25 Mai 2022
Toréador, prends garde ! Les pages de Carmen sont inscrites dans notre imaginaire. Elles sont devenues, avec le temps, des airs que chacun fredonne sans même connaître l’opéra de Bizet, Meilhac et Halévy. Ce spectacle en propose une version détournée, cocasse et réjouissante.
Ce soir on joue Carmen. Mais patratas, rien ne va plus ! Les techniciens sont en grève, et sur la scène le décor n’a pas été monté. Le directeur s’arrache – métaphoriquement – les cheveux parce qu’il faut que la représentation ait lieu, survie du théâtre oblige. Pour une fois, et cela fait longtemps que ce n’est pas arrivé, la salle est pleine – clin d’œil aux spectateurs assemblés là – et il n’est pas question de rembourser. Alors on va faire avec les moyens du bord. Le ton est donné. L’opéra, c’est du plus dans une situation qui mélange la comédie au drame… N’empêche ! la musique est là.
Un opéra délicieusement au rabais
Des douze personnages – sans compter les chœurs – qui interviennent dans l’opéra, il ne reste plus que quatre chanteurs qui vont interpréter tous les rôles. Et encore ! la soprano qui devait assurer le rôle-titre de Carmen fait défaut et sera remplacée par la secrétaire du directeur pour qui c’est le rôle de sa vie, et l’un des chanteurs n’est qu’un technicien de plateau – il est en grève, certes, mais pas en tant qu’artiste, donc on peut toujours négocier !... Quant à l’orchestre, réduit à la peau de chagrin, il se compose de deux musiciens… Sur fond d’échafaudages et de bande d’interdiction de passage, rouge et blanche, sous les panneaux de « Liberté ! » et de « Théâtre mis à mort », fini les espagnolades et les décors vulgaires. On entre dans la vraie vie – du théâtre – avec un toréador-machiniste qui se réclame de l’Internationale…
Entre opéra et comédie, un duel à fleurets mouchetés
Au milieu de cette situation foutraque où l’opéra semble à tout moment sur le point de se débiner et où les commentaires transforment Carmen en « garce » et les brigands en « ses copains SDF », les chanteurs persévèrent, et ils le font bien. Et, même s’ils sont démentis par un jeu de scène qui introduit une dimension comique, la musique de Bizet tient la route et la manière de chanter les airs culte de l’opéra aussi. Sophie Sara, qui a écrit le spectacle en y insérant des fragments de l’opéra, nous livre une Carmen pétulante et enjouée quoique très éloignée de la fière gitane impérieuse. Mathieu Sempéré, en brigadier déserteur et déchiré, meurtrier de la femme qu’il aime, campe un Don José à la voix magnifique et Philippe Moiroud et Ariane-Olympe Girard, dans leurs multiples peaux, font merveille. Si l’on s’amuse beaucoup, la musique y trouve cependant son compte et lorsque le rideau tombe, on a le sentiment que l’opéra a pris le dessus. Tel est sans doute le sort des grandes œuvres : résister par leur seule force et préserver leur dimension mythique…
Carmen ou presque Une comédie délirante et musicale de Sophie Sara
S Mise en scène Kamel Benac S Scénographie Marc Cassar S Lumières Thierry Manciet S Avec Philippe Moiroud, Ariane-Olympe Girard, Sophie Sara, Mathieu Sampéré, Olivier Hardouin S Musiciens Christophe Camier, Charly Barjonet S Durée 1h30
Du 7 au 25 juillet à 18h15 (relâche les 12 et 19 juillet)
À la Chapelle des Italiens - 33 rue Paul Saïn - 84000 Avignon Rés. 09 52 42 66 72