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Arts-chipels.fr

Les Monstrueuses. Conjurer le démon qui sommeille à l’intérieur. Une histoire de femmes.

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Interroger le rapport mère-fille et la maternité des femmes dans le temps et l’espace en convoquant sur scène trois générations de femmes, en France et au Yémen, est le propos ambitieux de ce spectacle. Il exprime avec une poésie intense la difficulté d’être femme et d’être mère hier comme aujourd’hui.

2008. Ella est devant son ordinateur, en train d'écrire de ce qui deviendra les Monstrueuses ou le rêve d'Ella, lorsqu'une clinique psychiatrique l'appelle pour lui annoncer que sa sœur Imane vient d'être internée sous contrainte, suite à une décompensation. Le réel percute la fiction. Elle, c’est Ella, qui aime et est aimée. Enceinte, elle devrait éclater de joie. Mais il y a cette malédiction qui frappe les femmes de sa famille, énoncée par la « majnouna », une folle visionnaire, une Cassandre yéménite qui a prédit que toutes les femmes de la lignée, monstrueuses dès l’enfance, engendreraient des monstres. Devant la maladie de sa sœur, elle cherche, convaincue que la cause est là et qu’il faut l’extirper de son passé et des femmes qui jalonnent son héritage héréditaire.

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Des histoires de femmes

Autour de ces femmes qui l’ont précédée sur l’arbre généalogique, flottent des fantômes qui racontent de bien sombres histoires. Il y a d’abord celle de Jeanne, son arrière-grand-mère, paysanne née « pour servir », mariée à dix-sept ans à un bourgeois par son père sans qu’elle ait voix au chapitre. Une situation si insupportable qu’un soir elle le quitte, emportant sa fille Rosa que le père lui arrache sur le quai de la gare – Rosa ne retrouvera sa mère que sur son lit de mort, infectée par les aiguilles sales d’une faiseuse d’anges. S’ajoute Joséphine, la mère d’Ella que celle-ci redoute au point de ne pas supporter qu’elle la serre dans ses bras de peur de mourir étouffée. Il y a enfin celle de Zeïna, la grand-mère paternelle d’Ella, la Yéménite « qui naît sur la terre des femmes coupées », violée par son mari le soir de ses noces et devenue, au soir de son accouchement et de l’hémorragie qui l’a suivi « femme au ventre froid », stérile, qui échappe à la mort en s’enfuyant avec son fils. Des femmes battues, maltraitées, qui se sont inscrites contre ce qu’on voulait faire d’elles. De rencontres avec le médecin en goualantes d’Édith Piaf sur la solitude, Ella se lance à la poursuite de ces ombres au passé si troublé, de ces femmes habitées par le « monstre » qui les arrache au poids de la tradition et les lance sur les chemins, qui s’empare des esprits des mères et des filles, mais aussi à la remorque de ses démons personnels.

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Un texte poétique et habité

De cette trame Leïla Anis tire un texte qui chemine à la lisière entre rêve et réalité dans ce qui est presque un long monologue avec elle-même. Passé et présent s’interpellent et se répondent au travers de ces plaies purulentes exhibées dans une langue où fleurissent les images : « Les larmes ne pensent pas / Elles vident ce qui déborde ». Récits de souffrance, de répression, de peurs de dire, « les histoires de nos ventres sont des histoires d’horreur ». Que faire lorsqu’enfant « j’ai appris à me taire ? À découdre ma bouche en secret, à me la recoudre sans laisser de traces, à mentir seule ? » Que faire sinon jeter les mots à la face du monde pour conjurer l’horreur, les arracher de soi pour en finir avec la solitude muette et retrouver un sens à la vie ? S’il y a du crachat dans cette écriture-là, c’est pour qu’enfin l’on réagisse, pour que quelque chose bouge…

Leïla Anis et Laetitia Poulalion, qui jouent tous les personnages féminins, incarnent la révolte que porte le texte, nous jettent à la figure ces souffrances féminines accumulées avec une intensité saisissante, nous font partager ce sort des femmes dont le joug fut – et est encore aujourd’hui – si difficile à secouer. Et même s’il est parfois difficile de se repérer dans les filiations et les temporalités qui s’entrecroisent et se chevauchent dans le spectacle, la mise en scène nous fait entendre la force de ce texte à vif.

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Les Monstrueuses ou le rêve d’Ella, d’après le roman éponyme de Leïla Anis (éd. Lansman)

S Mise en scène, création lumière et régie Karim Hammiche, Hugo Dupont S Jeu  et régie son Leïla Anis, Laetitia Poulalion Tony Bruneau S Production Compagnie de l’Œil brun S Avec le soutien du Théâtre Gérard Philippe – CDN de Saint-Denis. S La première version du spectacle a été créée en 2017 a été coproduite par Théâtre de Cachan, Grange dimière-Théâtre de Fresnes, L’Atelier à spectacle – scène conventionnée de l’Agglomération du Pays de Dreux (28), Ville de Dreux, Conseil Départemental d’Eure-et-Loir, Région Centre-Val de Loire, DRAC Centre-Val-de-Loire, et soutenue par La Maison des Métallos à Paris, le Merlan scène nationale de Marseille, le Théâtre de la Tête Noire - scène conventionnée écritures contemporaines (45), le Théâtre en Pièces (28), la 5e saison /ACCR (38), Textes en l’Air Saint-Antoine-L’Abbaye.

Au Théâtre Artéphile 7, rue Bourgneuf, 84000 Avignon

Du 7 au 26 juillet à 15h25 relâche les mercredis ; Rés. 04 90 03 01 90 https://artephile.com

De Leïla Anis et Karim Hammiche, aussi à Avignon, en collaboration avec Éric Charon et David Seigneur, Pourquoi les lions sont-ils si tristes ?

Au 11 Gilgamesh – 11, boulevard Raspail, 84000 Avignon – du 7 au 29 juillet à 12h

Rés. 04 84 51 20 10 www.11avignon.com

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