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Arts-chipels.fr

La véritable histoire du cheval de Troie. C’est un long chemin que l’exil…

© Alexandra de Laminne

© Alexandra de Laminne

Reprendre l’Illiade et l’Énéide pour en comprendre l’universelle leçon et l’éclairage que le mythe apporte au temps présent, tel est le propos de cette fable qui résonne singulièrement aujourd’hui.

Un homme se tient immobile en fond de scène. Chapeau façon melon vissé sur la tête, petit complet noir avec gilet serré, manteau sur le bras et valise en carton à la main. Il est démodé, confit dans un temps qui n’a pas d’âge, celui des émigrés partis de toute éternité avec leur peu de biens. Sur une chaise un accordéoniste attend. Tous deux vont nous offrir un étrange récital, alternant le français pour la partie parlée et une langue qu’on ne peut identifier sinon à ses échos d’Europe centrale pour la partie musicale. Le chant enfle et la musique lui répond. Nous ne comprenons pas ce que chante l’homme à la valise mais de la musique sourd comme une longue plainte, une mélancolie à vous arracher l’âme. Au sol, un kilim évoque l’Orient pour rappeler que Troie fut une ville d’Asie Mineure.

Troie, l'une des références de notre culture

L’homme à la valise nous raconte l’histoire des dernières heures de la cité fabuleuse de Troie. Il nous rappelle les dix années de guerre et la ruse des Grecs qui feignirent de se retirer, abandonnant sur le rivage un gigantesque cheval de bois rempli de soldats en armes, les hésitations des Troyens à faire entrer le monstre dans la ville et la ruse qui les pousse à le faire. « O mon peuple de Troie, mon peuple de fous, quatre fois le cheval a cogné les murs, quatre fois un bruit d’armes et de fer a retenti dans son ventre et nous n’avons rien arrêté ». À la nuit, les soldats cachés dans le ventre du cheval ouvrent les portes de la ville aux Grecs qui reviennent, et c’est le massacre, puis la fuite d’Énée, promis par les dieux à un nouveau destin, son père sur son dos et son fils à la main. Une histoire connue qu’on a plaisir à retrouver. Fidèle au texte de Virgile dans la traduction de Paul Veyne, Claude Brozzoni en conserve la poésie délicate tout autant que l’expression de la fureur meurtrière des Grecs.

© Alexandra de Laminne

© Alexandra de Laminne

Quand la guerre s’est installée, se souvient-on de ses origines ?

La sauvagerie engendre la sauvagerie et la vengeance une autre vengeance sans que remonte à la mémoire, parfois, ce qui déclencha le conflit. Comprendre comment on en est arrivé là nécessite de se rafraîchir la mémoire. Pour la guerre de Troie, c’est remonter à l’histoire de Pâris. Abandonné sur le mont Ida par ses parents à qui les dieux avaient annoncé que l’enfant serait la cause de la chute de Troie, il est miraculeusement sauvé – on ne peut rien contre le destin défini par les dieux. Devenu petit pâtre, il est choisi par Jupiter-Zeus pour mettre fin aux querelles des femmes de son entourage et désigner la déesse la plus belle. Dans l’Olympe de Virgile, les dieux sont latins : les trois « candidates », Junon, Minerve et Vénus se disputent la pomme d’or qu’Héra, Athéna et Aphrodite avaient déjà convoité. Pâris choisit Vénus (qui fut aussi la mère d’Énée) : elle lui a promis la femme la plus belle, Hélène, épouse de Ménélas, roi de Sparte. Une femme pour des milliers de victimes et une guerre qui n’en finit plus.

L’art de conter

À la manière des aèdes antiques ou des griots africains, Guillaume Édé, endosse tous les rôles. Il raconte, bruite, chante, danse et interprète tous les émois et les effrois, et tous les personnages, les dieux et les hommes. Il rentre dans leur peau tout en les commentant, joue les faux naïfs, exagère sa gestuelle, se déhanche, grimace et se tord, traduit le fracas des armes et l’horreur du massacre. Claude Gomez, à l’accordéon, ponctue l’action. La musique se fait convulsive dans le fracas des armes, les notes s’étirent interminablement sur la fuite et le chemin de l’exil.

© Alexandra de Laminne

© Alexandra de Laminne

D’hier et d’aujourd’hui

Même si l’histoire est celle de Troie qui va devenir la proie des flammes, d’autres histoires se racontent. Lorsqu’enfants nous lisions l’Illiade, les interminables scènes de bataille rapportées par Homère restaient abstraites. Elles résonnent aujourd’hui concrètement de sinistre façon dans les conflits dont le pourtour méditerranéen est le siège. Le récit et les personnages incarnent l’histoire grecque archaïque, mais aussi d’autres temps, d’autres lieux. Les chansons intercalées dans le texte – en romani et en macédonien, un paradoxe quand on connaît les rapports tendus entre la Grèce et la Macédoine, en dépit de l’histoire qui les lie à travers Philippe de Macédoine et Alexandre le Grand  – pourraient tout aussi bien appartenir aux traditions d’Europe centrale ou au folklore juif. Elles confèrent au spectacle une étrangeté qui nous fait naviguer vers un ailleurs indéfinissable mais néanmoins présent. Énée est devenu une silhouette à la Chagall et son compère, Tchavalo, personnage imaginaire de musicien des rues créé par Claude Brozzoni, qui revient dans nombre de ses spectacles, s’est invité. Quelques bateaux de papier comme en font les enfants qui jouent dans les flaques d’eau naviguent sur le tapis. Ils figurent la flotte grecque tout autant que les boat people des exilés. Des navires auxquels on refuse le droit d’accoster, dont on rejette de port en port le lot de réfugiés.

Sans tambour ni trompette ni fracassantes prises de position, le metteur en scène adopte le point de vue des perdants. Il nous raconte la chute de Troie à travers leurs yeux, mais aussi l’histoire immémoriale de ces familles chassées par la guerre et qui peinent à trouver refuge. L’ensemble forme un spectacle attachant où se joue la belle éternité du mythe et la permanence de son actualité.

La Véritable histoire du cheval de Troie, textes de Virgile et Homère

Mise en scène et adaptation : Claude Brozzoni

Avec : Guillaume Édé, Claude Gomez

Composition musicale : Claude Gomez

Scénographie : Élodie Monet

Les Déchargeurs, 3, rue des Déchargeurs– 75001 Paris

Du 2 septembre au 16 décembre 2019, les lundis à 21h.

Tél : 01 42 36 00 50. Site : www.lesdechargeurs.fr

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