12 Septembre 2020
Quand trois actrices choisissent de parler du traitement fait à l’intimité des femmes, il en résulte un spectacle réjouissant, enlevé et plein d’humour.
À l’heure où éclatent nombre d’affaires de harcèlement sexuel, où les femmes, reprenant le flambeau de leurs aînées des années 1960-1970, se radicalisent à nouveau et placent la revendication féministe sur le terrain des Femen, des Balance ton porc et des MeToo, se pose avec acuité la question : c’est quoi, être femme ? En 2021, après la pilule et la loi sur le droit à l’avortement, quand des avancées conséquentes ont modifié le sort des femmes, quand la parité – quoique malaisément parfois – se met en place ? Delphine Biard, Flore Grimaud et Caroline Sahuquet s’interrogent et nous réinterrogent sur ce qui reste encore à faire en partant du plus intime de la femme : son utérus.
Quand « l’origine du monde » est au cœur du débat
Tout y passe, à commencer par l’examen gynécologique. Après un détour par l’Antiquité, on y découvre l’inventeur américain du speculum qui expérimenta sur ses esclaves noires les premières versions de cet instrument désagréable qui n’a guère changé depuis l’origine. Adultes référents nécessaires pour un avortement de mineures, visites embarrassées des femmes – se laisser toucher n’est pas un acte neutre, ou est-ce seulement la manière dont on le voit qui modifie l’approche ? -, discours pontifiants ou condescendants de certains médecins, sexisme, attouchements parfois, voire même demandes de fellations comme le raconte une des femmes, fausses couches, aspiration du fœtus, place en crèche… jusqu’aux méfaits du Distilbène, prescrit pour limiter le risque de fausse couche, qui entraîne des malformations génitales et des répercussions possibles sur trois générations… la liste est longue des avanies que doivent subir les femmes dans leur corps comme dans leur existence quotidienne.
La libération par le rire
On aurait tort de croire que cette énumération de turpitudes flanque le moral à zéro. Elles ont la pêche, les trois donzelles qui endossent tour à tour tous les costumes des personnages qui composent cette fresque menée tambour battant. À trois, elles vont jouer une cinquantaine de personnages : ceux qu’elles ont rencontrés au cours de l’enquête qui a donné naissance au spectacle, des femmes, des médecins, mais aussi des personnages historiques, ou des personnalités marquantes telle Benoîte Groult qui fut une égérie de la cause féminine. Elles exagèrent la gestuelle de leurs personnages, se gaussent avec humour des petits travers de chacun, sautent du coq à l’âne avec une bonne humeur communicative. Avec son petit côté agit-prop réalisé à partir de récup’, ses panneaux fixés par des pinces sur un bout de corde et ses chaises en formica années 1960, ce spectacle qui se positionne comme « nature » et sans apprêt apporte, dans la joie et la bonne humeur, matière à réflexion sur la manière dont les femmes se vivent et dont les hommes, d’où qu’il se placent, vivent la féminité.
Speculum de et avec Dephine Biard, Flore Grimaud, Caroline Sahuquet
Collaboration artistique: Kelly Rivière. Musique: Mia Delmae. Création lumière: Camille Pawlotsky. Vidéo: Hélène Merlin. Graphisme: Lionel Souquière. Photos: Matthieu Robert
Manufacture des Abbesses – 7, rue Véron, 75018
Du 28 août au 10 octobre 2020, jeu., ven. et sam. 19h (sf 12 sept. et 3 oct.)
Tél. : 01 42 33 42 03. Site : www.manufacturedesabbesses.com