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Arts-chipels.fr

La Mouette. Quand le théâtre parle du théâtre à des comédiens en devenir…

Photo de répétition © DR

Photo de répétition © DR

Paul Desveaux met en scène la Mouette de Tchekhov avec les jeunes comédiens de l’ESCA. Une pièce emblématique pour un lieu où jeunes et plus âgés, anciens et modernes, collaborent sans se quereller pour cultiver leur passion du théâtre.

Du 1er au 20 février 2022, les jeunes comédiens de l’École Supérieure de Comédien.nes.s par l’Alternance (ESCA), connue aussi sous le nom de Studio d’Asnières, associés à des acteurs confirmés, présenteront, dans une mise en scène de Paul Desveaux, l’aboutissement de leurs travaux avec la Mouette d'Anton Tchekhov. Une représentation qui concrétise les travaux de trois années d’apprentissage accomplies en alternance au sein de l’École.

Photo de répétition © DR

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L’ESCA, seul Centre de Formation d’Apprentis comédiens en France

Seul Centre de formation d'apprentis comédiens en alternance en France, l’ESCA a reçu, en septembre 2014, l’habilitation du ministère de la Culture, en tant que CFA, à délivrer un Diplôme National Supérieur Professionnel de Comédien.ne de niveau II (bac + 3), adossé à une Licence, dans un partenariat avec l’université de Paris III (module Histoire du théâtre et de la mise en scène). Cette habilitation marque la reconnaissance de la qualité des enseignements dispensés au sein de l’École.

L’ESCA offre aux apprenti.e.s une formation qui associe l’apprentissage du métier de comédien, rémunéré, à un travail effectif par l’intermédiaire de conventions de stages, avec de nombreux partenaires tels que théâtres, centres dramatiques, nationaux, municipaux ou privés et compagnies. Les cours sont dispensés par des artistes reconnu.e.s (comédien.ne.s, metteuses et metteurs en scène, réalisatrices et réalisateurs, chorégraphes, professeur.e.s de chant, etc.) et des institutions telles que l’Institut d’études théâtrales de Paris III, le Centre national des Arts de la Rue, la FEMIS ou Théâtre Ouvert. Pratique, théorie et histoire sont ainsi associées.

Une sélection drastique

Sur les quelque 860 candidats qui se présentent chaque année, une quinzaine sera retenue au final au terme d’une sélection en plusieurs étapes. Les candidats sont d’abord invités à présenter deux scènes, la première issue d’un texte antérieur à 1950, la seconde postérieure à cette date (un auteur et une autrice). Cette présentation est assortie d’un entretien avec le candidat pour lequel une année de formation préalable est requise. Seuls 10 % des candidats sont retenus. Ils doivent alors présenter sur le plateau une scène de leur choix de 5 minutes permettant d’évaluer, entre autres, leur capacité à occuper l’espace. Les 30 qui seront retenus auront une lecture de texte choisi par l’ESCA à faire, assortie d’une épreuve de danse collective et de chant, individuelle et collective. Un entretien plus long clôturera la sélection des 15 apprenti.e.s recrutés au titre de la formation. Si une telle sélection s’apparente pour les candidats à un parcours du combattant, elle est pour eux un gage de reconnaissance de la profession.

Un apprentissage en alternance

Au cours des trois années de leur cursus, leur journée sera divisée en deux : le matin, les cours, l’après-midi et le soir l’apprentissage professionnel qui peut prendre plusieurs formes : des engagements auprès de théâtres et de compagnies, mais aussi des lectures publiques, l’animation d’ateliers en direction des jeunes et des interventions en milieu solaire ou à l’hôpital Sandor Ferenczi d’Asnières. Au cours de leur cursus, chacun aura donc en moyenne 7-8 employeurs, et l’occasion de se frotter à des types de demandes très diversifiés. Essentiellement parisien au départ, avec un fort apport d’écoles telles que le Cours Florent et ses 1 500 élèves, leur recrutement s’est progressivement diversifié pour s’ouvrir aux conservatoires de Paris et des régions, les apports de Bordeaux et Strasbourg, mais aussi quelques étudiants étrangers (Belgigue, Italie, Kazakhstan).

Photo de répétition © DR

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Un objectif : créer un spectacle

L’ESCA, en tant qu’école, possède une compagnie dédiée. Chaque année, les étudiants des trois années sont associés pour créer deux spectacles qui seront joués trois semaines. L’occasion de découvrir les répercussions d’une exploitation longue et de mesurer l’évolution du jeu au fil du temps. Cette année, Roméo et Juliette, représenté en décembre au Théâtre Montansier à Versailles, pièce nourrie par l’élan de la jeunesse, adoptait pour problématique l’héritage que les parents lèguent à leurs enfants dans le temps qui est le nôtre, marqué par les guerres et les conflits communautaires. La Mouette, quant à elle, qui voit s’affronter sur scène des conceptions du théâtre et que Tchekhov estimait aller « à l’encontre des lois dramaturgiques », offre l’occasion de confronter des visions générationnelles. Chaque fois, il est question de réinterroger le texte tout en amorçant un mouvement vers le contemporain.

Photo de répétition © DR

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La Mouette, une fable intemporelle

Anton Tchekhov résume ainsi sa pièce : « La Mouette est une comédie avec trois rôles de femmes et six rôles d’hommes. Quatre actes, un paysage (vue sur un lac), beaucoup de discours sur la littérature, peu d’action, cinq tonnes d’amour ». Une curieuse définition quand toute la pièce n’est que ratages successifs, incompréhension et souffrance intérieure. Côté amour, l’instituteur aime Macha qui aime Treplev qui aime Nina qui aime Trigorine qui n’aime personne mais est aussi aimé par Arkadina pour laquelle soupire Dorn, lui-même aimé par Paulina qui se détache de Charmaïev. Quant au pan du théâtre, il est marqué par le signe de l’incompréhension. Treplev, qui voudrait transformer le monde en réinventant la scène et le théâtre, s’oppose à sa mère, Arkadina, dans une querelle qui a tout d’un conflit de générations. L’art est le territoire miné où se jouent les passions, les conflits, les illusions. De cette intrigue touffue, Tchekhov disait : « Il n’y a pas besoin de sujet. La vie ne connaît pas de sujet, dans la vie tout est mélangé, le profond et l’insignifiant, le sublime et le ridicule. ».

Photo de répétition © DR

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L’approche de Paul Desveaux

Pour Paul Desveaux, la Mouette n’est pas représentative d’une époque, on ne peut l’enfermer dans une temporalité qui serait celle de la toute fin du XIXe siècle. Son « message », intemporel, est ontologique. Il se réfère à une intériorité qui rapprocherait la pièce des investigations psychanalytiques, naissantes au moment où Tchekhov écrit la Mouette, et de la volonté de Nathalie Sarraute de faire émerger dans l’écriture « le non-dit, le non-avoué ». C’est la raison pour laquelle les personnages n’apparaissent pas en habits d’époque mais en costumes contemporains. Bien que l’histoire s’achève par le suicide de Treplev, et que chaque personnage soit conduit, d’une certaine manière, à l’échec, il n’y voit pas de tragédie, tout juste l’amorce, peut-être, d’une tragicomédie sur le mode d’un humour un peu noir. Sa volonté : interroger le texte et ce qui se dégage de lui.

© Vincent Iakov Arfa

© Vincent Iakov Arfa

Le travail de l’acteur

« On ne parle pas, dit-il, de personnage mais de comment rendre compte du texte » Dans son travail avec les comédiens, il fixe la priorité. On est au théâtre et « il faut voir le texte et comment le dire », en extraire la moëlle. Si l’on prend en considération que la Mouette fut montée au Théâtre d’Art par Constantin Stanislavski, faut-il retrouver la notion d’intériorisation du personnage dans son appropriation par le comédien – à laquelle s’opposera, quelques décennies plus tard, le regard porté par le comédien sur le personnage, la distanciation qui fit florès nombre de décennies ? Aujourd’hui la réponse est nuancée. Il n’existe plus d'école théorisée, constituée, qui s’intéresse à l’esthétique du jeu. Les dernières décennies font leur marché dans l’héritage des propositions passées. Une vision post-moderne en somme, qui puise les éléments dont elle a besoin, sans souci d’une cohérence érigée en système, qui emprunterait tout aussi bien à la lecture sociale ou à la psychanalyse, par exemple. Un retour au texte et à sa résonnance ici et maintenant.

Photo de répétition © DR

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Une Mouette pour interroger le théâtre

La Mouette offre une intéressante superposition de niveaux concernant l’art et le théâtre. Si Antoine Vitez y voyait une paraphrase d’Hamlet où Treplev aurait été le reflet d’Hamlet, Trigorine celui de Claudius, où Arkadina renverrait à Gertrude et Nina, avec son attirance pour l’eau, à Ophélie, Paul Desveaux y voit une interrogation plus générale sur l’art, le plateau, l’écriture et l’expression d’un conflit entre générations d’artistes. Il poursuit sa réflexion sur le legs, sur la manière qu’a la Mouette d’interroger le théâtre, sur la part créatrice indispensable pour s’emparer de ces rôles. « Ce qui me passionne, conclut-il, c’est de sculpter en direct ». Dans le mot russe correspondant à « mouette » (tchaïka) résonne le verbe « espérer vaguement ». C’est sans doute dans ce message d’espoir et de foi dans la force des textes représentés qu’il faut voir la démarche de cette Mouette qui a pris son envol.

© Vincent Iakov Arfa

© Vincent Iakov Arfa

La Mouette d’Anton Tchekhov Traduction André Markowicz et Françoise Morvan

S Mise en scène et scénographie Paul Desveaux S Chorégraphie Jean-Marc Hoolbecq S Costumes Bruno Marchini S Assistante costumes Morgane Ballif S Lumières Laurent Schneegans S Assistante à la mise en scène Fiona Stellino S Avec Léonore Chaix (Irina Nikolaïevna Arkadina), Simon Cohen (Konstantin Gavrilovitch Tréplev), René Loyon (Piotr Nikolaïevitch Sorine), Héloïse Werther (Nina Mikhaïlovna Zarétchnaïa), Julien Despont (Ilia Afanassiévitch Chamraïev), Milla Nizard (Pauline Andréïvna), Fany Otalora (Macha), Igor Skreblin (Boris Alexeïevitch Trigorine), Alexis Debieuvre (Evguéni Serguéïevitch Dorn), Tristan Pellegrino (Sémione Sémionovitch Medvédenko), Vincent Arfa (Iakov) S L’ESCA est codirigée par Tatiana Breidi et Paul Desvaux.

Du 1er au 20 février 2022 - mardi, mercredi et vendredi à 20h, jeudi et samedi à 19h, dimanche à 15h

Au Studio ESCA – 3, rue Edmond Fantin – 92600 Asnières-sur-Seine

Rés. 01 47 90 95 33 www.studio-asnieres.com

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