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Arts-chipels.fr

Sandre, confession d’une Médée moderne. Magnifiquement gonflé !

(c) Marie-Elise Ho-Van-Ba

(c) Marie-Elise Ho-Van-Ba

Une femme a commis l’irréparable. Elle a tué son enfant nouveau-né. C’était pourtant une mère attentive et une épouse dévouée. Elle se penche sur son passé pour faire revivre, pas à pas, la descente aux enfers qui la dépossède d’elle-même et la mène sur les rives escarpées du meurtre.

Sur l’immensité de la scène se dresse, au centre, comme un plateau de petites dimensions, tout juste assez grand pour accueillir un fauteuil au velours fatigué et un lampadaire à l’abat-jour en cloche. Ils ne sentent pas l’aisance, se referment sur une vie étriquée. Et c’est bien de cette vie-là qu’il s’agit. La femme qui va se livrer devant nous s’est en effet enlisée dans une vie sans lustre, faite de petits plats qu’elle mitonne jour après jour pour son homme. C’est que sa mère lui a dit que le ventre revient toujours où on le nourrit. Alors elle suit l’adage à la lettre, accumule les recettes, les nourritures riches et les desserts. Et grossit. Et perd de son attrait. Un enfant, puis un autre, et l’affaire est pliée. Elle n’est plus qu’un sac de graisse attendant le retour de l’époux qui se glisse, sitôt arrivé, devant la télévision pour n’en plus bouger.

Et pourtant… pourtant, elle aurait aimé retrouver la flamme qui les animait lors de leurs premières rencontres, recevoir les petits cadeaux et les fleurs qu’il lui offrait – « On est deux, sinon on n’est pas entier. » Mais les temps ont changé et elle se contente de ce morne quotidien qui forme pourtant sa raison de vivre. « Je dérange pas », dit-elle à petite voix. Aussi, lorsque son mari lui annonce qu’il la quitte pour une autre femme alors qu’elle est enceinte de leur troisième enfant, tout s’embrouille dans sa tête… « Ça déraille, parfois, la vie… ».

(c) Marie-Elise Ho-Van-Ba

(c) Marie-Elise Ho-Van-Ba

Lui est Elle

C’est un comédien, Erwan Daouphars, qui joue cette femme en perdition qui voit sa vie sombrer et demeure impuissante. Étrangeté de cet homme qui se glisse dans la vie d’une femme, dans ses pas, dans sa tête et qui, d’un seul coup, donne un autre relief au texte. Seul sur ce minuscule morceau de scène d’où il ne peut s’échapper, il livre sa parole comme si elle était sienne, en restitue l’émoi quand il-elle évoque la rencontre des futurs époux, en adopte les inflexions douces et résignées quand elle est délaissée ou les éclats de colère qui montent crescendo lorsque l’époux fait la sourde oreille à ses propositions de voyage dans une tentative de retrouver un peu de la passion d’antan.

Erwan Daouphars est extraordinaire. De propositions retenues, de tentatives avortées, de résignations silencieuses, d’esquisses timides qu’il exprime tout en demi-teintes, de cet aveu du meurtre à peine évoqué, passé au filtre des propos des psychiatres qui, sans l’excuser, le dépouillent de l’horreur du contre-nature qui ferait de cette mère un monstre. Il dit et ce faisant, il est un homme qui regarde la femme en même temps qu’elle se regarde elle-même. Elle ne se justifie pas, parce que rien ne justifie un meurtre, mais explique cette dépossession d’elle-même qui la pousse, sans qu’elle soit en mesure de la maîtriser. Qu’un homme joue le rôle de cette femme ajoute à la complexité. Il nous interdit de juger en adoptant un seul point de vue, nous oblige à aborder toutes les facettes sans nous satisfaire d’aucune.

(c) Marie-Elise Ho-Van-Ba

(c) Marie-Elise Ho-Van-Ba

L’éclairage participe de cette juxtaposition de moments et d’attitudes contrastées. Doux, nimbant le visage du comédien lorsqu’il évoque les jours heureux, il se fait clair-obscur accentuant les reliefs du visage, donnant une dureté aux traits lorsque s’exprime la pulsion homicide. Le tour de force qu’accomplit le comédien, seul en scène durant près d’une heure trente sur un espace minuscule, ne serait que virtuosité si le texte qui le sous-tend ne dégageait cette humanité profonde qui nous interpelle et nous émeut.

Sandre devient le nom de l’enfant mort sitôt né car Sandrine est la femme par qui le malheur arrive. Encre couleur de cendre et de sang sortiront de la bouche de la mère meurtrière à la fin du spectacle pour dire l’horreur de son acte tandis que pleure la pluie qui goutte dans la chambre comme s’écoule l’amour défait.

Sandre de Solenn Denis (éd. Lansman)

Mise en scène : Collectif Denisyak

Scénographie : Philippe Casaban et Éric Charbeau

Avec : Erwann Daouphars

Spectacle présenté dans le cadre du focus « à la vie, à la mort »

Maison des métallos, 94 rue Jean-Pierre Timbaud – 75011 Paris

Du 27 mars au 8 avril 2018, du mardi au samedi, à 19h ou 20h (pour le détail, se reporter au site du théâtre), le dimanche à 16h.

Tél : 01 47 00 25 20. Site : www.maisondesmetallos.paris

En tournée

OCTOBRE 2018 : 9 ou 10 (à confirmer), Saint-Gratien (95) ; 25-28 (à confirmer), La Roche-sur-Foron

NOVEMBRE :13-16 novembre, Théâtre 140, Bruxelles (Belgique) ; 17, Eghezee (Belgique) ; 29,  Chapelle de la Congrégation, Poligny (39)

DÉCEMBRE : 1er, Centre culturel Jean-L’hôte, Neuve-Maisons (54)

JANVIER 2019 : 29 (à confirmer), Théâtre d’Agen (47)

31 janvier ou 5 février (à confirmer) : Théâtre d’Aurillac

FÉVRIER : 8-9 (à confirmer) : ATP de l’Aude, Limoux et Pennautier (11) ; 12, Théâtre des Bergeries, Noisy-le-Sec (93)

MARS : 8 (à confirmer), Centre culturel Aragon, Oyonnax (01) ; 14-15, Théâtre des Deux-Rives, Charenton (94) ; 19, Espace Carpeaux, Courbevoie (92) ; 26, Espace Jeliote, Oloron-Sainte-Marie (64) ; 28, Le Minotaure, Vallauris (06)

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