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Arts-chipels.fr

La Conférence des oiseaux. Des volatiles et des hommes. L'essence du théâtre.

© Laurent Schneegans

© Laurent Schneegans

Il était une fois un texte mythique, aux multiples facettes. Guy Pierre Couleau en donne une version riche de signification et d’images. À découvrir et explorer sans tarder.

Il est de certaines pièces que leurs mises en scène ont rendues légendaires. C’est le cas de la création, présentée à Avignon en 1979 par Peter Brook, de la Conférence des oiseaux. Produit d’une lente maturation et d’un travail collectif de plusieurs années avec une équipe de comédiens venus du monde entier, elle a constitué, durant des années, une référence insurpassable. Trente années se sont écoulées et Guy Pierre Couleau, à sa manière, a repris le flambeau. De belle manière.

Un texte légendaire

Le texte dont la pièce écrite par Jean-Claude Carrière est issue est lui-même une œuvre unique, tant dans la structure de son récit que dans son contenu philosophique. Ce conte soufi, écrit par un Persan au XIIe siècle, met en scène une société d’oiseaux qui se cherchent un roi, une raison d’être au monde. Un roi, pour faire quoi quand on sait le pouvoir de nuisance que certains ont eu ?, dit l’un d’eux dans le spectacle. Un roi pour exister, pour trouver l’armature, la colonne vertébrale de leur vie. Trente mille oiseaux donc, partirent selon la légende, sous la conduite d’une huppe – l’oiseau qui fut le messager entre Salomon et la reine de Saba –, trente ils arrivèrent après avoir surmonté bien des épreuves et traversé les sept vallées menant au Simorg, l’oiseau divin que les hommes ne peuvent contempler. Tout au long du voyage, ils parlent par énigmes, racontent des histoires, évoquent leur nature d’oiseau aux caractéristiques si humaines.

© Laurent Schneegans

© Laurent Schneegans

Un espace hors du temps qui dit le théâtre

Lorsque le spectacle commence, au fond de la scène, s’éclaire une série de tables de maquillage, comme des loges où les comédiens se préparent. Dans les miroirs se reflètent les spectateurs qui leur font face. C’est là que chacun va trouver le masque d’oiseau qui lui est attribué, là que se prépare l’action, là que se met en place l’espace de la représentation. À l’avant du plateau en revanche, seuls sont posés quelques bancs et un tapis de sol rouge, qui délimitera, chaque fois, l’espace du spectacle que se donnent les oiseaux, des récits emboîtés les uns dans les autres, comme ils les proposent au public. Nous sommes dans l’univers de la représentation et chacun des oiseaux-acteurs parle pour les autres comme pour le public. Le théâtre se raconte lui-même dans cette mise en abîme des histoires qui s’emboîtent l’une dans l’autre telles des poupées gigognes. Les acteurs en seront les conteurs.

© Laurent Schneegans

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Un texte initiatique

Nous voici transportés dans ces romans de voyageurs tels le Décaméron ou dans l’enchaînement sans fin des Mille et une nuits. Mais la fonction de ce texte est toute différente. L’expérience que les oiseaux vont vivre est un voyage initiatique. Dans leur quête d’un roi, ils ne trouveront qu’eux-mêmes car leur vérité est le miroir dans lequel il se reconnaissent. Les épreuves qu’ils traversent sont autant de moyens de cette prise de conscience. Sept vallées pleines d’épreuves les attendent. Sept, en soi un nombre symbolique. Il renvoie à la vie éternelle chez les anciens Égyptiens, est celui de la Cosmogonie, du nombre de jours dans lequel l’univers fut formé. Sept sont aussi les péchés capitaux, sept les têtes de la Bête de l’Apocalypse, sept les couleurs et les jours de la semaine, sept le nombre de circumambulations des pèlerins autour de la Kaaba à la Mecque. Sept seront donc les vallées où les oiseaux font l’expérience de soi.

Sept vallées philosophiques

Leur quête s’ouvre sur la vallée de la recherche. Puis viennent celles de l’amour, de la connaissance, du néant, de l’unité, de la stupeur pour finir dans celle de la mort. On peut y reconnaître les voies de l’apprentissage qui nous mènent de l’enfance à la fin de la vie, mais aussi la formation d’une individualité qui, après la phase purement perceptive, aborde aux rives de la connaissance qui entraîne l’impétrant vers la conscience de soi de la maturité, une conscience qui est aussi celle de sa juste place dans l’univers, entre le rien et le tout, avant de rejoindre, initiation suprême, le passage à l’intelligence pure, inaltérée, puis à l’éternel orient que donne la mort. Cela, les comédiens le matérialisent dans leur gestuelle en se dépouillant peu à peu de leurs mimiques d’oiseaux pour devenir progressivement des hommes, dépourvus de masque.

© Laurent Schneegans

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Des oiseaux très humains

C’est qu’ils ont une individualité, ces oiseaux. Il y a le moineau, conscient de sa petitesse et de sa fragilité, qui ne se sent pas capable d’affronter les épreuves. Il y a le faucon, à la pensée militaire comme son costume, qui cherche à servir, à se faire le bras armé de celui qu’il recherche. Il y a le paon, avec sa robe chatoyante et ses pieds déformés, qui symbolise les âmes perdues qui ont fait alliance avec Satan. Le rossignol, au chant divin, renvoie à l’amour. La perruche peureuse, qui craint de sortir de sa cage, cherche une fontaine de l’immortalité mais sans dieu. Le canard qui barbote dans sa mare hésite à la quitter pour traverser le désert aride de l’initiation. Quant au hibou, il aime les ruines et les trésors cachés. Tous ensemble, ils forment une cacophonie de sonorités, une galerie de mimiques d’oiseaux, battant des ailes avec leurs bras, picotant de leurs doigts leur poitrail, se déplaçant avec leur rythme propre. Mais ils incarnent aussi des attitudes très humaines où nous nous reconnaissons.

Un conte qui est le monde

Pour narrer cette histoire, Guy Pierre Couleau, comme Peter Brook avant lui, choisit des comédiens d’origines diverses. À eux tous ils symbolisent le monde, s’expriment aussi parfois dans des langues étrangères. À travers leurs récits emboîtés se dessine le monde tel que nous le connaissons. Le voyage des oiseaux, au-delà de la quête initiatique, c’est aussi celui des mouvements de population dont l’histoire est émaillée. Provoqués ou volontaires, ces départs, qui sont chacun des petites morts, des pertes, sont aussi porteurs d’aventures nouvelles. La mise en difficulté de soi, la remise en cause de ses propres valeurs conduit à la naissance d’une identité nouvelle qui a tiré les leçons de l’exil. Si l’on remonte le temps, nous sommes tous peu ou prou des exilés qui ont dû se construire une identité. L’oiseau de feu-Simorg n’est autre que le nouveau visage que nous prenons après être passés par ces épreuves. Et notre humanité doit se souvenir qu’à un moment de notre lignée, nous avons été des migrants, en route vers un monde que nous voulions meilleur.

© Laurent Schneegans

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La beauté des images

Ces considérations philosophiques ne seraient que de peu de poids sur la scène si elles n’étaient servies par la beauté des images. Une chorégraphie impeccable règle les mouvements de cette assemblée disparate. L’évocation d’un envol de papillons à l’aide d’éventails rouges – rouges comme le sang de la vie qui irrigue tout le spectacle et l’éclaire de bout en bout – est un moment de magie intense. Les masques sont à la fois légers, suggestifs et esthétiques. Les oiseaux traversant l’orage et affrontant la colère du ciel, peureusement regroupés sous des parapluies, offrent une scène savoureuse d’une cocasserie réjouissante.

Bref, plaisir des sens et plaisir de l’intellect vont de pair dans ce spectacle riche qui nous donne, en plus, matière à philosopher. Toute la magie du théâtre, en somme.

L’Absence de guerre de Jean-Claude Carrière, inspiré par le poème de Farid Uddib Attar « Manteq Ol-Teyr »

Mise en scène : Guy Pierre Couleau

Scénographie : Delphine Brouard

Lumières et régie générale : Laurent Schneegans

Masques Kuno Schlegelmilch

Musique : Philippe Miller

Accompagnement chorégraphique : Catherine Dreyfus

Avec : Manon Allouch, Nathalie Duong, Cécile Fontaine, Carolina Pecheny, Jessica Vedel, Emil Abossolo M’bo, Luc-Antoine Diquéro, François Kergourlay, Shahrokh Moshkin Ghalam, Nils Öhlund

Du 11 au 22 février 2019

Au Théâtre des Quartiers d’Ivry – CDN du VAL-DE-MARNE

Manufacture des Œillets, 1 place Pierre Gosnat, 94200 Ivry-sur-Seine - Métro: Mairie d’Ivry (L7)

Tél. 01 43 90 11 11. Site : www.theatre-quartiers-ivry.com

Les lun, mar, ven à 20h, jeu à 19h, sam à 18h, dim à 16h

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