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Arts-chipels.fr

Sócrates. Un échange de balles en forme de match entre un footballeur et un philosophe.

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Cette rencontre improbable entre un footballeur brésilien et son presque homonyme du Ve siècle est l’occasion d’un savoureux échange sur la culture de la gagne et la démocratie.

Un homme vide bière sur bière dans un décor de caisses plastiques et de barbecue bricolé avec un container métallique scié en deux. Il se nomme Sócrates, un nom prédestiné sur lequel la pièce reviendra. Il a été un footballeur vedette du Brésil, un enfant terrible, un rebelle rétif à toute forme de discipline, un révolté fier de l’être qui a porté haut les couleurs de la liberté dans un pays alors sous dictature militaire. Il va entamer un dialogue avec un autre personnage, un vieux clochard anachronique, presque son homonyme, qui a traversé le temps : Socrate. Il est une autre icône, un philosophe grec surgi du passé, un autre « indépendant » réputé pour sa sagesse, dont l’enseignement public et la pensée libérée de toute croyance dérangèrent suffisamment le pouvoir pour qu’il ait été accusé d’impiété et condamné à boire un poison mortel. De Socrate nous n’avons pas d’écrits sinon ceux que ses disciples, Platon et Xénophon, rapportèrent, mais le personnage et sa légende ont franchi la barre des siècles.

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Une histoire hors du commun

Nommé Sócrates par son père, un autodidacte féru de philosophie et de culture grecques – deux autres de ses fils porteront les noms de Sophocle et de Sosthène – le jeune garçon montre des dispositions footballistiques précoces. Mais, encouragé par son père qui avait arrêté sa scolarité à dix ans, avant la fin de l’école primaire, et avait compris l’importance, pour s’en sortir, d’être instruit, il entame des études de médecine qu’il mènera à leur terme en parallèle avec sa carrière de footballeur, ce qui lui vaudra le surnom de « Docteur ». Pour réaliser son ambition, il refusera toute forme d’entraînement « traditionnel », continuera de boire et de fumer et préférera la fête avec les copains à l’abstinence programmée d’une vie « sérieuse » de joueur. Sa réputation de prodige et son exceptionnelle réussite lui permettront de passer à travers les mailles du filet de la « norme » imposée.

Une pièce, comme un match

À travers des allers-retours entre présent et passé, le parcours de Sócrates se découpe à la manière d’un match de foot en deux mi-temps, séparées par une pause et suivies de prolongations. La première partie fournit l’occasion de revenir sur son enfance et ses années de formation. Il y évoque en particulier l’installation de la dictature brésilienne en 1964 et les livres, en particulier Gramsci dont la pensée continuera de le hanter, que brûle alors son père de peur d’une arrestation. La mi-temps sera celle du repos et de la fête, l’occasion du partage. La seconde mi-temps abordera l’âge d’or de sa carrière au sein des Corinthians, qui est aussi celle de la résistance d’un groupe à l’oppression. Quant aux prolongations, elles le mèneront hors des frontières du Brésil, en Italie à la Fiorentina, où triomphe le foot spectacle et où le joueur se perd.

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Le football, un instrument du pouvoir

Ce que la pièce met en évidence, c’est le poids que fait peser le pouvoir sur le football brésilien. Opium du peuple, il a pour objectif de détourner les Brésiliens des conditions de la dictature et de réaliser une union sacrée du « peuple » autour de son football. Enjeu national, le football fait l’objet d’un contrôle permanent. Le salaire des joueurs, leurs conditions d’entraînement, leur admission dans un club dépendent d’un système corrompu et autoritaire où les joueurs sont des pions, pris au piège. Le sport est mis sous surveillance étroite et les allégeances des joueurs au pouvoir exigées.

Les Corinthians, un espace de résistance

Ce n’est pourtant pas la voie que choisissent les Corinthians, un club fondé en 1910 par un groupe d’ouvriers d’origines diverses – portugaises, italiennes, espagnoles – pour offrir un pendant populaire aux clubs huppés de São Paulo. En 1981, la présidence des Corinthians échoit à un jeune sociologue, Adilson Monteiro Alves, plusieurs fois emprisonné pour ses activités en tant que leader universitaire. Il proposera une forme révolutionnaire de cogestion du club par tous ses membres, joueurs ou pas, un intéressement aux recettes, une prise de décision collective. C’est pour le club un âge d’or, marqué par des gestes symboliques forts : le flocage du mot « Democracia » sur les maillots, des banderoles portées par les joueurs, une incitation à la population d’aller « voter » – sous-entendu pour faire barrage à la dictature. Les images d’archives, projetées sur un drap, illustrent le propos. Ce même drap deviendra toge dans laquelle se drape Socrate et dans laquelle il drapera Sócrates. La démocratie corinthiane et la démocratie athénienne apparaissent comme des échos l’une de l’autre.

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Un débat philosophique

Au moment où commence la pièce, en ce soir de 1982 en Espagne, l’équipe du Brésil a perdu contre l’Italie. Au lieu de jouer la sécurité – il suffisait au Brésil de faire un nul – le Brésil a continué à attaquer et a perdu le match. Mais Sócrates n’en ressent aucune tristesse car l’enjeu, pour lui, est la beauté du geste et non la gestion de la gagne. Plus importantes sont l’amitié, la camaraderie, la cohésion du groupe, qui procurent de la joie. Face à Socrate, qui ne conçoit pas la vie sans questionnement, tous deux se renvoient une balle qui passe par toutes les facettes de la vie de Sócrates, tant personnelles que politiques, tant positives que négatives. Si leur dialogue interroge les croyances du joueur, il ouvre la voie à un débat plus large sur la générosité et le don gratuit, opposés à une forme d’économie, rentable, de gestion, d’administration de la victoire, comme un élan qu'on arrête, réduit, restreint.

Il questionne aussi, sans toutefois aller au fond des choses, les limites entre intérêt individuel et collectif, ou entre démocratie et démagogie. Cet effleurement plutôt qu'une prise à bras-le-corps de notions fondamentales, la pièce les expose aux lycéens, silencieux et attentifs, qui formaient ce jour-là la masse des spectateurs. Avec pour enjeu de faire comprendre à ces jeunes, en partant de centres d’intérêts qu’ils ont en partage et qui leur « parlent » – et plus généralement au public – des notions complexes fondatrices de l’exercice du libre-arbitre. Margé des redites parfois, on ne peut que saluer cette pratique de la démocratie, populaire mais sans démagogie.

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Sócrates (Gagner ou perdre mais toujours en démocratie)

S Texte et mise en scène Frédéric Sonntag S Assistanat à la mise en scène Blaise Pettebone S Avec Marc Berman (Socrate) et Matthieu Marie (Sócrates) S Création vidéo Thomas Rathier S Création musicale Paul Levis S Création lumière Manuel Desfeux S Scénographie Anouk Maugein assistée de Paulie Bergogne S Création costumes Hanna Sjödin S Maquilleuse / Coiffeuse Pauline Bry S Régie générale en création Boris Van Overtveldt S Régie lumière Maëlle Payonne S Régie son / vidéo Mathieu Genevois S Administration, production, diffusion Pierre Reis & Valentina Viel (Bureau Formart) S Production AsaNIsiMAsa S La compagnie fait partie du collectif d’artistes « Les Intrépides » de la Scène nationale Alençon / Flers / Mortagne-au-Perche. Elle est conventionnée par la DRAC Île-de-France et par la Région Île-de-France au titre de l’aide à la permanence artistique et culturelle S Coproductions et résidences Théâtre Nouvelle Génération - CDN, Scène nationale d’Alençon- Flers-Mortagne-au-Perche, L’Échalier à Saint-Agil S Coproductions Théâtre du Champ au Roy S Résidences Points Communs - Nouvelle Scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise, Oui ! festival de théâtre en français de Barcelone, Théâtre de la Tempête, Théâtre Jacques Carat S Création en mars 2023 Scène nationale d’Alençon-Flers-Mortagne-au-Perche S Durée estimée 1h10

TOURNÉE

Novembre 2023 Théâtre Jacques Carat, Cachan (94)

Décembre 2023 Festival PIVO - Théâtre en territoire (95)

Du 12 au 20 décembre 2023, Théâtre de l’Échangeur – 59, av. du Général de Gaulle, Bagnolet (93).Mar.-jeu. 20h30, ven. 14h30, sam. 18h (www.lechangeur.org)

Janvier-février 2024 Théâtre de Thouars ; Théâtre de Cormeilles-en-Parisis ; Théâtre d’Aurillac ; Théâtre du Champ au Roy à Guingamp

Mars 2024 Théâtre de Brétigny (91)

Du 12 au 15 mars 2024 Théâtre Joliette, Marseille (13)

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