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Arts-chipels.fr

La Fuite ou comment une fable boulevardière explore les terres de la réflexion philosophique sur l’humanité.

La Fuite ou comment une fable boulevardière explore les terres de la réflexion philosophique sur l’humanité.

La dernière pièce achevée de Pirandello, réimplantée dans un nouveau décor et une temporalité plus contemporaine, nous renvoie aux thèmes chers à l’auteur, à sa vision désabusée du monde et à une réflexion sur les travers de l’espèce humaine…

Une cuisine de restaurant décrépie. Des portes battantes qui portent la trace des milliers de poussée, toujours au même endroit, un amoncellement d’ustensiles et de plats dédiés, une vieille cuisinière, des plans de travail fatigués par les ans, des peintures jaunies sur les murs… un décor assez naturaliste, fatigué comme son propriétaire, un restaurateur pour qui rien ne fonctionne plus. Le restaurant est déserté, les clients enfuis chez son concurrent, la situation on ne peut plus dramatique, et comique à la fois. Ce jour-là c’est la panique car, fait exceptionnel, Nicolá, le patron, doit préparer un repas de noces. Il attend l’aide de Ginevra et de Béatrice, et il arpente frénétiquement mais sans efficacité l’espace exigu de sa cuisine, comme un rat en cage, et se répand en conseils inutiles, en récriminations permanentes à l’égard des deux femmes qui arrivent enfin. Dans ce huis clos que vient parfois interrompre le téléphone et où passent les époux de ces dames, on cause, de tout et de rien…

© Stéphanie Benedicto

© Stéphanie Benedicto

Une transposition de Pirandello

La Fuite trouve sa source dans une adaptation de la dernière pièce achevée de Pirandello, On ne sait comment (1935). Etrange destinée que celle de ce littérateur et auteur de théâtre qui flirta avec le fascisme et reçut l’appui de Mussolini et dont l’épouse paranoïaque, après dix-sept années de soins à domicile, fut finalement internée. Prix Nobel de littérature en 1934 « pour son renouvellement hardi et ingénieux de l'art du drame et de la scène », celui qui définit la vie comme « un séjour involontaire sur terre » et porte sur l’incommunicabilité entre les hommes un regard aigu s’attache, dans On ne sait comment, au thème de la responsabilité face à nos actions et de notre liberté quant à elles. A bâtons rompus, les personnages racontent une histoire plutôt simple et mille fois entendue au théâtre. Roméo est en train de devenir fou car il pense que son épouse, Béatrice, le trompe avec Nicolá, ce qu’elle dément – il a bien essayé, mais sans succès. Lui-même n’est pas sans tache. Il a eu une aventure avec Ginevra qui se dit follement amoureuse de son époux. Il a aussi commis des actes bien plus graves et ne parvient plus à vivre sans trouble de conscience. De la comédie de mœurs, la pièce pénètre progressivement dans un corridor plus sombre où responsabilité et possibilité ou non d’expiation sont au cœur, où vérité et mensonge deviennent indiscernables et où le relativisme, la négation complaisante de nos actes et un cynisme ironique règnent en maîtres.

© DR

© DR

L’envers de l’âme humaine

A l’univers de la comédie de boulevard bourgeoise avec comte, marquis, officier de marine et leurs épouses de Pirandello où chacun trompe l’autre et se trompe lui-même, Ciro Cesarano et Fabio Gorgolini substituent le milieu misérabiliste de ce restaurant en perdition où des personnages de notre temps montrent, dans un crescendo qui a largué la comédie légère pour devenir une fable existentielle, une humanité en pleine déconfiture qui ne cesse de se défaire et refuse les conséquences de ses actes. La référence à la comédie italienne est présente, en particulier avec la faconde comique d’un Nicolá qui se défile sans cesse, s’illusionne, s’énerve à tout propos et mal à propos, se montre drôle, pleutre, obséquieux et lâche. Mais dans cet univers qui se déglingue et craque de partout, on pense plutôt à Dostoïevski qu’au théâtre de boulevard. Les mensonges et travestissements successifs de la réalité qui se dévoilent progressivement comme dans un jeu de massacre où les figures s’effondrent une à une révèlent le caractère tragique d’une humanité irréconciliable avec elle-même. Au milieu de tous les faux-semblants, dans ce théâtre de l’existence mis à nu par Pirandello, il n’y a nulle possibilité de salut…

© Stéphanie Benedicto

© Stéphanie Benedicto

La Fuite de Ciro Cesarano et Fabio Gorgolini (éd. Les Cygnes) d’après On ne sait comment de Luigi Pirandello

Mise en scène : Fabio Gorgolini

Avec : Ciro Cesarano (Nicolá, patron du restaurant), Fabio Gorgolini (Romeo), Lætitia Poulalion (Ginevra, cuisinière), Boris Ravaine (Giorgio) et en alternance Audrey Saad ou Amélie Manet (Beatrice, cuisinière).

Assistant à la mise en scène Ciro Cesarano, Décor Claude Pierson, Création lumières

Orazio Trotta, Création costumes Pauline Zurini, Musique Claudio Del Vecchio.

Du 3 au 19 novembre 2021 du mardi au samedi à 20h00 Dimanche 16h00 

Théâtre 13 Glacière (103 A, boulevard Auguste-Blanqui 75013 Paris )

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