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Arts-chipels.fr

La Obra. Un théâtre de l’absurde dont l’absurdité est le théâtre.

© Nurith Wagner Strauss

© Nurith Wagner Strauss

Entre réalité et illusion, vrai et faux, Mariano Pensotti propose un cheminement jubilatoire en même temps que tragique sur une réalité marquante de l’histoire argentine.

Simon Frank s’est réfugié en Argentine à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans un village perdu, loin de l’agitation des hommes. Il se dit juif polonais, réchappé des camps nazis. Pour les habitants, ceci n’a pas grand sens jusqu’au moment où Simon Frank choisit, au milieu des champs, de réinventer, en en construisant les décors, sa vie d’avant. Sa maison de Varsovie d’abord, puis le siège du journal où il travaillait, puis le camp de concentration où il a été interné. D’observateurs, les villageois se muent en participants actifs du théâtre de son existence que Simon Frank reconstruit. Ils deviennent acteurs du drame de sa vie, entrent dans la peau des personnages qu’il recrée, fait revivre. L’ampleur du projet acquiert une renommée qui dépasse les frontières du village. Il attire, au fil des années, des étrangers, fascinés par cette forme de Passion d’un homme. C’est alors que la vérité éclate : Simon Frank n’est pas celui qu’il prétend être…

© Nurith Wagner Strauss

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Une source d’inspiration documentaire

L’histoire de Simon Frank prend sa source dans une réalité historique. Deux phénomènes ont marqué l’histoire de l’Argentine au XXe siècle. En premier lieu une forte immigration juive, entamée dès le XVIsiècle à la suite des persécutions espagnoles, renforcée au XIXsiècle – en 1920, le pays comptait environ 150 000 juifs venus d’Europe –, accélérée après la prise de pouvoir de Hitler – près de 45 000 juifs rejoindront l’Argentine à ce moment-là, malgré les freins que le gouvernement mettra à leur venue et les flambées d’antisémitisme sous la dictature péroniste. S’y ajoute l’arrivée, entre 1946 et 1952, de plusieurs milliers d’anciens nazis ou criminels de guerre notoires, profitant d’un véritable réseau d’exfiltration, qui ont trouvé là un refuge en se réinventant de nouvelles identités. On se souvient d’Adolf Eichmann, responsable de la logistique de la « solution finale », devenu Ricardo Klement, finalement retrouvé par les agents du Mossad en 1960 et enlevé pour être jugé à Jérusalem. Une histoire marquée par la violence et que renforcent les exactions du gouvernement péroniste.

© Nurith Wagner Strauss

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Le théâtre, un jeu de reflets pour piéger la réalité

C’est ce mélange détonnant et ce jeu entre vérité et mensonge, illusion et réalité, que la pièce de Mariano Pensotti explore dans un jeu de miroirs, tous piégeux, dans lesquels la vérité est enfermée. Pour raconter l’histoire de Simon Frank – qui est elle-même une fiction créée par l’auteur à la suite d’un travail collectif avec les comédiens – il met en place un narrateur, un double de lui-même incarné par un acteur libanais, Rami Fadel Khalaf, comme un filtre supplémentaire, un miroir déformant de plus dans la mise en abîme qu’opère le spectacle. Ses personnages sont aussi à niveaux multiples. Ils incarnent à la fois les villageois qui regardent ce curieux théâtre de vie qui se met en place et les acteurs de cette création. Mais bientôt la barrière entre réalité et fiction devient poreuse et les villageois empruntent à leurs personnages leurs comportements. On ne joue pas impunément le nazi et la gangrène de la violence infecte la société. 

© Nurith Wagner Strauss

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Un dispositif scénique emblématique

C’est sur un immense plateau tournant que se déroule la pièce. Seul l’acteur qui joue le metteur en scène peut sortir de cet espace circulaire qu’on découvre au début habité par l’envers d’un décor : des armatures de bois à l’intérieur desquelles les panneaux fixés servent d’écran de projection pour évoquer les lieux en même temps qu’ils font écran pour dire la frontière entre le théâtre et sa réalisation. Le décor tourne, dévoilant chaque fois un des épisodes de l’aventure hors du commun de ce théâtre de la vie qui se construit. Entre le dedans et le dehors s’introduit une circularité, menée au rythme de la lente rotation, tantôt dans un sens et tantôt dans l’autre, du décor, qui va de pair avec une occupation de l’espace par les comédiens tantôt à l’intérieur du cercle « magique » de la représentation et tantôt à l’extérieur, sur le bord du décor, comme pour commenter une histoire en train de se constituer. Et lorsqu’à la fin l’envers du décor, habillé à son tour, est devenu le revers de l'envers et un nouvel endroit, la boucle est bouclée de cet espace où la réversibilité est de règle.

© Nurith Wagner Strauss

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Au jeu du vrai et du faux, la perméabilité du réel et de la fiction

Construit comme un thriller, le déroulement chronologique que suit la pièce, allant de l’élaboration du projet de Simon Frank à sa réalisation finale et aux conséquences de celle-ci, trouve son point d’orgue lorsque la notoriété acquise par Simon Frank livre son visage en pâture au monde entier. On découvre alors que celui-ci n’était pas la victime autour de laquelle il avait construit son univers, mais le bourreau qui s’était glissé dans la peau de celui qu’il avait rayé de la carte, réduit au néant. Des raisons qui ont conduit le personnage à adopter ce comportement, nous ne saurons rien, ni s’il voulait continuer à jouer au jeu destructeur qu’il pratiquait auparavant, ni s’il s’agissait d’une forme d’expiation. Au jeu des bourreaux transformés en victimes et des bourreaux en puissance qui sommeillent en nous, derrière une apparence de « normalité », il n’y a ni gagnant ni perdant. Nazi, juif, arabe, traître, victime ou bourreau, circulez, y’a rien à voir ! Sinon l'absurdité du monde que révèle le théâtre et dont l’absurdité mise en scène est le théâtre.

© Nurith Wagner Strauss

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La Obra

S Texte et mise en scène Mariano Pensotti (Argentine) S Interprètes Rami Fadel Khalaf, Alejandra Flechner, Diego Velázquez, Susana Pampin, Horacio Acosta, Pablo Seijo S Musicien Julián Rodríguez Rona S Décor et costumes Mariana Tirantte S Musique Diego Vainer S Production artistique Florencia Wasser S Lumière David Seldes S Vidéo Martin Borini, José Jimenez S Assistant à la mise en scène Juan Francisco Reato S Dramaturgie Aljoscha Begrich S Producteur délégué de la tournée européenne Festival d’Automne à Paris S Production Grupo Mara S Diffusion ART HAPPENS Coproduction Wiener Festwochen (Vienne) ; Athens Epidaurus Festival ; Piccolo Teatro di Milano - Teatro d'Europa ; Printemps des comédiens (Montpellier) ; Festival d’Automne à Paris S En collaboration avec Grand Theatre Groningen S Première juin 2023, Wiener Festwochen S Coréalisation Festival d’Automne à Paris, Théâtre de la Cité internationale (Paris) S En espagnol, surtitré en français S Durée estimée 1h30

Du lundi 23 au jeudi 26 octobre 2023

Théâtre de la Cité Internationale – 17, boulevard Jourdan, 75014 Paris www.theatredelacite.com

TOURNÉE ACTUELLE

Les 18 et 19 octobre 2023 TANDEM Scène nationale (Douai)

Du 23 au 26 octobre 2023 Théâtre de la Cité Internationale (Paris)

Le 31 octobre 2023 Festival Internacional de Teatro de Vitoria(Vitoria-Gasteiz, ES)

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