateur et voit l’arrivée des sept garçons comme une intrusion intempestive. Il projette de les détruire dans le souci de protéger ses sept filles, identifiées par leur couronne, qui dorment à côté. La suite est connue, mais apparaît ici toujours à l’envers. L’horrible Petit Poucet subtilise les couronnes et en coiffe ses frères et lui-même. Et l’Ogre mange ses propres filles. La seconde est rapportée par un citadin qui rêve d’une autre vie avec sa famille et entreprend un retour à la nature. Mais bientôt cet idéal de vie louable et très végétarien se fissure. Bientôt suivra l’interrogation sur le terme d’ogre et le fait de manger de la chair… Dans ce spectacle troublant à plus d’un titre où le récit s’échappe du conte pour enfants pour atteindre une vision d’adulte où l’inquiétude le dispute à l’effroi, d’extraordinaires scènes dessinées à l’eau, en fond de scène, tissent le fil entre les deux histoires et se détériorent au fil de la désintégration des certitudes.

Le Dernier Ogre

Le Dernier Ogre

Convivialité, une composante indissociable…

Le tableau ne serait pas complet sans ce qui fait le lien de toutes ces programmations, si diverses, si éclatées qu’il est difficile de les cataloguer. Si l’oralité et l’adresse au public, abolissant le quatrième mur, sont des constantes, elles ont pour corollaire la qualité de l’accueil. L’ambiance est chaleureuse et décontractée et le boire et le manger en sont partie prenante. Acte artistique, le Festival est aussi un acte social. C’est dans cette perspective que se situent les Transversales où, chaque soir à partir de 19h, sous le chapiteau transformé en caf’conc’, musique et chants, improvisation ou portraits d’habitants selon les humeurs accompagnent les spectateurs. C’est l’autre volet d’un projet qui tient à cœur à Nicolas Bonneau : faire revivre les nombreux cafés qui créaient autrefois le lien social et ont aujourd’hui disparu. Les conditions incertaines de l’organisation du Festival Traverse ! cette année, compte tenu de la situation sanitaire, n’ont pas permis d’imaginer un tel revival, mais la préoccupation demeure. Et l’expérience des années précédentes montre que faire revivre ces lieux de rencontre, même occasionnellement, peut inciter les collectivités publiques à aider à les réactiver. Notre époque, de plus en plus numérique, tend à donner fallacieusement l’idée de communautés sans contacts. Gageons que des initiatives telle Traverse ! apporte un autre éclairage et suscite l’envie de recréer un lien bien mis à mal par le récent confinement.

Deux sœurs

Deux sœurs

L'équipe Traverse ! Nicolas Bonneau et Noémie Sage : Direction artistique et production | Guillaume Toulet, directeur technique | Angèle Pied, chargée de production, des relations publiques et des bénévoles | Zoé Jarry, chargée de production | Rosalie Laganne, administratrice| Lila Gaffiero, chargée de communication| Marine Cossou, chargée de l’accueil des professionnels| Fannytastic, artiste complice | Catherine Guizard - La Strada & Cie, attachée de presse | Guillaume Dujour, la cantine mobile, cuisinier itinérant | CÉLINE Giroux, présidente de la Volige | Damien Dubrulle, trésorier de la Volige | Le personnel de la communauté de communes Haut Val de Sèvre | Le personnel de l’Union régionale des foyers ruraux du Poitou-Charentes.  Festival Traverse ! Du 8 au 13 juin 2021 Journée professionnelle le jeu. 10 juin Communauté de communes Haut Val de Sèvre www.festival-traverse.fr

La communauté de communes Haut Val de Sèvre est l’initiatrice du festival Contes en Chemins, qu’elle a porté pendant 20 éditions. Festival reconnu des arts de la parole, Contes en Chemins a programmé des conteurs reconnus au niveau national et émergents, à destination d’un public familial d’habitants et de curieux de passage, avant de devenir Traverse ! en 2019.

Deux sœurs. S Écriture, jeu et violon : Marien Tillet   TOURNÉE : S 28 oct. 2021 : Théâtre de Cluny (71), dans le cadre du festival Contes givrés S 20 jan. 2022 : La Rampe, scène conventionnée d’Échirolles (38) S 9 au 20 mai 2022 : Théâtre Dunois, Paris (75013) S Contact : Camille Bard camille.2c2bprod@gmail.com

Le Dernier Ogre. S Texte, mise en scène et récit : Marien Tillet S Scénographie et live painting : Samuel Poncet S Composition musicale et guitare : Mathias Castagné S Création sonore et régie générale : Simon Denis S Régie en alternance Mathias Castagné S Avec : Marien Tillet, Samuel Poncet, Mathias Castagné S Contact : Camille Bard camille.2c2bprod@gmail.com

Quatorze millimètres S Texte Catherine Michaud S Mise en scène Marc Marchand S Avec Sandrine Bourreau S Contact My Events OAP : myevents.oap@gmail.com

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