29 Septembre 2023
Zoé et Léa, deux pièces jouées aux Zébrures d’automne, se répondent avec des héroïnes diamétralement opposées : Zoé la briseuse de grève et Léa l’activiste poseuse de bombes.
« Ce n’est pas anodin de les mettre en parallèle, dit Hassane Kassi Kouyaté directeur du festival. Ici on donne la possibilité d’entendre ces paroles et d’en discuter. C’est mon rôle premier de parler de nous. »
Zoé d’Olivier Choinère, mis en scène par Hassane Kassi Kouyaté
C’est l’une des bonnes surprises du festival. Un huis clos d’une heure entre une étudiante et son professeur de philosophie. Celui-ci est contraint par la loi à lui donner cours, en dépit de la grève générale des étudiants pour protester contre l’inaction du gouvernement face au réchauffement de la Planète. Zoé a porté plainte et obtenu d’un juge une injonction obligeant ses professeurs à lui dispenser leur enseignement. Olivier Choinière, bien connu, et multiprimé au Québec mais peu monté dans l’Hexagone, construit un dialogue serré d’une dialectique implacable. Deux notions de la liberté s’affrontent : le droit d’étudier pour réussir contre le droit de grève. L’auteur donne de l’air et de l’épaisseur à ses personnages en les laissant parfois dériver dans leurs rêves et cauchemars. Entre les cours, une bande son portant les rumeurs des manifestations entretient la tension. Le fil de cet affrontement en plusieurs rounds n’est jamais rompu et l’on suit avec intérêt ce face à face musclé entre la jeune « blanc-bec » qui, faisant fi de l’intérêt collectif, ne pense qu’à son avenir et un professeur rompu à l’art de la maïeutique. Avec deux chaises et un banc pour tout décor, dans un carré tracé au sol, la mise en scène sobre et efficace laisse entendre le non-dit derrière les mots. Incarné par Adélaïde Bigot, droite dans ses bottes, et Patrick Le Mauff qui manie la dérision et l’humour, ce match nul sème le malaise dans l’assistance.
Léa et la théorie des systèmes complexes de Ian De Toffoli, mis en scène par Renelde Pierlot
L’auteur luxembourgeois, sur les cent cinquante pages de son manuscrit réduites ici à trois heures trente de spectacle, alterne deux trames narratives : la généalogie d’un grand groupe pétrolier et la trajectoire d’un militante écologiste qui se radicalise.
Sur le plateau, un enchevêtrement de tuyaux de différentes tailles, réseau tentaculaire, délimite des espaces de jeu où s’entrelacent des deux récits pris en charge par six comédiens. Avec quelques éléments de costume, ils passent rapidement d’un rôle à l’autre : les séquences dialoguées sont introduites par des narrateurs et narratrices interchangeables.
D’un côté l’épopée des Koch s’étend sur cent trente ans, depuis le jour de 1881 où le jeune migrant Hotze (devenu Harry) Koch débarque du train dans la petite ville de Quanah (Texas). Embauché comme échotier, il achète le journal du bled, des actions de chemin de fer et les premiers puits de pétrole. De père en fils, l’empire Koch tisse sa toile sur trois générations grâce au boom du pétrole et tous les produits dérivés... Ian De Toffoli, très documenté, distille cette conquête industrielle en épisodes sur le mode du western. Des guerres fratricides viennent épicer la vertigineuse ascension du groupe.
Dans le même temps, l’histoire de Léa trouve sa place. La jeune écolo mène l’enquête en remontant aux racines du mal, l’exploitation des énergies fossiles. De fil en aiguille, elle va faire le parallèle entre la prédation des ressources terrestres au détriment de la vie animale végétale et humaine et la naissance du capitalisme moderne
Le double récit choral est entrecoupé de scènes imagées, beaucoup plus lisibles dans la partie de Koch Industries traitée sur le mode burlesque. La metteuse en scène utilise des codes de jeu qui échappent au didactisme, avec des épisodes de comédie musicale chantés et dansés. Le volet Léa, plus informatif et moins fantaisiste, peine en revanche à trouver sa forme et à s’articuler avec l’autre narration.
Écrivain, dramaturge, et universitaire, Ian De Toffoli aborde des thématiques sociétales et politiques, entre récit, documentaire et drame. Léa ou la théorie des systèmes complexes pose la question de la militance et du prétendu « écoterrorisme » (sic !) face à violence de l’État, avec par exemple la répression de la manifestation contre les méga-bassines de Sainte-Soline.
Quand l’actualité rattrape la fiction
Zoé avait été mis en scène par Olivier Choinière au Théâtre Denise Pelletier, à Montréal, en février 2020. À l’heure où nous assistons à sa création à Limoges, une nouvelle grève agite de monde estudiantin au Québec. « Un cri de rage climatique » titre le quotidien Le Devoir du 27 septembre 2023. Les catastrophes naturelles qui ont frappé le pays alimentent leur colère : « Les arbres croulent sous le poids du verglas en mars, les forêts brûlent en mai, les rivières débordent en juillet, l’air est irrespirable depuis des semaines », énumère l’appel à la mobilisation lancée par le mouvement Rage climatique.
Zoé et Léa en débat
Les étudiants du comité mobilisation faculté des lettres de Limoges qui ont participé à une rencontre avec Hassane Kassi Kouyaté et Ian De Toffoli ont salué l’engagement de Léa et les informations que la pièce leur donne: « Léa montre que les enjeux politiques sont vertigineux. Elle aborde la question de l’intersectionnalité des luttes. L’urgence est d’agir. Par le traitement choral de la pièce, Léa c’est un peu nous tous ». En revanche, ils sont restés un peu à la porte de Zoé : « On a besoin d’éléments plus francs. De réponses plus que de questions. »
Pourtant, si l’on partage le point de vue de Léa, sans aller jusqu’à partager ses solutions violentes, ne faut-il pas aussi s’interroger, avec Zoé d’Olivier Choinière, sur la montée insidieuse de l’extrême droite dans nos sociétés occidentales, jusque dans la jeunesse étudiante ?
Les Francophonies, de l’écriture à la scène. Jusqu’au 30 septembre. 11, avenue du Général de Gaulle, Limoges (Haute-Vienne). T. : 05 55 10 90 10
Zoé
S Texte Olivier Choinière S Mise en scène Hassane Kassi Kouyaté S Avec Adélaïde Bigot et Patrick Le Mauff S Assistante à la mise en scène Béatrice Castaner S Création lumière Cathy Gracia S Costumes Anuncia Blas S Production Compagnie deux temps trois mouvements S En coproduction avec Le Théâtre Jean Lurçat - Scène nationale d’Aubusson / Le Manège - Scène nationale de Maubeuge / L’Art- chipel - Scène nationale de Guadeloupe / Théâtre de l’Union Centre dramatique national du Limousin / Les Francophonies - Des écritures à la scène S Avec le soutien de l’OARA S Accueil en partenariat avec le Théâtre de l’Union - Centre dramatique national du Limousin
Léa
S Texte Ian De Toffoli S Mise en scène Renelde Pierlot S Avec Léna Dalem Ikeda, Jil Devresse, Nancy Nkusi, Luc Schiltz, Pitt Simon, Chris Thys S Assistants à la mise en scène Mikaël Gravier, Jonathan Christoph S Scénographie Philippine Ordinaire S Créatrice costumes Caroline Koener Création lumière Nathalie Perrier S Création son Fred Hormain S Illustratrice Lena Irmgard Merhej S Production Les Théâtres de la Ville du Luxembourg En coproduction avec Les Francophonies - Des écritures à la scène S Avec le soutien du Théâtre des Quartiers d’Ivry et de Kultur | lx S Accueil en partenariat avec les centres culturels de la Ville de Limoges
Léa, du 10 au 22 octobre 2023, Théâtre des Capucins, Luxembourg