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Arts-chipels.fr

Rétrospective César. Qu’il est bon de revisiter quelques pages fondamentales de l’histoire de l’art !

Rétrospective César. Qu’il est bon de revisiter quelques pages fondamentales de l’histoire de l’art !

Le Centre Pompidou présente la première rétrospective consacrée à cet artiste décédé voici tout juste vingt ans. L’occasion de se repencher sur ce qui le consacra dans les années 1960 –les Compressions – mais aussi d’apprécier la diversité de son œuvre et de découvrir des œuvres moins connues.

Des années 1950 aux dernières compressions datées de 1998, c’est une sélection représentative de près d’un demi-siècle de création qui est rassemblée pour l’occasion. Des premières figures animales réalisées au chalumeau à partir de métal de récupération aux dernières Compressions, moins denses que celles des années 1960 et repeintes aux couleurs des véhicules de la marque Fiat, l’exposition présente un échantillon des différentes formes explorées par le sculpteur, auxquelles il convient d’ajouter les Expansions à partir de polyuréthane, les Enveloppages de plexiglas ou le travail qu’il effectue à partir de moulages.

Une intelligente scénographie, qui traduit le mouvement de l’œuvre

César reprend cycliquement, parfois de manière parallèle, différentes phases plastiques d’un vocabulaire qu’il élabore en gros en moins de deux décennies entre les années 1950 et 1970. Il les reprend de manière récurrente en les transformant au fil du temps, ajoutant ou retranchant, utilisant l’aplat ou le 3 D, le support du mur ou celui du sol, réinterprétant sans cesse un scénario analogue en jouant sur la densité ou la couleur, le hasard plus ou moins contrôlé dans de petites pièces comme dans des réalisations monumentales.

La grande force de la scénographie est de rendre perceptible ce passage d’une période à l’autre sans rupture. L’espace, débarrassé des cloisons qui isolent généralement les différentes périodes d’une œuvre dans les rétrospectives, devient comme un immense hangar dans lequel on chemine en zigzag, au gré de ses envies. Les compressions des années 1960 se relient en diagonale à celles de 1998, les premières sculptures soudées voisinent avec les réalisations à partir de moulages des années 1970. On erre, librement, dans l’espace d’une réflexion en œuvre sur la nature de la sculpture et d’une exploration de ses limites. Le désir de l’artiste devient ainsi visible, lisible sans qu’aucun commentaire lui soit ajouté.

Rétrospective César. Qu’il est bon de revisiter quelques pages fondamentales de l’histoire de l’art !

Giacometti, Gonzáles et les autres

L’influence de l’auteur de l’Homme qui marche est sensible dans ces figures humaines décharnées et sans épaisseur composées de myriades de fils métalliques soudés qui disent leur origine de matériel de rebut, leur formation humaine de bric et de broc en même temps que l’importance du vide qui circule dans leur structure. Au-delà de la forme, reconnaissable, qui renvoie à un certain réel – un homme assis, un poisson, le squelette d’une chauve-souris – émane de la complexité des assemblages une grande force qui, paradoxalement, s’appuie sur la transparence. Bien vite, le vide et le plein se mettent à se combiner. La chauve-souris devient homme ailé, elle s’habille de matière compacte composée de plaques assemblées pour former des ailes en hommage à Léo Valentin, l’homme-oiseau qui se tue accidentellement en 1956, Icare des temps modernes puni d’avoir trop voulu approcher le soleil.

Travailler la matière même de la sculpture. L’envers et l’endroit

Les plaques se mettent à vivre. Elles disent la féminité ou l’hommage à la peinture. Quand elles rendent hommage à Nicolas de Staël, elles découpent la planéité de la surface en volumes parallélépipédiques. Quand elles évoquent la femme, elles se développent en courbes et en contre-courbes. Soudées, comme une continuité de la phase qui les précède, elles se colorent, non par l’adjonction de pigments mais par les teintes que prend le fer selon le degré de chaleur auquel il est soumis, et de l’enrichissement plus ou moins important de l’huile qui pénètre à l’intérieur du métal devenu poreux.

Au même moment, surgissent des figurations humaines, archétypales plus que se référant à des personnes réelles. Tantôt limitées à des torses, d’autres fois plus complètes comme cette Ginette aux seins lourds inconfortablement assise sur l’arête d’une plaque de travaux, elles acquièrent, de leur non définition volontaire, une présence très forte. Elles sont les indications d’un volume, heurté, malmené, du corps derrière lequel apparaît, au dos, une structure complexe de fils de fer, de boulons et d’alésages reliant entre elles différentes zones du torse, comme pour révéler l’unité de structure des parties additionnées, les relations étroites qui unissent le corps pour en faire un tout organique. L’accumulation des parties en un certain ordre associées, qui donne naissance à une série de poules toutes plus réjouissantes les unes que les autres avec leur barres mangées par la rouille, leurs filetages et leurs plaques tenant lieu de plumes, aboutit à une Fanny Fanny de 1990, une poule aux allures d’autruche montée sur patins à roulettes tandis qu’un œuf parfaitement lisse s’apprête à quitter son arrière-train.

Rétrospective César. Qu’il est bon de revisiter quelques pages fondamentales de l’histoire de l’art !

Revisiter : un leit-motiv

Comme pour tous ses développements ultérieurs, César revisite son œuvre métallique à la fin des années 1970. Il agrandit certaines œuvres anciennes et les réinvente. Le plâtre et l’élastomère ouvrent une voie au bronze brut et à son utilisation, soudée et patinée. À un tirage en bronze brut, l’artiste adjoint la soudure de déchets de bronze et de fer donnant à la pièce finale un caractère unique. De cette démarche procèdent les Poules patineuses (à partir de 1984) mais aussi des œuvres monumentales telles que le Centaure – Hommage à Picasso (1988), qui a pour visage la face même de César. Classicisme et modernité s’y allient comme dans cette Tête romaine (1966) qui emprisonne – image de notre société ?– le marbre de la tête dans un empilement anarchique de déchets ferreux.

D’une Compression à l’autre

Lorsqu’en 1960-1961, César crée un Portrait de Patrick Waldberg – un poète et historien de l’art proche du surréalisme – il ramène aux deux dimensions de la toile en les apposant sur un support vertical des pièces récupérées sur deux voitures, une Austin et une Renault. Ces voitures, d’abord comprimées, sont ensuite dépliées pour être placées sur le support. L’artiste, fidèle à sa technique d’utilisation du rebut, ajoute ici le hasard du pliage et les accidents du dépliage. Lorsqu’au Salon de mai 1960, il expose trois Compressions, issues d’une fréquentation assidue de la casse de Gennevilliers et regroupées sous le titre Trois tonnes, la radicalité de la proposition fait crier au génie comme au scandale tant le questionnement de la nature de l’art trouve dans ces réalisations une acuité nouvelle.

César utilisera la presse hydraulique et son fantastique pouvoir de réduction des objets – en l’occurrence des voitures – pour créer des objets-symboles de l’irruption de la société de consommation dans les années 1960, dont la voiture est l’emblème éclatant. Bientôt, le hasard se fait maîtrisé, le degré de compression intervient, sa mise en œuvre ainsi que le choix des éléments ouvrent la voie à des Compressions dirigées où la patte de l’artiste se fait de plus en plus présente. L’artiste poursuivra dans cette veine jusqu’à la fin de sa vie, alternant compressions à plat et compressions plus légères recouvertes de peinture.

Non contentes de se limiter au métal, les Compressions feront, à partir des années 1970 et jusqu’à la fin, des incursions ailleurs que dans l’automobile et le métal, utilisant le carton, la toile de sac ou les cagettes de bois.

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De la compression à l’expansion

Pendant inversé de la compression, les Expansions, qui portent la marque colorée de la fin des années soixante et des années 1970, utilisent, elles aussi le hasard contrôlé mais dans le domaine de la coulure. César utilise les propriétés d’expansion du polyuréthane qui, doté d’une vie propre, déborde des objets dans lequel il est versé et imprime, tout en rondeurs, des plis paresseux que des adjonctions postérieures viennent parfois déranger. Œuvres éphémères découpées et offertes au public en morceaux lors de leur création, elles deviennent pérennes avant d’être retravaillées, renforcées, poncées, laquées et de s’emparer des murs comme des sols après avoir squatté les objets. Encore une fois, César y reviendra à maintes reprises jusqu’à la fin de sa vie.

L’empreinte et la trace

Au moment où César laisse sa part au hasard dans les Compressions, il développe, grâce au pantographe, qui permet d’agrandir homothétiquement les objets en trois dimensions, une forme d’Expansion scrupuleuse qui, par la seule variation de l’échelle, donne aux sujets choisis une nouvelle vie, partiellement indépendante de leur modèle. Commençant par un moulage de son propre pouce pour l’exposition « La main, de Rodin à Picasso » (1965), plusieurs fois repris – en résine rose, en version dorée… – qui finira par atteindre 12 mètres de haut et dont une version sert de signal à l’entrée du Centre, il s’emparera ensuite d’un sein, d’un poing, d’une main dans toutes les variétés de matériaux possibles, du plastique au bronze, du marbre au verre ou à l’aluminium, du cristal à l’or. Par leur échelle qui excède le réel, ces traces de la présence humaine acquièrent un être-là manifeste et obsédant.

Rétrospective César. Qu’il est bon de revisiter quelques pages fondamentales de l’histoire de l’art !

La fossilisation des Enveloppages

Aux traces de l’homme répond l’inclusion sous plastique transparent de la multitude d’objets que charrie leur présence : téléphone, machine à écrire, chaussures éculées, ventilateur… Nous voici dans l’archéologie de la société, conservant sous un plexiglas plié à chaud en enveloppes translucides et fluides tels des plis de drapés les objets qui ont marqué leur époque, dérisoires témoins, humbles restes de ce qui s’est voulu une forme de civilisation. Ces pièces d’un âge révolu ont le côté attendrissant des vieilles choses, la poésie de ce grenier que notre mémoire renferme. Une fois de plus la sculpture intervient autant dans les choix des objets qu’elle fossilise que dans la manière dont elle les fait voir.

On l’aura compris, si l’exposition n’est pas immense, elle comporte néanmoins un éventail assez étendu pour permettre d’appréhender, au-delà de celui qu’on connaît essentiellement par ses Compressions, une œuvre qui vaut largement le détour.

César – La rétrospective

13 décembre 2017 – 26 mars 2018

Centre Georges Pompidou – Place Georges Pompidou – 75004 Paris

Ouvert tous les jours sauf le mardi 11h-22h

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