14 Novembre 2020
Il y a des anniversaires qu’on préférerait ne pas avoir à fêter. Et des fake news qu’on préférerait ne jamais avoir connues. N’empêche que notre paysage quotidien s’en est trouvé considérablement modifié et qu’il faut faire avec. Et si on parvient encore, parfois, à en rire, c’est tant mieux.
Le 13 novembre 2015, votre servante se trouvait au Stade de France. Est-ce que j’avais une tête à ça ? Ceux qui me connaissent diraient que non. Et pourtant… Des places réservées par un ami de mon fils pour un match France-Allemagne et inutilisées par lui. Il n’y a dit-on, que les imbéciles qui refusent avant de connaître. Alors un petit bain de foule populaire histoire de plonger dans ce qui fait vibrer nombre de nos contemporains, de partager le même engouement, peut-être… Mais voilà, ce 13 novembre, c’était le jour choisi par Daech pour sa déclaration de guerre à la France, pour frapper les foules de mécréants que nous sommes. Bombes au Stade de France, massacres en tirant dans le tas au Bataclan et aux terrasses des bistrots du quartier République. Un carnage : 130 morts et plus de 400 blessés. Fusils d’assaut Kalashnikov, ceintures et gilets d’explosifs… le grand jeu. Pour faire bonne mesure avec l’attentat de janvier contre Charlie Hebdo et la prise d’otages, le même mois, de l’hyper Cacher de la porte de Vincennes.
De la guerre à la contestation des lois
Cinq années plus tard, le cauchemar recommence, sous une autre forme cette fois. Les terroristes « organisés » qui coordonnaient leurs actions pour intervenir simultanément et se présentaient lourdement armés ont cédé la place à des fanatiques inexpérimentés qui attaquent à l’arme blanche. On est passé du commando militairement organisé à des actions individuelles perpétrant des meurtres « pour l’exemple ». La guerre a cédé la place à la folie homicide, plus difficile à surveiller et davantage encore à contrôler. Des actes individuels, au petit pied, quelles qu’aient été les incitations au meurtre et les soutiens reçus via les réseaux sociaux ou l’influence de certains imams désireux d’en découdre avec les Infidèles. On a changé de braquet. Plus de nations en guerre, contrairement au vocabulaire belliqueux utilisé par notre Président pour s’appuyer sur notre conscience nationale, mais un état dangereusement larvé de la société où se dessine une fracture profonde : le refus d’une fraction – minime mais agissante – de cette même société de souscrire aux valeurs de la république, à l’intérieur même du système. La question ici n’est plus celle de la laïcité mais celle de la citoyenneté et de ses valeurs. Face à ce péril intérieur, l’état d’urgence est-il la solution la plus adaptée (d’autant qu’on en remet une couche avec l’urgence sanitaire, absolument justifiée, celle-là) ? Cela peut sembler un emplâtre sur une jambe de bois car comment traquer celui qui te ressemble et se fond dans la foule. La poursuite d’une telle politique pourrait même aussi conduire aux pires excès par ce qu’elle engendre. Une négation des valeurs de la démocratie. L’effacement de nous-mêmes. Ce que les actes de guerre ne sont pas parvenus à obtenir – dans une guerre on sait qui est l’ennemi et on peut le combattre – ces actes isolés pourraient a contrario le réaliser et il faut se garder des donneurs de conseil qui masquent sous leurs indignations vertueuses des motivations électorales et politicardes… Aussi, continuer de se joindre au concert de voix musulmanes qui s’élèvent est une mesure de salubrité démocratique, et résolument plaider pour la rencontre Orient-Occident comme la développe Jordi Savall sur le plan artistique dans l’« Hommage à la Syrie » présenté au 9e Festival de musique et histoire pour un dialogue interculturel à l’abbaye de Fontfroide (près de Narbonne), qui rassemble des musiciens et chanteurs venus des deux côtés de la Méditerranée, apparaît comme une nécessité en ces temps troublés sur le plan des repères : https://www.youtube.com/watch?v=m0ph_Ii1cs8. Il y a même un volume 2, Orient Occident II, d’autres morceaux en hommage à la Syrie : https://www.youtube.com/watch?v=mlL2D-IoW0g
Fake news, infox ou informations fallacieuses : un problème de société ?
Diffuser de fausses informations a toujours été une arme utilisée pour susciter l’intérêt populaire, faire vendre les gazettes. Secrets prétendument cachés révélés au public, canards en tout genre avec pour cible par exemple les francs-maçons, ces nouvelles fabriquées de toutes pièces ne reposaient sur rien sinon le souci de faire du buzz, comme on dirait aujourd’hui, de faire vendre. Les politiques ou les institutions ne sont pas restés à l’écart et y ont vu l’occasion de faire fructifier leurs thèses ou leurs mises au ban. Il y a, bien sûr, l’affaire Dreyfus mais, plus près de nous, George W. Bush affirmant mordicus et en dépit de toutes les observations qu’il existait une menace nucléaire en Iraq pour justifier l’intervention de l’armée américaine. « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose. », affirme l’adage et Donald Trump a atteint des sommets en la matière, ce qui n’est pas à piquer des hannetons pour le président de la première démocratie du monde où des présidents ont été désignés à la vindicte publique pour bien moins que cela. Il n’empêche que les fake news ont aujourd’hui atteint une telle ampleur que nos gouvernements s’en émeuvent. L’infox est devenue virale. Par la vertu des réseaux sociaux, elle s’étend comme traînée de poudre et contamine en un claquement de doigts la planète entière.
Trump, champion toutes catégories
On pourrait rire des frasques twittées de Donald Trump si elles n’avaient des répercussions parfois tragiques. Qu’on garde seulement en mémoire quelques-unes de ses sorties fameuses : que les vaccins sont la cause d’une augmentation des cas d’autisme, ou que le réchauffement climatique est une invention des Chinois, pour ne pas citer le traitement du Covid à coups d’ultraviolets et d’injections d’eau de javel. Le très sérieux Washington Post, peu enclin à la plaisanterie, a estimé à 7,5 infox par jour la production du président de cette nation de 330 millions d’habitants…
Un effet boule de neige qui alimente les complotismes en tout genre
L’immédiateté de l’information ou prétendue telle qui transite sur les réseaux sociaux fait qu’on est déjà à des années-lumière de la source lorsqu’il est question de contrer une fausse rumeur. Elle fait le lit de tous les extrémismes qui trouvent dans la Toile le vecteur idéal – et quasi insaisissable – pour diffuser de fausses informations qui ne pourraient trouver place dans la presse. Le dernier scandale en date, tandis que Marine Le Pen se cramponne aux thèses de Trump sur l’irrégularité du vote américain, revient à Hold up, le bien-nommé, un documentaire qui met en scène un supposé Great Reset, une sorte de grande lessive qui permettrait de détruire une partie de l’humanité (celle qui coûte, les vieux et les pauvres en particulier) – « Tuez-les, tous, Dieu reconnaîtra les siens… » – pour faciliter l’arrivée de la 5G – avec toutes ses conséquences non encore mesurées qui s'apparentent à vouloir monter dans un train en marche sans savoir où il va. Dans le même lot, le refus de l’hydrochloroquine comme médication du Covid participerait d’un complot des lobbies pour leur laisser le temps de mettre au point la vaccination, un enjeu économique de taille – et tant pis pour les victimes collatérales. Cerise sur le gâteau : le virus aurait été fabriqué en laboratoire à partir d’une souche de Sras… Et ce n’est qu’une petite partie de l’iceberg lancé sur la mer démontée des « informations » actuelles. Ceci pourrait paraître risible n’était la place de plus en plus importante que ces fake news occupent dans le paysage aujourd’hui et la crédibilité qu’on leur accorde. Du coup, les médias consacrent une part non négligeable de leur communication entre décryptage des assertions et démentis… On vit une époque formidable !
Réagir : une nécessité dangereuse
Les gouvernements ont bien compris les dangers présentés par ces fausses vérités qui nous environnent de plus en plus et où s’engouffrent les extrémismes, tant énoncer fort des mensonges pollue aujourd’hui le paysage médiatique – on citera Marine Le Pen accréditant les thèses de tripatouillage électoral aux Etats-Unis et s’obstinant à ne pas reconnaître la victoire de Joe Biden. Ils tentent de remonter à la source pour faire interdire ces fake news dès leur publication et éviter ainsi leur développement anarchique. Avec les difficultés que l’on sait : d’une part, les réseaux sont des hébergeurs et n’ont donc pas de responsabilité par rapport aux contenus qu’ils hébergent ; d’autre part, dématérialisés, et avec des hébergements situés à l’étranger, ils ne sont pas contrôlables sur le territoire national. Mais là encore, les écueils affleurent. Il suffit pour s’en convaincre de prendre l’exemple chinois. Derrière le contrôle se profilent, là encore, des atteintes à la démocratie car qui fixera les limites du politiquement correct, du vrai et du faux, alors que les délais de justice – et les moyens humains pour l’exercer – sont incompatibles avec la réaction immédiate qu’on souhaiterait mettre en place. Notre société est entrée dans l’ère du paradoxe : celui de l’information qui est désinformation ; celui de la liberté qui porte en germe ce qui la tue ; celui d’une modernité « libératrice » qui peut devenir asservissement, celui d’une mondialisation qui unit la communauté des hommes tout en les divisant.
Un bien qui n’évite pas le mal
D’aucuns estiment aussi que le démenti, loin de faire taire la rumeur, contribue, au mieux à l’alimenter, au pire à la renforcer. Là encore, l’exemple américain est éclairant. Le travail d’analyse effectué par les journalistes pour démonter la logorrhée de Trump et mettre au jour ses affirmations mensongères, si elle conforte ceux qui ont déjà compris à quelle manipulation se livrait l’homme, ne fait que renforcer, pour les partisans dudit, l’idée qu’il est victime d’un complot visant à le discréditer. L’expertise et la controverse, au lieu de convaincre, suscitent la méfiance. Il n’y a malheureusement pas de solution miracle. Il faudra, encore et toujours, combattre ces fausses rumeurs, ces mensonges orchestrés, sur leur propre terrain, le populisme et les simplifications en moins de préférence, ce qui les rendra moins « sexy », mais aussi, pour faciliter le décryptage, remonter plus haut et aller voir sur le terrain de l’éducation. Nos enseignants ont décidément du pain sur la planche : ils ajouteront à leur panel de compétences celles d’enseigner, outre la citoyenneté et les valeurs de la démocratie, à différencier le vrai du faux, à distinguer entre la croyance et la démonstration pas seulement dans l’héritage du passé mais dans l’actualité en train de se faire…
Je ne voudrais pas refermer ce journal sans une petite news artistique…
Robert Smithson à la Marian Goodman Gallery de Londres
On connaît Robert Smithson comme une figure phare du Land Art et Spiral Jetty est dans toutes les mémoires. Smithson figurait dans l’exposition présentée par le Centre Georges-Pompidou, Préhistoire, une énigme moderne, avec une installation et un film présentant les étapes de réalisation de Spiral Jetty. On se souvient aussi de ses écoulements de colle ou de béton, qui nous parlent du temps qui passe et de la condition humaine, et, bien sûr, de ses « îles ». Les Galeries Marian Goodman de Londres et de Paris, actuellement fermées, proposent sur leur site, pendant la fermeture, des dessins de l’artiste qui permettent d’approcher sa démarche et de mettre en évidence les thèmes qui traversent son œuvre. L’intérêt de Robert Smithson pour le voyage, la cartographie, la géologie, les ruines architecturales, la préhistoire, la philosophie, la science-fiction, la culture populaire et le langage s’y manifeste et s’enroule en spirale autour de son œuvre. Jusqu’à sa mort en 1973, Smithson démontrera que l’art peut être un moyen de comprendre notre place sur la planète, dans toute sa complexité. L’artiste nous plonge dans la gestation de son univers. « J’aime les paysages qui suggèrent la préhistoire », écrit-il, ajoutant que « pour un artiste, il est intéressant d’endosser le rôle d’un agent géologique où l’homme, en fait, fait partie du processus plutôt qu’il ne le domine. » Pour Smithson, les îles offrent un lieu de spéculation révélant la surface en constant changement de notre monde et les limites de notre connaissance. Si certaines engendrent une invention sculpturale, d’autres interrogent la forme du paysage. Les cratères et volcans qui apparaissent dans sa sculpture et ses installations révèlent son intérêt permanent pour les temps géologiques. Et ce n’est pas par hasard qu’il recourt au basalte, issu de volcans éteints pour la plus grande partie de Spiral Jetty (1970). Îles flottantes, cratères, entrelacs de voies et d’escaliers, gouaches, collages et installations dessinent une géographie imaginaire où le non-réel « acquiert un caractère de réalité et devient solide » et où le temps se perd. Plus de cinquante œuvres sont ainsi présentées à Londres et à Paris.
https://www.mariangoodman.com/exhibitions/robert-smithson-hypothetical-islands-london/ et https://www.mariangoodman.com/viewing-room/robert-smithson/