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Arts-chipels.fr

Hugo – L’interview. Et si les textes de Victor Hugo traversaient les siècles pour nous parler d’aujourd’hui ?

Hugo – L’interview. Et si les textes de Victor Hugo traversaient les siècles pour nous parler d’aujourd’hui ?

Telle est l’ambition de ce spectacle qui explore quelques thèmes de l’œuvre immense de celui qui fut tout à la fois le chef de file de la deuxième génération romantique, l’écrivain flamboyant que l’on connaît, l’homme politique dont les erreurs furent nombreuses et le tribun engagé que sa foi en l’humanité porta jusqu’à la fin de ses jours.

Utilisant un prétexte parfaitement artificiel, celui d’une interview radiophonique imaginaire qui, par-delà les siècles, ferait parler le mort – après tout Hugo faisait bien tourner les tables au cours des séances de spiritisme organisées à Jersey pour dialoguer avec les morts illustres – le spectacle imagine une interview imaginaire rassemblant plusieurs textes de l’auteur, poétiques mais surtout en prose. Invraisemblable, sans doute, mais ne sommes-nous pas au théâtre ?

Un parcours orienté à l’intérieur de l’œuvre

Extraordinairement abondante, protéiforme et diversifiée, l’œuvre de Victor Hugo ne se laisse pas facilement saisir. Le choix d’Yves-Pol Deniélou a été d’en rechercher l’actualité à partir de trois thèmes majeurs dont les terminaisons sont encore aujourd’hui d’une actualité brûlante : la laïcité, qui fait aujourd’hui l’objet de débats passionnés et contradictoires ; le romantisme dont la démesure assumée et l’intensité de vie concerne au premier chef une certaine jeunesse en mal de définition mais aussi, parfois, de vivre ; la défense de la liberté qui n’a jamais cessé d’être une revendication essentielle…

Retour sur l’enfance du jeune Hugo

Pour nous introduire dans l’œuvre, Deniélou choisit un long développement sur l’enfance de l’écrivain. C’est d’abord cette anecdote tirée de la Légende des siècles qui voit de jeunes enfants martyriser un crapaud qu’un vieil âne exténué épargne en l’évitant en dépit des coups que lui prodigue son maître, l’occasion pour le jeune Hugo d’une première prise de conscience de la bonté. Puis l’évocation de la vie familiale : une enfance au couvent des Feuillantines aux côtés d’un prêtre et de sa famille ; un père bonapartiste hébergeant un dissident royaliste ; une mère défiante à l’égard des prêtres convaincue de l’importance de la pensée et de la philosophie, sans rejeter toutefois complètement la religion. Un bain d’ouverture et de dialogue qui marquera durablement le jeune Hugo.

Hugo – L’interview. Et si les textes de Victor Hugo traversaient les siècles pour nous parler d’aujourd’hui ?

L’engagement romantique

Utilisant la préface de Marie Stuart – celle de Cromwell, qui passe pour le manifeste du théâtre romantique eût peut-être été plus judicieuse – le spectacle met en évidence ce qui caractérisa la position romantique : la préoccupation de se situer du côté de la vie, du côté du cœur comme de la tête, de la passion comme de la volonté. Joies et peines, réflexion et mouvement, rires et pleurs. Une alliance du bouffon et du tragique comme ressorts fondamentaux du drame romantique. À travers les considérations d’Hugo sur Shakespeare, ses commentaires sur Beaumarchais, Corneille ou Racine se dessine une conception du théâtre résolument neuve pour l’époque.

En revanche l’enjeu d’Hernani n’apparaît pas clairement et sans doute eût-il été utile d’utiliser le truchement de l’intervieweuse pour resituer le contexte : la première représentation de la pièce d’un jeune homme de vingt ans porté par une jeunesse contestataire qui patiente cinq heures dans une salle noire, jusqu’au moment où descendra le lustre (comprenez l’éclairage) pour bouffer du « parapluie » – entendez du bourgeois – c’est ainsi que la décrit Théophile Gautier dans les Jeunes France. Hugo devient le porte-drapeau de cette jeunesse qui prône le droit à l’amour, le mépris des choses matérielles, la révolte contre l’État bourgeois. Ça ne vous rappelle rien ? Celui qui voulait égaler Chateaubriand dans le génie devient le porte-drapeau et l’emblème d’une jeune génération avide de changer le monde…

Hugo – L’interview. Et si les textes de Victor Hugo traversaient les siècles pour nous parler d’aujourd’hui ?

Le tribun des grandes causes

Politiquement parlant, on pourrait sans être excessif dire qu’Hugo s’est trompé toute sa vie ou presque, mais avec une superbe et une honnêteté qui forcent l’admiration. Et il le reconnaît : « J’ai été, écrit-il tout ce qu’a été le siècle : illogique et probe, chrétien littéraire, bonapartiste libéral, socialiste à tâtons dans la royauté » (Actes et paroles, Avant l’exil). Il n’a pas non plus fait les choses à moitié puisque brocarder « Napoléon le Petit » – entendez Napoléon III qui, de Prince-Président de la République, s’auto-sacre empereur à la suite du coup d’état du 2 décembre 1851– lui vaut l’exil politique à Jersey puis à Guernesey.

Restent cependant du bonhomme, à défaut de sa contribution déterminante à la chose publique, une humanité que le spectacle souligne de bout en bout : dans ses appels répétés à la fraternité, dans sa révolte contre les religions coercitives et les fanatismes de tout poil, dans la plume acérée qu’il exerce contre les boursicoteurs et commerçants de même farine alliés au goupillon, dans sa croyance obstinée que l’éducation sauvera la société du naufrage, dans son désespoir face à la fracture entre riches et pauvres qui conduit à la catastrophe, mais aussi dans cette mystique du peuple dont il se veut le héraut, un peuple qui est « silence » et dont il sera « l’immense avocat ». « Je parlerai, écrit-il, des petits aux grands et des faibles aux puissants. Je parlerai pour tous les taciturnes désespérés. Je traduirai les bégaiements. Je traduirai les grondements, les hurlements, les murmures, la rumeur des foules, les plaintes mal prononcées, les voix inintelligibles, et tous ces cris de bêtes qu’à force d’ignorance et de souffrance on fait pousser aux hommes. » (l’Homme qui rit).

On pourrait, pour compléter le portrait, lui ajouter l’homme qui s’insurge contre le travail des enfants ou la condition féminine, fait de l’éducation un cheval de bataille et de la lutte contre la peine de mort une cause, mais aussi l’avocat des Communards vaincus dont, au retour d’exil, seul contre tous il réclame à voix haute la grâce. De toute sa force, avec l’énergie indomptable qui fut la sienne, Hugo ne cessa de se battre pour les grandes causes humanistes.

Hugo – L’interview. Et si les textes de Victor Hugo traversaient les siècles pour nous parler d’aujourd’hui ?

Hugo l’interview

Le spectacle, en prenant le parti d’une fausse interview à laquelle Hugo répond par un montage de textes enchaînés les uns aux autres sans qu’on puisse distinguer le passage entre eux, donne à entendre non seulement les messages qu’ils portent, mais aussi la musique poétique, inspirée quoique  ronflante et grandiloquente de cet empereur de l’alexandrin. Yves-Pol Deniélou est juste, sobre, rendant aux mots leur puissance, aux images leur pouvoir évocatoire.

Le principe cependant de l’interview laisse le spectateur sur sa faim. L’intervieweuse (en voix off) apparaît comme un simple accessoire destiné à relancer la machine plus qu’une deuxième voix qui complèterait l’autoportrait, et poserait, peut-être, des questions sur l’orgueil qui se dégage en sous-texte de ce discours de l’offrande. Et lorsque des pseudos-questions d’auditeurs interviennent, elles tombent comme cheveux en soupe, introduisant des diversions et des à-côtés souvent inutiles.

Mais l’essentiel est en Hugo. Messianique, irritant, maniant la langue comme personne, pompiériste grandiloquent mais grandiose, ânonné par des générations de têtes blondes penchées sur Roland à Roncevaux ou sur Caïn poursuivi par l’œil de sa conscience, universellement célèbre pour les Misérables ou Notre-Dame de Paris, il est tout cela à la fois et bien plus encore. L’un des mérites de ce spectacle est de nous remémorer ce qu’il fut aussi, un homme engagé tout entier, avec ses excès et ses défauts, avant tout dans la voie de la fraternité humaine.

Hugo – L’interview, d’Yves-Pol Deniélou, montage à partir de textes de Victor Hugo extraits de : la Légende des Siècles, le Dernier jour d’un condamné, les Contemplations, Actes et paroles (Avant l’exil), Choses vues, l’Homme qui rit, la préface de Marie Tudor, Histoire d’un crime, William Shakespeare, les Misérables, etc. Et avec un extrait de Chantecler d’Edmond Rostand.

Mise en scène : Charlotte Herbeau

Avec : Yves-Pol Deniélou

Théâtre Essaïon – 6, rue Pierre-au-Lard – 75004 Paris

Du 15 janvier au 1er mai 2018, les lundi et mardi à 19h30

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