13 Juin 2021
La compagnie Légendes urbaines affectionne de débusquer, dans la manière de décrire la « banlieue », les présupposés masqués derrière l’apparente objectivité de la description. Elle récidive de belle façon en pénétrant de manière fictionnelle dans le journalisme en train de se faire.
Un plateau nu que viendront animer, au fil du spectacle, des plateaux montés sur roulettes sur lesquels se déroulera le making off de l’information. Au fond, un panneau servira d’écran de projection. Le point de départ ? une scène de l’été 1981 aux Minguettes, dans la banlieue lyonnaise. Ce soir-là quelque chose craque. De juillet à octobre, les « cités-dortoirs » se révoltent. Des centaines de voitures sont incendiées et de violents affrontements opposent les jeunes aux forces de l’ordre. Stupeur et tremblements dans ce pays nouvellement acquis par la gauche. Surmédiatisés, les événements mettent en pleine lumière le « malaise des grands ensembles ». La banlieue constituera dès lors un sujet récurrent pour les actualités.
Montage et démontage de l’information
On se souvient de la phrase de McLuhan – « Le message c’est le médium » – manière de dire que ce médium, justement, fabrique de toutes pièces l’information qu’il diffuse, reconstruit le réel, crée du mythe. C’est ce mythe même que la compagnie interroge en renvoyant dos à dos des extraits de reportages télévisés et le questionnement sur ce qui les a suscités et sur la manière dont ils ont été traités à l’image. Ainsi émerge le thème de l’absence totale des femmes de certains lieux et la caméra se promène dans des rues où elles rasent les murs, silhouettes noires cachées dans leur hijab, tandis que les hommes occupent les terrasses des bistrots. Dans le même reportage, la journaliste introduit ces groupes de femmes qui résistent, tentent de faire bouger les lignes, font irruption dans les bistrots, filment en caméra cachée des hommes pour qui la place de la femme n’est pas dans la rue car « on n’est pas à Paris ici ». À partir de là, on remonte le fil. Pourquoi les seuls endroits montrés sont-ils peuplés de Maghrébins et d’Africains ? Est-ce seulement l’islam qui est en cause ? Ne peut-on trouver d’autres exemples dans d’autres milieux ? On remonte la piste du « faire vendeur ». Les cadres sup’ ça nous ramène trop à nous, c’est gênant. Donc on retourne au sujet rassurant de l’islam repoussoir. Ça ne veut pas dire que c’est entièrement faux, qu’il ne peut pas y avoir une part de vérité. Mais, prenant appui sur une inquiétude qui peut conduire à toutes les dérives, l’information érige en généralité ce qui est cas particulier. Le fait divers devient fait de société.
L’actu en train de se faire
Cette démonstration qui emprunte les voies du journalisme – les médias sont aujourd’hui au cœur de notre perception du réel – elle va se faire in situ, devant nos yeux, par les moyens d’un théâtre qui ne se contente pas de mettre en scène le making off de l’information mais le recrée à son tour pour le rendre signifiant. Le plateau de théâtre se mue en salle de conférence de rédaction où se débattent et se forment les sujets, en lieu de tournage où l’on visualise à la fois le tournage entrain de se faire et son rendu sur un écran, en témoin loin d’être innocent qui interroge les reportages déjà diffusés par les chaînes pour y traquer le sens sous-jacent, implicite que le reportage induit.
Le plateau, plaque tournante de tous les échanges
Le théâtre devient lieu de fabrication et de réflexion et se montre lui-même. Les accessoires sont à vue, saisis au fil de la narration par les acteurs, manipulés par eux. Les comédiens se glissent tour à tour dans la peau des personnages filmés et dans celle de ceux qui les filment, filment en direct des images qui apparaissent sur l’écran, discutent éthique et réalité, proposent un autre regard de ces « hors-champ » supposés qui peuplent la banlieue et qui sont l’autre monde des grandes villes. La scène devient aussi lieu de fiction dans lequel se raconte le pourquoi imaginé du choix des sujets. Vivacité et humour malicieux gouvernent ce spectacle qui interpelle le spectateur. Il s’achève sur une forme artistique emblématique des banlieues, le rap – un autre regard dans la galaxie des manières de voir – et des chants kabyles de femmes revendiquant leur liberté. La Douce France de Charles Trenet appartient à tous.
Et c’est un sentiment qu’il faut que nous combattions, je crois
Écriture collective dirigée par David Farjon
Mise en scène David Farjon
Scénographie Léa Gadbois-Lamer
Lumière Laurence Magnée. Dispositif technique Jérémie Gaston-Raoul
Avec Samuel Cahu, Magali Chovet, David Farjon, Sylvain Fontimpe, Ydire Saïdi, Paule Schwoerer
Du 9 au 13 juin 2021 au Théâtre Paris Villette - 211 avenue Jean-Jaurès - 75019 Paris
Les mercredi 9, jeudi 10, samedi 12 juin à 20h, le vendredi 11 à 19h, le dimanche 13 à 15h30
Site : www.theatre-paris-villette.fr
Du 7 au 29 juillet à 18h40 au 11 à Avignon (relâches les 12, 19 et 26 juillet)
EN 2022
3 & 4 février 2022 : Théâtre Gérard Philipe, Champigny-sur-Marne
24 mars 2022 : Théâtre Jacques Carat, Cachan
31 mars 2022 : Les Bords de Scènes, Juvisy-sur-Orge
2 avril 2022 : Ecam – Espace culturel André Malraux, Le Kremlin-Bicêtre