Les Dimanches de Monsieur Dézert. Des p’tits cailloux dans la mare à Godard…

L'histoire d'un clown sympathiquement décalé dans la grisaille du monde, ou l’art de faire de rien quelque chose.

À l’entrée dans la salle, il est là, nous invitant avec un bel accent méridional à prendre place, interpellant les spectateurs pour des motifs futiles, les faisant entrer dans son décor, papiers peints à demi arrachés qui affichent leur ruine, bureau de bric et de broc prolongé par un « plan » de travail reposant sur de vieux cartons ou des journaux. Un appartement à l’image de son occupant, qui passe son temps à le perdre. Une oisiveté sans grâce ni but qui verra reparaître celui qui l’a inspiré, Jean de La Ville de Mirmont, disparu à la veille de la Première Guerre mondiale, un jeune auteur qui raconte avec une ironie désespérée la vie sans perspective d’un jeune homme de vingt-sept ans.

Jean-Luc en vedette américaine !

Ici, Monsieur Dézert n’est pas ce personnage de l’avant-première Guerre mondiale portraituré par Mirmont mais un personnage d’aujourd’hui ou presque, qui joue avec l’espace et le lieu de la représentation et puise ses références dans un monde proche. Son univers, c’est le quotidien local et ses jeux-concours. Et le concours du jour consiste en une mise en images cinématographique du livre, que les lecteurs sont invités à transposer pour le septième art. On y croisera la figure de Godard et son phrasé caractéristique que Lionel Dray reprend avec une facétie jubilatoire. Il se plonge dans la langue de ce réalisateur emblématique de la Nouvelle Vague et dans sa manière caractéristique de déshabiller les situations pour faire du Godard : déconstruction, noirs, volonté de démystifier le contenu du cinéma, de dévoiler le processus à l’œuvre. La caméra devient personnage, artifice dévoilé dans un univers qui sombre de plus en plus inexorablement dans l’absurde.

Un clown triste dans un monde qui lui échappe

Sans relâche Lionel Dray recherche la connivence du public. Il dresse de Monsieur Dézert un portrait dérisoire en même temps qu’attendrissant. Cet homme à qui rien n’arrive, qui ne sombre pas dans la déprime alors que son monde est composé de riens et que son nom porte en lui le désert qui règne dans sa vie, il le croque à coups de gags et de gueule enfarinée. Comme une figure de vieux clown triste qui, à force de vouloir faire rire, engendrerait la mélancolie. Zigoto sans zèle, zéro maniant le zoom et le zygomatique, Dézert est une absence. Plus la vie semble s’acharner sur lui, plus les objets se jouent de lui et engendrent des catastrophes, et plus il oppose à ces dysfonctionnements son impavidité sans révolte. Aussi, même si les ficelles de la connivence peuvent sembler usées – elles sont un signe du temps en ce moment au théâtre où la nécessité de recréer du lien revient en force en même temps que partie indissociable de l'art du clown –, même si le temps, volontairement étiré pour faire partager au spectateur les attendus d’une vie meublée de rien ou de si peu de choses, semble démesurément distendu, on est pris par ce non-voyage d’un homme assis sur un tabouret trop petit dans un monde étriqué où il peine à se mouvoir. Parce qu’il offre en raccourci la vision d’un monde sans perspective. Quelque chose qui ressemblerait à notre vie…

Les Dimanches de Monsieur Dézert

S De et avec Lionel Dray S D’après la nouvelle les Dimanches de Jean Dézert de Jean de La Ville de Mirmont S Scénographie Jean-Baptiste Bellon S Régie générale et lumière Gaëtan Veber S Costumes Gwendoline Bouget S Production (reprise 2023) et diffusion Théâtre Garonne, scène européenne S Durée 1h10

Au Théâtre Silvia Monfort – 106 rue Brancion, 75015 Paris www.theatresilviamonfort.eu

Du 21 au 25 novembre 2023

À voir aussi au Monfort, la création 2023 de Lionel Dray, Ainsi la bagarre, avec Lionel Dray et Clémence Jeanguillaume 

Du 19 novembre au 3 décembre 2023