5 Août 2023
Ce seul en scène d’une autrice-comédienne qui nous plonge dans l’intériorité des victimes de violences sexuelles a la force d’un coup de poing dont l’agression aurait été soustraite au profit de ses effets et de la mise en avant d’une dramatisation sans pathos.
Un no man’s land qui porte avec lui les accessoires de sa transformation en chambre de jeune fille, en cercle de parole ou en commissariat de police. Un espace de rangement où l’on pioche des souvenirs, des images, au gré du récit. Un micro, dans un coin, renverra à l’adresse directe de la comédienne-autrice au public, il évoquera un lieu où la parole intime devient théâtre, objet de monstration. Dans son jogging d’où émerge un haut de maillot de bain, les lunettes de plongée vissées sur le front, Mélie Néel évoque une jeune nageuse compétitrice, promise à un bel avenir en natation. Son nom réel, on l’ignorera mais les pseudonymes dont elle s’affuble – d’abord Papillon, puis Méduse – font référence à cet élément aquatique en même temps qu’à sa manière d’être.
Un texte inscrit dans le contexte d’une aide à la jeune création
Méduses bénéficie d’un double parrainage. Celui du dispositif national d’Aide à la création de textes dramatiques, piloté par Arcena, qui repère et accompagne de jeunes auteurs dramatiques contemporains francophones. Chaque année, en deux sessions un jury composé de professionnels du spectacle favorise ainsi la présentation d’une cinquantaine de textes. Celui du festival Court mais pas vite, initié par le Théâtre des Déchargeurs, propose à six équipes artistiques émergentes de présenter une maquette de leur futur spectacle devant le public et un jury composé de professionnels. L’équipe lauréate du Prix du jury bénéficie durant un an d’un accompagnement dédié (sur les plans administratif et technique, pour la production, la diffusion, la communication, les relations publiques…), de dix jours de résidence et de douze représentations aux Déchargeurs. C’est dans ce contexte qu’a été créé Méduses, dont la jeune équipe et la qualité sont ainsi mises en avant.
Les violences sexuelles, un récit pluriel
Lorsque commence la pièce, plusieurs personnages – qu’incarne la même comédienne – sont rassemblés dans ce qu’on comprend être un groupe de parole. Autour de l’animatrice du groupe, ils sont aussi différents qu’on peut l’être, et de tous sexes. Ce qu’ils ont en commun, c’est d’avoir été victimes du grand « V », de ces violences sexuelles trop longtemps enfouies, tues, mais qui continuent de peser chaque jour dans leur vie quotidienne. Ils sont là pour dire, laisser enfin sortir ce qu’ils ont trop longtemps contenu. Pour enfin reprendre le contrôle d’eux-mêmes, vaincre ces démons qui les hantent et règnent en maîtres sur leurs cerveaux. Méduse, elle, ne parle pas. Elle écoute. Elle écrit aussi et le spectacle se situera au croisement de toutes ces pistes.
Une expérience intime
Ce qui frappe – et qui touche – c’est la dimension très personnelle de ces témoignages. Loin des manifestations bruyantes des Femen ou des pancartes agressives et revendicatrices qu’elles brandissent, c’est au cœur de la manière dont cette violence sexuelle est vécue qu’on pénètre, dans les destructions internes qu’elle engendre, cette dépossession de soi dont on ne parvient plus à se défaire, cette marque au fer rouge devenue indélébile qui oblitère tous les événements de la vie. Ce que développe ce Papillon de quatorze ans, stoppé dans son envol, c’est toute la panoplie des histoires qu’on se raconte et que vous racontent les autres. Celle des violences « consenties », pour faire comme les autres, ne pas se distinguer de la masse, que la justice ne qualifie pas de viol. Celle de l’impossibilité d’en rendre quelqu’un responsable aux yeux de la loi comme vis-à-vis de soi-même. Celle de l’auto-culpabilité inculquée par des siècles d’éducation et de formatage qui vous ronge et fait de vous-même votre propre ennemi. Celle du traumatisme, enfin, qui détruit votre vie, comme l’aventure de ce Papillon qui abandonne la brasse et cesse de nager.
La métamorphose de la Méduse
Si le Papillon s’est perdu, si son enfance a été à jamais détruite, une autre personnalité, une Méduse, a fait irruption. Pour trouver en soi la ressource pour se dégager de la gangue épaisse créée par ce « V »-là et remplacer victime et violence par victoire ou vacances. C’est sur le terrain de la guérison, non sur celui de la revendication et de la vengeance, que se situe le spectacle. C’est à travers l’intime que prend forme le politique. Renaître méduses qui répondent aux attaques, collectivement pour faire front et non plus seules, telle est la leçon de ce spectacle qui, sans jouer l’émotion, la charrie à foison…
Méduses
S Texte et jeu Mélie Néel S Mise en scène Noémie Schreiber & Cécile Roqué Alsina S Création Lumières Noémie Richard S Scénographie Simon Primard S Production Collectif Corpuscule S Coproduction Théâtre du Hublot (92) S Soutiens Les Déchargeurs (75), Le Théâtre du Hublot (92), Artcena S Création 2023/2024 S Texte lauréat de l'Aide à la création de textes dramatiques – Artcena, printemps 2022 S Prix du jury - Festival Court mais pas vite 2022 S Tout public à partir de 15 ans
Du 13 au 30 septembre 2023, les mercredi, jeudi, vendredi, samedi à 19h au Théâtre des Déchargeurs - 3 rue des Déchargeurs, 75001 Paris. Annulé. Un communiqué de presse du directeur du théâtre en date du 2 août 2023 annonce la cessation d’activité des Déchargeurs. Avec la fermeture du théâtre, c’est un lieu d’accueil et un banc d’essai pour de jeunes compagnies qui disparaît, fragilisant encore davantage de jeunes professionnels aux débuts déjà bien incertains, et qui a pour corollaire l’anéantissement du travail de fond entrepris par la jeune équipe enthousiaste du théâtre dans un contexte très difficile.)
TOURNÉE
Décembre 2023 Théâtre du Hublot - 87 rue Felix Faure, 92000 Colombes