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Arts-chipels.fr

L’un de nous deux. Travestir sans trahir la vérité historique.

L’un de nous deux. Travestir sans trahir la vérité historique.

A travers le passionnant dialogue de deux personnages politiques de premier plan, Georges Mandel et Léon Blum, une traversée en zigzag de l’histoire qui mène de l’affaire Dreyfus à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Juin 1944. Un écran en fond de scène diffuse des informations en langue allemande. Une vue du camp de Buchenwald lui succède tandis qu’au premier plan, dans un décor de salon sans personnalité s’installent deux personnages. Le premier c’est Georges Mandel, l’ancien thuriféraire de Georges Clemenceau dont le buste trône sur une commode. L’autre est Léon Blum. Il porte avec lui la photographie de son inspirateur et modèle, Jean Jaurès. Nous sommes dans un pavillon de chasse d’Himmler. Les deux hommes ont été « lâchés » par le gouvernement de Pétain comme otages de l’Allemagne. Ils sont placés sous la garde d’un officier francophone supposément infirme qu’une compassion inexprimée pousse à proposer des ouvrages de Voltaire et Hugo aux deux prisonniers.

© J. Stey

© J. Stey

Des histoires croisées

Mandel et Blum ont des caractères opposés. A la pondération tranquille de Blum, toute en nuances et en compromis, répond la morgue colérique de Mandel et ses jugements à l’emporte-pièce. Au ton cultivé de Blum, ancien critique à la prestigieuse Revue blanche avant d’entrer en politique, renvoie la raideur quasi militaire de Mandel et son impatience. Blum a été président du Conseil dans le gouvernement du Front populaire en 1936, Mandel, engagé très tôt en politique, s’est battu au côté de Clemenceau pour la réhabilitation de Dreyfus et a été son chef de cabinet avant de devenir, dans les années 1930, ministre des Postes, Télégraphes et Téléphones, puis ministre des Colonies en 1938, avant de passer à l’Intérieur en mai 1940. Opposé à la politique de collaboration établie par Pétain, il tentera de s’enfuir vers le Maroc, à bord du Massilia, avec des membres du gouvernement pour organiser la résistance « officielle » que De Gaulle, depuis Londres, mène sans légitimité. Un coup à gauche, l’autre à droite : on ratisse large côté otages.

© J. Stey

© J. Stey

Un dialogue à fleurets pas toujours mouchetés

La confrontation de ces deux opposants irréductibles a toutes les allures d’un débat politique qui ne pourrait avoir lieu si les deux hommes, au lieu d’être prisonniers dans un même lieu, restaient chacun dans leur camp, emportés par la polémique et les nécessités de leur parti. Leur confinement et leur relation d’homme à homme les pousse au dialogue, même si leurs positions demeurent irréconciliables. Chacun titille l’autre et met à nu les contradictions et difficultés de choix qu’engendre le fonctionnement politique : la non-intervention officielle de la France en faveur des républicains espagnols, le passé socialiste de Pierre Laval, la politique coloniale de Mandel, la répression impitoyable des luttes ouvrières, la distance entre la SFIO et le Parti communiste… Les arguments fusent avec brio. Mais les deux hommes se rejoignent sur des positions communes : la nécessité de s’opposer à l’Allemagne nazie et la fierté nationale. Bien que tous deux soient d’origine juive, ils se sentent avant tout Français. « Il n’y a pas de communauté juive, dit Mandel. Ce sont les autres qui nous l’assignent ». Et même si leurs positions face à la judéité sont divergentes – Blum est d’un sionisme modéré – ils ont conscience de leur responsabilité à s’affirmer d’abord en tant que Français. C’est la raison pour laquelle, en dépit des mises en garde qu’ils ont reçues, ils sont restés sur le territoire national. Pour qu’on ne puisse les soupçonner de fuir.

© J. Stey

© J. Stey

L’un de nous deux

Si Mandel et Blum furent en effet otages et détenus, après des parcours différents, près de Buchenwald, au moment où le débarquement de Normandie était couronné de succès – des vues de villes détruites par les Alliés prises par les informations allemandes sont projetées sur l’écran – l’histoire, telle que la raconte la grande Histoire, s’arrête là. Le dialogue des deux hommes est une création de Jean-Noël Jeanneney, nourrie il est vrai par les déclarations et prises de position des deux hommes au fil du temps. L’auteur joue avec une grande maîtrise sur le triple terrain de la vérité historique, de la vraisemblance et de la fiction. L’assassinat, par la Résistance, de Philippe Henriot, chantre de la collaboration sur Radio-Paris avant de devenir secrétaire d’Etat à l’Information et à la Propagande et l’exécution, en représailles, de l’un des otages appartiennent à l’Histoire, mais la position des deux protagonistes de la pièce face à cet assassinat est du domaine d’une invention de l’auteur. Dans ce jeu entre la vérité des faits et l’interprétation, fictionnelle, s’inscrit une forme de définition de l’Histoire et du travail de l’historien qui, d’une certaine manière, bouche les trous de l’énoncé en remplissant les vides. Le fait d’avoir choisi deux acteurs, Christophe Barbier et Emmanuel Dechartre, tous deux liés par ailleurs à l’Histoire – l’un par son activité de journaliste, l’autre par son appartenance familiale – ajoute à la saveur de cette spéculation historique qui se choisit comme sujet.

L’un de nous deux - Mandel / Blum de Jean-Noël Jeanneney

Mise en scène : Jean-Claude Idée

Avec : Christophe Barbier, Emmanuel Dechartre et Arthur Sonhador

Costumes : Sonia Bosc. Décor et lumières : Jean-Claude Idée. Son et vidéo : Olivier Louis Camille

Petit Montparnasse, 31, rue de la Gaîté - 75014 Paris

Reprise à partir du 16 septembre 2020, du mardi au samedi, 21h, dim. à 15h30.

Tél : 01 43 22 77 74. Site : www.theatremontparnasse.com

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