23 Novembre 2022
Ce spectacle plein de fantaisie mêle avec allégresse l’imagination technologique débridée de Léonard de Vinci, ses recherches picturales et les considérations sur l’origine de l’homme et celle de l’univers. De quoi apprendre à voyager sur des nuages de fumée.
Dans un décor qui mêle allègrement les styles divers – tables et chaises façon Henri III revues et corrigées début XXe siècle, poste de radio qui rappelle les postes à galène, rétroprojecteurs disposés à vue, tableau recouvert d’un tissu disposé sur un chevalet – on voit apparaître une dame en robe longue, façon Renaissance révisée. C’est Catarina, la maman du petit Léonard, qui appelle son fiston de peintre, déjà renommé à douze ans, pour un dîner qui n’est pas cuit. Ça tombe bien, Léonard vient d’inventer l’ancêtre du micro-ondes et ils peuvent se mettre à table… Nous sommes en 1503, une projection sur l’un des panneaux vient de nous l’apprendre, et Léonard se prépare, contre son gré, à travailler à la Joconde, un tableau qu’il ne livrera jamais à son commanditaire et gardera par-devers lui.
Une Joconde fantaisiste
Il ne faut pas chercher ici de vérité historique sur le commanditaire de la Joconde ou autres épisodes de la vie du peintre. Sa Monna Lisa à lui (avec deux « n »), elle est spéciale. Non seulement elle a toujours l’air de vous regarder – un grand classique du commentaire la concernant – mais elle est douée de vie. Si la superposition de transparents sur le rétroprojecteur fait apparaître successivement, pour détailler l'œuvre, le dessin, les couleurs, et le fond, enfumés au sens propre par une machine à faire de la fumée, ce qui caractérise cette Monna Lisa-là, c’est qu’elle peut s’extraire du tableau pour mener sa vie propre, au grand dam de Léonard – c’est sa création, pourquoi serait-elle indépendante ? Et d’ailleurs, en farceur qu’il est, il lui a, pour faire bonne mesure, dessiné les moustaches ajoutées par Duchamp dans sa parodie iconoclaste L.H.O.O.Q. Quant à l'indépendance de la donzelle, n’est-elle pas liée au fait que les inventions de notre esprit, une fois lancées dans le monde réel, nous échappent et engendrent d’autres imaginaires ? Ne deviennent-elles pas douées de vies propres qui échappent à leur créateur ? Commencent les spéculations qui mènent à un surprenant voyage…
Dans le temps et l’espace
Cette Monna Lisa que Léonard rebaptise Peggy a soif de connaître le monde. Tellement qu’elle part en balade et se promène dans le passé comme dans le futur. Elle remonte le temps pour trouver d’où nous venons – elle rencontrera Cro et Magnon, des hommes préhistoriques dont elle découvrira la langue toute en gromelots surtitrée sur les écrans, se projette encore plus loin dans les origines de l’univers au fil des transparents animés qui s'animent à vue sur les écrans –, se retrouve mariée à un poilu de la Première Guerre mondiale, ce qu’elle ne goûte guère, ou s’embarque sur la navette spatiale pour une exploration aux confins de l’univers, dans le monde des étoiles. Pendant ce temps, le poste à galène philosophe sur la courbure de l’espace-temps, sur la dilatation de l’univers et sur la contraction du temps.
Un enfant qui en rappelle d’autres
Le petit Léonard, le casque de motard vissé sur la tête et les baskets aux pieds, n’est pas seulement surdoué et un peu farceur. Il est comme tous les enfants. Quand on lui commande le portrait de Monna Lisa, il commence par refuser, « parce qu’on n’a pas le droit de faire travailler les enfants », apportant ainsi un éclairage spécifique à l'enfance à l’ensemble de la fable. Comme ses semblables, il doit aussi apprendre un minimum de choses pour vivre en société et le « s’il te plaît-merci » que les parents rabâchent un nombre conséquent de fois avant d’obtenir le résultat escompté est évidemment un must. Et puis, il a beau être un génie, il fait beaucoup de fautes d’orthographe dans ses lettres et demande à sa mère de les corriger. C’est l’occasion pour les enfants présents de les repérer et de mentionner à voix haute les corrections à faire et de se rapprocher ainsi du spectacle.
Anagrammes à la pelle
Pour s'engager un peu plus dans les méandres de ce labyrinthe de l’imaginaire, Catarina y va de son couplet. Le sien, ce sont les anagrammes, celles qui transforment « imaginer » en « migraine » et « inventer » en « enivrent ». Vertus d’un esprit plein d’inventivité qui travestit « le sourire de Monna Lisa » en « Le soir donna sa lumière » au fil de lettres que les comédiens repositionnent à vue sur les rétroprojecteurs. Mais après ce voyage où l’on est à la fois ici et ailleurs, qu'on est tout sans y être et rien dans le grand Tout, où l’on a associé l’ornithoptère et le vaisseau spatial, c’est d’abord sur le rapport entre comédiens et personnages, sur la machine à fumée et la manière de créer l’illusion que les enfants, restés très sages tout au long du spectacle, s’animent pour poser des questions. Décidément, les grandes personnes ont encore du boulot pour présenter aux enfants les complexités et l’univers et les chemins buissonniers de la création !
Sfumato, l’art d’effacer les contours de Sofia Hisborn
S Sur une idée originale de Sofia Hisborn et Sébastien Accart S Mise en scène Benoit Giros S Avec Sofia Hisborn, Sébastien Accart, Judith Rémy S Scénographie François Gauthier-Lafaye S Lumières Natacha Raber S Sons Isabelle Fuchs S Costumes Elisabeth Cerqueira S Régie générale Éric Schoenzetter S Régie plateau Coraline Cauchi S Production Compagnie L’idée du Nord - Benoit Giros S Coproductions La Halle aux Grains - Scène nationale de Blois, Maison de la culture de Bourges / Scène Nationale S Avec le soutien du Théâtre Beaumarchais d’Amboise et de la ville d’Orléans S Partenaires La Compagnie est conventionnée par le Ministère de la Culture et de la Communication / Direction régionale des affaires culturelles Centre-Val de Loire S La Compagnie est conventionnée par la Région Centre-Val de Loire S Création à la Halle aux Grains, Scène nationale de Blois au Théâtre Nicolas Peskine en octobre 2022 S Tout public à partir de 8 ans S Durée 1h
Théâtre Dunois (7, rue Louise Weiss, Paris 13), du 21 au 26 novembre
Scolaires les matins et après-midis des 21, 22 (matin), 24 novembre
Scolaires le matin et tout public l’après-midi ou le soir : 23 (tt public a-midi), 25 (soir)
Seulement tout public le 26 novembre (soir)
Théâtre de Chartres -Scène Conventionnée : 29 novembre à 14h30 et 19h30
Théâtre du Pilier à Belfort : mercredi 11 janvier 2023 à 15h tt public, jeudi 12 janvier 2023 à 10h et 14h (scolaires).