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Arts-chipels.fr

Fuir le fléau. Écrits en temps de pandémie.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

À la manière des voyageurs s’échangeant des histoires dans le Décaméron de Boccace, dix-sept auteurs, sollicités par Anne-Laure Liégeois durant le confinement, lui livrent un court texte à mettre en scène. Leur somme forme un spectacle éclaté et réjouissant sur le thème du fléau.

En avril 2020, le temps s’est arrêté. Les théâtres sont fermés. Le terme même de projet semble une échéance lointaine. Résister, c’est aussi continuer à inventer, ne pas cesser de créer. Pour survivre, pour se sentir vivant. Un combat à mener que s’approprie Anne-Laure Liégeois et qu’elle propose à plusieurs auteurs. À la manière des protagonistes du Décaméron fuyant la peste, qui se racontent des histoires grivoises pour conjurer l’épidémie, elle les invite à écrire sur le thème du fléau, considéré en termes génériques, du danger qu’il représente et des moyens qu’on peut trouver pour y échapper. Ce sont ces textes, d’une grande diversité, qui sont présentés au cours de plusieurs séances dans divers lieux des théâtres qui accueillent le spectacle.

Six comédiens dans des lieux éclatés

Inscrire le contemporain dans cette démarche, le « aujourd’hui et maintenant », ce qui vit et palpite apparaît à Anne-Laure Liégeois comme une nécessité. Pour présenter les dix-sept récits issus de la proposition faite aux auteurs, six comédiens sont sollicités. Comme une réponse à l’injonction d’éviter les grands rassemblements, le public est divisé en petits groupes, répartis dans divers lieux du théâtre. Les loges, le foyer des artistes ou le plateau sont réquisitionnés, entre autres, pour accueillir spectacle et spectateurs. Les comédiens se déplaceront d’un lieu à l’autre pour raconter, chacun, l’histoire qu’ils ont en charge, six séquences distinctes de dix minutes chacune. L’ordre des histoires n’a de logique que celle des changements de lieu et l’obligation que toutes les histoires soient jouées pour chaque groupe de spectateurs présents. Il variera d’un groupe à l’autre et d’une journée à l’autre puisque six textes seulement sont joués chaque fois. Quant aux comédiens, ils ont autant de manières d’approcher les textes qu’il y a d’histoires. Leur point commun : ni décor, ni costumes, ni éclairages spécifiques. Le lieu tel qu’il est et l’adresse directe au public. Un jeu théâtral ou acteurs et spectateurs ont partie commune.

Le fléau et la fuite

Les textes témoignent des différentes formes d’approche du « fléau » et des manières de le conjurer. Certains sont en relation directe avec les événements, tel celui, plein d’un humour grinçant, qui met en scène un couple coincé dans son appartement par l’épidémie. Chacun évite l’autre dans un chassé-croisé cocasse car la « seule chance de rester vivant, c’est de faire le mort » et le couple s’enfonce peu à peu, au grand dam de la femme, dans un silence de la relation annonciateur de la retraite – Monsieur se fige devant la télé, faisant peu à peu corps avec le canapé, Madame hurle sa frustration dans un concert de casseroles sur le balcon en l’honneur des soignants. Alors les zombies qui se risquent dans les rues façon morts-vivants, ceux qui passent en silhouettes furtives dans une ville fantôme ont l’air presque plus vivants que ceux qui jouent les stratégies d’évitement dans leurs rapports de proximité. Tantôt le fléau prend la dimension de la métaphore des boat-people et des migrants qui se pressent par milliers aux portes de l’Europe. Tantôt c’est l’art « de la fugue » qui est mis en avant, à travers l’évasion dans la libération corporelle pour rechercher son propre moi dans des pratiques plus ou moins fumeuses qui passent par la danse et la nudité, ou dans une méthode à la Bonnard s’acharnant à peindre son épouse au bain, encore et toujours, pour chercher un monde à l’intérieur du monde, dans le presque rien, dans le retour invariable des jours. Le fléau, c’est aussi cette recherche absurde, lorsqu’on a la peau noire et les cheveux crêpus, de se laver plus blanc que blanc à force de crèmes et de défrisages, en recourant parfois même aux détergents et à l’eau de javel. Et bien d’autres propositions encore, qu’on découvre au fil de ces saynètes que nous proposent chacun des comédiens.

Au cœur de la vie même…

Dans ce kaléidoscope où se raconte le monde, chacun y va de son histoire directement adressée au public. Et quand d’aventure les spectateurs entrent dans le jeu, il faut au comédien suffisamment de repartie pour répondre à la sollicitation et faire entrer ce nouveau jeu dans le jeu préétabli. On s’amuse beaucoup, on s’enrichit de la pluralité de ces fables, on réfléchit à ce que recouvre la dimension du mal, aux barrières que les hommes érigent pour se protéger d’eux-mêmes et des autres, on élargit son horizon en découvrant que le fléau des uns n’est pas toujours celui des autres mais que tous se valent et qu’à tous il faut trouver remède. La somme de ces histoires, qui sont autant de tranches de vie, crée un objet vivant non identifié. Ni retour apitoyé sur soi-même, ni tableau noirci d’un tableau déjà noir, Fuir le fléau s’impose avec humour et bonne humeur comme le témoignage d’une vie intense, dynamique et pleine de ressources.

Fuir le fléau - Mise en scène Anne-Laure Liégeois

S Une commande de textes à Nathalie Azoulai, Emmanuelle Bayamack-Tam, Arno Bertina, Valérie Cachard, Lise Charles, Rébecca Déraspe, Rémi De Vos, Thierry Illouz, Leslie Kaplan, Olivier Kemeid, Philippe Lançon, Scholastique Mukasonga, Valérie Manteau, Laurent Mauvignier, Marie Nimier, Jean-Marc Royon, Jacques Serena S Avec Vincent Dissez, Olivier Dutilloy, Anne Girouard, Norah Krief et en alternance Alvie Bitemo, Olivier Broche, Lorry Hardel, Nelson-Rafaell Madel, Isis Ravel S 2 séries de 6 textes différents de 10 minutes chacun avec une circulation dans un théâtre. S 6 lieux du théâtre à découvrir 1h20 par série de représentation S Production Le Festin-Compagnie Anne-Laure Liégeois S Avec l’aide de Equinoxe Scène nationale de Châteauroux, Le Volcan Scène nationale du Havre, La Maison de la Culture d’Amiens, les donateurs de L’Azimut – Antony/Châtenay-Malabry (le spectacle est aidé par les spectateurs qui ont souhaité ne pas se faire rembourser leurs billets des spectacles de la fin de saison 2019/2020), La Filature Scène nationale de Mulhouse, La Villette Établissement public du parc et de la Grande Halle de la Villette 2019/2020), La Filature Scène nationale de Mulhouse, Le Manège Scène nationale de Maubeuge, La Villette Établissement public du parc et de la Grande Halle de la Villette

Tournée 2022

10 au 12 janvier 2022 – Le Volcan – Le Havre

13 au 15 janvier 2022 – L’Azimut Antony Châtenay-Malabry

21 et 22 mai 2022 – La Filature, Scène nationale – Mulhouse

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