13 Septembre 2018
L’Institut culturel italien ouvre ses portes à une initiative associative d’envergure en faveur de la musique, et plus particulièrement du quatuor. Au-delà de l’acte militant, le plaisir de l’oreille est au rendez-vous.
Jouer en quatuor ne tolère aucune faute. Point de fausse note ou d’instrument légèrement désaccordé qui serait noyé dans l’orchestre. Ici tout s’entend et la moindre erreur se paie comptant. Cette formation exige donc de la part des musiciens une entente parfaite qui s’acquiert au fil d’un nombre conséquent de répétitions communes. Le temps de la répétition, pour parvenir à un échange de haut niveau s’accompagne d’une expérience de vie. Les Dimore del quartetto (les Demeures du quatuor) répondent à ce besoin. Elles offrent à de jeunes quatuors à cordes venus des horizons les plus divers géographiquement un hébergement dans des demeures historiques de prestige, un lieu de vie qui dépasse le simple cadre du lieu de répétition. Les musiciens, en échange, donnent à l’issue de leur séjour un concert privé à leurs hôtes.
Quand qualité rime avec beauté
Les quatuors sont sélectionnés parmi les meilleurs ensembles de musique de chambre du moment par le directeur artistique, Simone Gramaglia, alto du Quartetto di Cremona, la cité qui eut le privilège d’abriter ces luthiers – ils ont nom Stradivari ou Guarneri – qui ont consacré le violon pour l'éternité, et la patrie de Claudio Monteverdi. Depuis l’été 2015, le bilan est impressionnant : 38 quatuors, 145 demeures, 200 concerts et plus de 600 hébergements ont jalonné la vie de l’association. Le Dimore del quartetto ne se contentent pas d’accueillir ces jeunes gens talentueux. L’association passe des accords avec des sociétés de concerts pour favoriser leur diffusion. Son action, limitée au départ à l’Italie, élargit depuis 2017 son périmètre à toute l’Europe. Avis, donc, aux amateurs et à tous ceux que ce type de projet intéresse !
Au-delà du projet artistique, le plaisir de l’art
Le quatuor Noûs était au programme ce soir-là. Noûs, du mot en grec ancien qui renvoie à l’esprit, et donc à la construction, mais aussi à l’inspiration et à la créativité. Un principe directeur qui guide cette formation talentueuse qui prend Crémone pour point de départ avant de promener ses « âmes » – violon oblige – à Bâle, Sienne, Madrid, Lübeck… un parcours qui les mène en particulier au prix Arthur Rubinstein décerné par le théâtre de la Fenice, à Venise. Huit années de compagnonnage pour former une seule famille d’esprit. Et c’est bien ce que l’on perçoit à les écouter, cet équilibre des voix, cette exigence de perfection qui vont de pair avec une vraie émotion musicale.
Un programme éclairant sur l’évolution du quatuor
Deux œuvres étaient au programme : le Quatuor à cordes n° 1 de Boccherini, publié en France en 1769 lors du séjour du musicien à Paris, et le Quatuor à cordes n° 13 en la mineur de Schubert, dit « Rosamunde » en raison de l’utilisation par le compositeur du thème de la musique de scène qu’il avait composée pour l’œuvre éponyme de Helmina von Chézy. Deux œuvres de deux jeunes gens à peu près du même âge : autour de vingt-six ans. Entre les deux, un demi-siècle, mais un monde d’écart sur le plan musical. Lorsque Boccherini commence à composer ses quatuors à cordes, il est, avec Haydn, le précurseur d’une forme musicale qui se développera avec succès par la suite. Violoncelliste, il commence à détacher l’instrument de sa fonction de basse pour lui accorder une place à part entière et le faire dialoguer avec les autres cordes. Chez Schubert, chacun des instruments a pris son envol et le compositeur joue de toute la gamme des variations offertes par chacun et par l’infinité de leurs combinaisons possibles.
Mirabilia
Aussi différentes et opposées soient-elles, l’une en majeur (Boccherini), l’autre sur le mode mineur (Schubert), l’une en trois parties, l’autre en quatre, l’une de forme plus classique, l’autre résolument romantique, on est frappé par la qualité de leur composition et l’inventivité dont elles témoignent. La mélodie délicate et ornementée de Boccherini mérite qu’on s’y arrête. Chantante, elle n’en est pas moins enlevée, vigoureuse à certains moments, alternant des passages presque élégiaques avec des rythmes dansés, jouant la rupture et la diversité, bien loin de la mièvrerie qu’on a bien voulu prêter au compositeur.
Quant au quatuor de Schubert, contemporain ou presque de la Mort et la jeune fille, s’y dessine l’expression d’une souffrance empreinte de résignation mais parfois traversée d’éclats de révolte, de grincements assumés et de dérapages vite réprimés dans le fleuve mélodieux qui emporte tout. Les thèmes, infiniment repris, microscopiquement modifiés, des quatre mouvements sont un enchantement de tissages délicats, d’enchevêtrements de fils artistiquement agencés qui sécrètent un charme persistant, un parfum envoûtant, une rêverie diffuse.
Magiques, ainsi pourrait-on qualifier ces œuvres. Merveilleuse, leur interprétation qui donne à entendre chaque détail, toute de finesse et de délié, maniant en alternance douceur et violence retenue, mariant simplicité avec complexité, poésie intense et virtuosité qui ne se montre pas mais se contente d’être. On est heureux d’être là, de se laisser porter, de partager cette émotion. L’esprit des morts nous parle et les vivants les accompagnent…
Quartetto Noûs : Tiziano Baviera (violon), Alberto Franchin (violon), Sara Dambruoso (alto), Tommaso Tesini (violoncelle)
Luigi Boccherini, Quatuor à cordes en ré majeur opus 8 n° 1
Franz Schubert, « Rosamunde »,Quatuor à cordes en la mineur opus 29, D. 804
Le 6 septembre 2018
Institut culturel italien. 50 rue de Varenne – 75007 Paris
Tél. 01 44 39 49 39
www.iicparigi.esteri.it/IIC_Parigi/fr
Le Dimore del quartetto: www.ledimoredelquartetto.eu