Le Cirque orphelin. La poésie de la déglingue.

Dans ce spectacle construit en numéros, comme au cirque, c’est toute une assemblée de marionnettes perdues, laissées pour compte, qui viennent faire un tour de piste à la fois dérisoire et touchant.

Un univers d’après le naufrage de la société industrielle. Des bidons rouillés jonchent le sol, les parois qui enserrent la scène sont des rafistolages issus d’on ne sait quel bidonville, avec leurs parois de tôle ondulée assemblées un peu à la va-comme-j’te-pousse. Un décor des jours d’après, des lendemains qui déchantent, des aventures qui se défont et partent en lambeaux. Deux silhouettes furtives vont s’introduire dans ces lieux. Costumes noirs des manipulateurs mais visages découverts, bouilles faussement naïves et gestuelle hérités du travail du clown. Ils joueront leur partition face aux marionnettes qu’ils animent, pour qui l’autonomie et la désobéissance sont des constantes.

Un cirque de paumés de la vie

Ils vont sortir de cette caverne d’Ali Baba du pauvre une multitude de personnages. Pas particulièrement beaux, et même plutôt moches, mais sympathiques, comme les personnages qu’on croise dans la vie courante. Dans la galerie des phénomènes, certains ne sont que têtes et bras, d’autres changent de taille ou se métamorphosent. Du ver de terre à la sirène en passant par les hommes-oiseaux, ils sont freaks mais humains, insolents et libres, et ne dédaignent pas d’aller titiller le public, de lui gratter la tête au mépris de toute correction. Ils sont grands ou petits, hydrocéphales ou tout en jambes, se la jouent artistes de music-hall, se dissimulent, surgissent et disparaissent sans cesse, semblent doués d’une vie propre. Délurées, facétieuses et infatigables, les marionnettes cabotinent, dansent pour nous, nous font l’article, elles se lancent dans des poursuites qui occupent tout l’espace.

Histoires sans paroles sur le thème de la transformation

Elles sont si remuantes que leurs manipulateurs semblent avoir du mal à les suivre. Ils ne comprennent pas toujours ce qui se passe, courent derrière elles, sont dépassés par les événements, prennent des mines étonnées devant les initiatives de ces drôles de figurines à l’énergie bondissante, et échangent à grands coups de mimiques leurs impressions… Peu à peu, le cirque prend place dans le décor, les pièces de la roulotte s’assemblent pour changer d’échelle et devenir un objet transformable de grandes dimensions dont les parois s’ouvrent, dévoilant chaque fois un nouveau tableau, un nouveau numéro qui est une histoire en soi. Les bidons se font chaudrons de sorcières ou font surgir un aquarium dans lequel baigne une fascinante sirène et on attend chaque fois la nouvelle mutation que nos deux chiffonniers-ferrailleurs semblent les premiers surpris d’avoir créée. Dans ce drôle de monde, les idylles ne manquent pas non plus, même si elles semblent improbables quand elles concernent une petite sirène et un homme-oiseau. On pense au petit poisson et au petit oiseau qui s’aimaient d’amour tendre, chantés par Juliette Gréco et on s’amuse de voir qu’au pays des marionnettes, les règles ne sont pas toujours ce qu'on attend qu'elles soient.

Une création marionnettique virtuose

Avec une économie de moyens remarquable et un art consommé, Jacob Brindamour et Olivia Faye-Lathuillière prêtent vie à ces étranges créatures. Avec une dextérité qui confine au grand art, ils animent des marionnettes de différentes dimensions, à tige, à tringle ou à prise directe avec une finesse époustouflante, donnant aux mouvements des mains une volubilité cocasse, recréant une expressivité du corps entier avec quelques baguettes qui permettent ici de lever une jambe à la verticale, là d’esquisser avec exactitude un pas de danse dans lequel, malgré la petitesse de la figurine, les deux marionnettistes s’accordent avec un ensemble parfait pour donner au mouvement toute sa fluidité, ou encore de restituer le combat que se livre à lui-même le marionnettiste quand il lance sa créature en pleine course. Si l’homme et la marionnette semblent doués, dans leur corps à corps, de vie autonome, les Sages Fous n’hésitent pas à superposer d’autres niveaux. Au visage du clown-manipulateur s’ajoute le masque qu’il se place sur le visage pour jouer le « chef », corps de marionnette sur un visage devenu masque. Au jeu des identités, le Cirque orphelin a décidément des allures de vraie famille !

Le Cirque orphelin

S Conception South Miller, Jacob Brindamour, Sylvain Longpré S Direction artistique South Miller S Marionnettistes Jacob Brindamour, Olivia Faye-Lathuillière S Musique originale Christian Laflamme S Masques et marionnettes South Miller S Direction technique Sylvain Longpré S Production Les Sages Fous (Trois Rivières, Québec) S La tournée européenne du Cirque orphelin a été rendue possible grâce à l’appui financier du Conseil des Arts et des Lettres du Québec et du Conseil des >Arts du Canada S Durée 1h

Prix du jury & Prix du public - meilleur spectacle au National Puppetry Festival (Puppeteers of America), Connecticut, États-Unis, 2015 ; Prix du meilleur spectacle pour adultes & de la meilleure scénographie au XVII Międzynarodowy Festiwal Teatrów Lalek SPOTKANIA, Torun, Pologne, 2011 ; Prix de la meilleure conception d'éclairage au PIF Festival, Zagreb, Croatie, 2012 ; Prix Rayonnement prix Arts Excellence, Culture Mauricie, Québec, 2012 ; Prix Création en arts de la scène prix Arts Excellence, Culture Mauricie, Québec, 2010

Lundi 22 mai et mardi 23 mai à 20h
Le Mouffetard – CNMa, 73 rue Mouffetard, Paris 5^e
Dans le cadre de la 11^e Biennale internationale des arts de la marionnette

01 84 79 44 44 / contact [@] lemouffetard.com / www.lemouffetard.com

TOURNÉE
25 mai Asbl Defo, Liège, Belgique
27 mai Tof Théâtre - Le Monty, Gennappe, Belgique