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Arts-chipels.fr

Je ne vous aime pas. Lorsque des « paroles données » se nichent au creux du théâtre, la vérité est au bout du chemin.

Je ne vous aime pas. Lorsque des « paroles données » se nichent au creux du théâtre, la vérité est au bout du chemin.

Un insolite trio féminin nous parle avec sensibilité et humour, le rire au bord des larmes, de la vraie vie et du théâtre dans la vraie vie.

Une comédienne qui a eu des jours plus fastes débarque dans un village de province où ne lui est offerte qu’une salle des fêtes comme lieu de représentation. Elle, c’est l’Actrice, la Parisienne précieuse, bobo, petit couvre-chef rouge vif assorti à ses chaussures et veste à l’avenant, qui offre des chocolats à 90 % de cacao et des bouteilles de prix, qui a fait partie de la troupe de la Comédie française. Celle qui l’accueille, la Programmatrice, très Madame tout-le-monde avec sa robe fleurie digne de nos grands-mères, a l’air renfrogné et bougon de ceux que la vie n’a pas gâtés. Le lieu où elles se retrouvent est une épave, une salle encore jonchée de cadavres de bouteilles de bière et de vieux papiers froissés.

© Pascal Gely

© Pascal Gely

Le théâtre et la vie

Peu à peu les deux femmes se dévoilent et la situation s’éclaircit. Dans ce village du bout du monde avec ses 900 habitants qui ne connaissent du théâtre que les comédies et les farces style Fourberies de Scapin, la Programmatrice a dû manœuvrer avec une belle obstination pour faire venir l’Actrice. Elle a dû circonvenir la conseillère culturelle, par ailleurs hôtelière d’un établissement plutôt modeste, comme le souligne l’Actrice, pour faire venir ce spectacle dont on ne sait quel il est, mais seulement qu’il ne correspond pas à la « pratique » théâtrale des habitants. L’Actrice, avec son mépris souverain et ses attitudes de star, commet toutes les gaffes, s’enfonce chaque fois un peu plus dans la goujaterie et finit par provoquer la colère de la Programmatrice. C’est l’heure des règlements de compte. Sans plus de détour, elles finissent par se balancer à la figure des phrases bien senties qui puisent leur origine dans un passé de crasses réciproques qu’elles se découvrent commun. Pas de quartier. Ça fuse, chacune monte sur ses ergots, jusqu’au retournement final.

© Pascal Gely

© Pascal Gely

Paroles données

Comme une voix off matérialisée par une présence, une troisième femme apparaît. Elle ne dialogue pas avec les deux autres mais livre une parole solitaire, tirée des rencontres faites par la metteuse en scène lors de sa résidence en Picardie. Sa vie, elle la raconte sans fard, avec ses mots, ses expressions dont l’authenticité ne trompe pas. L’hostilité avec laquelle les paysans l’ont accueillie, elle, cette étrangère qui épouse un agriculteur, le refus non voilé de la famille, la difficulté qu’elle a eue malgré son désir de changer de vie, son attachement au cul des vaches et ses rêves de boutiquière. Elle est une sur scène mais probablement multiple. Elle livre des paroles émouvantes parce que sans apprêt, dépourvues de toute volonté de paraître, vraies face à la comédie-drame que se jouent l’Actrice et la Programmatrice. Elle est le contrepoint de l’artificialité et du monde de faux-semblants que charrie le théâtre.

© Pascal Gely

© Pascal Gely

La vérité du théâtre

Dans la mise à nu à laquelle se livrent les personnages au fur et à mesure que la pièce avance, se dévoile aussi le théâtre tel qu’il est perçu par ceux qui le font : les acteurs. La Programmatrice dit les illusions perdues, le rêve de théâtre qui tourne court et se transforme en eau de boudin, la réalité de bien des carrières avortées. L’Actrice dit la difficulté qu’il y a à se glisser, soir après soir, dans les paroles d’un autre, au point que dans la vie courante, on ne sait plus si l’on reprend une réplique déjà écrite ou si on utilise son expression propre. La difficulté d’être en permanence un autre et de ne plus savoir si on existe au-delà de ces identités d’emprunt. Elle révèle la fragilité que donne le fait de ne pas être aimé pour soi-même mais pour le personnage qu’on incarne. Le sentiment de n’être rien, au fond, que les multiples costumes qu’on endosse.

La légèreté affectueuse et pleine d’humour, la compassion et une compréhension de l’intérieur caractérisent l’écriture de Pierre Notte. Cette pièce ne fait pas exception à la règle. Je ne vous aime pas est en réalité une belle déclaration d’amour au théâtre dans son rapport avec le réel.

Je ne vous aime pas de Pierre Notte avec la complicité de Marianna Wolfsohn

Mise en scène : Marianne Wolfsohn

Avec : Nathalie Bécue, Silvie Laguna et Marianne Wolfsohn

Assistante mise en scène : Ophélie Koering. Coach action : François Rostain. Costumes : Donate Marchand, assistée de Emmanuelle Huet. Menuiserie-tapisserie : Marianne Cantacuzène, Michèle Maupin. Lumière : Elodie Tellier

Théâtre Artéphile – 5 bis-7 rue du Bourg-Neuf, 84000 Avignon

Du 7 au 26 juillet 2022.

Tél : 04 90 03 01 90. Site : https://artephile.com

 

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