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Arts-chipels.fr

Haute Couture. Une intrigue noire de théâtre immersif, cousue au petit point.

Haute Couture. Une intrigue noire de théâtre immersif, cousue au petit point.

On se laisse prendre par ce spectacle qui mêle thriller, mélodrame, comédie et drame psychologique et où l’on escorte des personnages dont on suit les aventures sur les trois niveaux d’un hôtel particulier…

L’hôtel de Kergolay-Langsdorff a un charme bien à lui. Érigé durant le IIIe Empire par l’architecte Paul Ernest Sanson, l’un des architectes les plus appréciés du quatrième quart du XIXe siècle, il a conservé son cachet de lieu d’habitation et sa collection de souvenirs napoléoniens provenant du général de Caulaincourt, duc de Vicence et Grand Écuyer de Napoléon Ier. C’est dans ce décor pétri d’histoire que se tient la pièce. Elle se déroule en 1959, au moment où un jeune créateur plein d’avenir, Henri Courtois, prépare sa première collection de haute couture. Quelques revues éparses dans les différentes pièces et les costumes disposés sur des mannequins sont là pour le dire.

© Fabienne Rappeneau

© Fabienne Rappeneau

Une pièce de théâtre immersive

Le rapport scène-salle est au cœur de toutes les considérations sur le théâtre et on voit revenir en force à l’heure actuelle les représentations bi-frontales, tri-frontales ou quadri-frontales, renouant avec une réflexion sur l’espace théâtral qui a beaucoup occupé les années 1970. Ici est développée une autre forme : celle du théâtre immersif. Le spectateur est invité à partager l’espace des acteurs sans pour autant intervenir dans le jeu ou l’intrigue. Voyeur, il est plongé à l’intérieur de l’action dont il suit les péripéties de tout près. Il a la possibilité de cheminer à l’intérieur de l’hôtel d’un lieu scénique à l’autre pour découvrir chaque fois une portion différente de l’histoire dont plusieurs versions, accordées aux personnages, sont jouées simultanément dans différentes pièces. Et, comme il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, les seuls espaces auxquels le spectateur a accès sont ceux dont les portes sont ouvertes, ceux où le théâtre a lieu. Les spectateurs, réunis dans un même lieu pour la scène d’exposition, termineront aussi ensemble le spectacle, quand seront dévoilés les tenants et les aboutissants des intrigues dont ils n’auront eu qu’une vue partielle au fil de leur déambulation.

© Fabienne Rappeneau

© Fabienne Rappeneau

Une galerie de personnages

Si la situation initiale semble simple au premier abord – le couturier Henri Courtois doit ouvrir son premier grand défilé dans la maison dont il vient d’hériter – les choses se compliquent vite. Parce que cet héritage vient d’un père qu’il n’a connu que récemment. Parce que la sœur de ce dernier, Béatrice, occupe les lieux et qu’elle n’a aucune intention de décamper. Parce que d’autres personnages vont entrer dans la danse : un ancien truand reconverti amoureux de Béatrice, prêt à tout pour la protéger, un jeune ex-truand victime de son amour pour les femmes, la maîtresse  et mannequin d’Henri, Camille, et son amie Lise, ainsi que Suzanne, la modéliste débauchée de chez Dior, qui ne souhaite pas s’en laisser conter par tous les hurluberlus qui empiètent sur son espace. S’invitera aussi, quand l’intrigue prendra des allures policières, un commissaire divisionnaire, flic des Mœurs…

En noir et en nuances de gris traduites en crimes et en disparitions en série.

Autour d’eux gravitent trois disparitions mystérieuses : le père d’Henri, mort dans un accident de voiture – mais était-il si accidentel que cela ? –, sa mère suicidée – avait-elle vraiment des raisons de se suicider ? – et la disparition du patron du flic – y aurait-il des cadavres dans le placard des Mœurs ? Si on y ajoute, pour faire bonne mesure, la mort tragique des parents de Béatrice dans un incendie criminel et la condamnation de son frère, les ingrédients du thriller sont réunis, avec ses coups de théâtre prévisibles et ses péripéties. Il suffit de saupoudrer d’un brin de passés troubles des personnages et le psychologique s’invite. Lise, qui protège Camille, est androgyne ; Camille a un passé de junkie ; le flic est un pourri qui entretient avec tous les truands des relations bien troubles. Béatrice montre une fragilité psychologique certaine tandis qu’Henri souffre de migraines inexpliquées au cours desquelles remontent des souvenirs tragiques. On se livre à de petits trafics, on surprend des secrets cachés dans des malles, on use du surin et du revolver, on retrouve des corps assassinés. L’hôtel particulier est le lieu de tous les pièges et de toutes les chausse-trappes. Il n’y a pas qu’un seul cadavre dans le placard…

© Fabienne Rappeneau

© Fabienne Rappeneau

Imbrications et intrications. Une pelote en arborescences.

Dans l’embrouillamini des intrigues, le spectateur aura le choix de suivre l’un ou l’autre de ces personnages ou de tenter de naviguer, au gré hasardeux de ses curiosités, de l’un à l’autre, d’un lieu à l’autre où, chaque fois, il captera une partie de l’histoire, un point de vue. Car chacun des personnages l’écrit depuis sa bulle et le spectateur, dans son imaginaire, bouche les trous, construit des scénarios, réinvente les personnages jusqu’à la fin finale où les clés sont données. Mais ceci n’est possible que parce que la structure narrative le permet. Comme dans un jeu oulipien où les récits arborescents finissent par se rejoindre, on construit un arbre dont les branches se relient, tout comme les racines, introduisant une circularité dans laquelle s’inscrit la fiction. Quel que soit le bout qu’on choisit, on retrouve l’histoire, mais pas dans le même ordre. Et si le spectateur s’avise de rassembler tous les brins, il lui faut être pluriel, groupe dont chacun capte une partie de la fable pour la reconstruire collectivement en nouant ensemble les fils collectés par chacun.

Au plaisir, pour le spectateur, de pénétrer dans l’intimité des personnages, de rire de leurs travers ou de se faire peur devant leurs actes, s’ajoute la jouissance, gourmande, de participer à un jeu d’écritures, à un jeu de pistes où se joue, au-delà du jeu des intrigues, celui du théâtre.

Haute couture

S Texte Jean-Patrick Gauthier et Frédéric Texier S Mise en scène Jean-Patrick Gauthier S Scénographie J.-P. Gauthier, F. Texier, N. Remy, M. Credou S Direction artistique Nathalie Remy S Costumes Marie Crédou S Avec Benoît Hamon (Henri Courtois), Stéphanette Martelet (Béatrice Lartigue), Charlie Petit (Lise Fontenoy), Boris Ravaine (Jeff Pic), Nathalie Remy (Suzanne Girard), Julien Roullé-Neuville (Gaston Lacorgne), Marion Jadot (Camille Cendre), Eric Wolfer (Jules Terrenoire) S Durée 1h30 environ

Du 16 au 31 décembre 2022, mar.-ven. à 18h30 & 21h, sam. à 17h & 20h, le 18 déc. à 15h30 & 18h (relâche mardi 20 déc.)

À partir du 6 janvier 2023, les vendredis, samedis et dimanches

Hôtel Kergorlay Langsdorff - 9 rue de l’Amiral d’Estaing , 75016 Paris

Réservation en ligne uniquement sur www.5eacte.fr/haute-couture-polar-immersif.html

Capacité : 60 personnes par représentation

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