22 Avril 2017
Dans les années 1960-1970, Dario Fo retrouvait l’essence du théâtre populaire avec une verve puissante puisant dans la commedia dell’arte. Son ombre est magnifiquement revisitée aujourd’hui par Eugenio de’ Giorgi
Dario Fo, décédé en 2016, fut un homme de théâtre italien remarquable et prix Nobel de littérature. L’homme n’était pas banal : écrivain, dramaturge et comédien, passionné par Ruzzante et la commedia dell’arte, il réinventa, à partir des années 1960, une forme de théâtre populaire, engagé, raillant les valeurs de la société italienne, catholique, utilisant tous les ressorts de la farce pour dénoncer sans pesanteur les absurdités de notre société.
Mistero buffo, au pays du verbe vert et florissant
C’est dans cet esprit que Dario Fo crée en 1969, Mistero buffo qui, comme son nom l’indique, combine le thème religieux du mystère avec la dérision et la critique. Dans un dialecte padouan de la Renaissance, très vert et comme mâtiné de mots de français, il déverse un flot ininterrompu de paroles où s’invitent onomatopées et grommelots qui soulignent la distance prise par le théâtre face au langage. Le verbe est ici destructeur. Il dynamite le thème choisi, qu’il s’agisse, comme dans la sélection opérée pour le spéctacle, du premier miracle de l’enfant Jésus ou du sexe monstrueux dont Arlequin hérite pour avoir bu, un soir de soûlerie, une potion miraculeuse destinée à réveiller l’ardeur de son maître Pantalone.
De l’histoire de Jésus à la commedia dell’arte
Avec une verve corrosive, Dario Fo évoque la nativité de Jésus : Balthazar, oscillant sur son chameau, semble un vieux gâteux, Marie une jeune naïve, Joseph un charpentier cloueur. Quant à l’Enfant, il est fort avancé pour son âge et regarde l’agitation qui l’entoure, la ronde des anges et tout le toutim avec une attention amusée et critique. L’auteur met en scène la rencontre improbable de Boniface VIII, « charmant » pape chantant le grégorien tout en faisant clouer la langue de ses opposants sur une cloison dès qu’ils ont l’heur de lui déplaire et de Jésus portant la croix. Le pape est embarrassé par la pompe et le lustre qu’il porte sur lui – tiare, riches et lourds vêtements, bagues aux doigts… – lorsqu’il croise Jésus, souffrant et en haillons. S’il essaie de faire valoir que le représentant de Dieu sur Terre se doit d’être entouré de décorum, sa tentative de justification apparaît dérisoire avant qu’il ne passe outre toute culpabilité.
Les deux autres séquences choisies se rapportaient davantage à la commedia dell’arte et à ses personnages, Zanni, à l’insatiable faim, qui se dévore lui-même, mange ses excréments et tout ce qui passe à sa portée ; Arlequin, hâbleur et ivrogne qui, avec son sexe démesuré, fait des efforts désespérés pour cacher cette excroissance de son anatomie aussi haute que lui. Il tente de la minimiser, la costume en enfant et échange les banalités d’usage sur cet embryon d’humain qu’il ne veut pas livrer – et pour cause ! – à la caresse des femmes attendries jusqu’à ce qu’il trouve la solution finale : une castration qui le laisse enfin en paix…
Une farce revisitée et jouissive
Dario Fo, sur scène, était un immense personnage et on aurait pu croire qu’une fois l’auteur disparu, incarner son théâtre aurait été difficile. Il n’en est rien. Eugenio de’ Giorgi habite ce théâtre comme s’il l’avait toujours connu, qu’il avait fait partie intégrante de sa vie d’acteur. Il intériorise la faconde proprement italienne, utilise toutes les ressources de son corps pour dire le texte. Les mains parlent, les bras s’agitent, les pieds marquent le rythme, le bassin, le buste, les yeux, la bouche, en perpétuel mouvement, déconstruisent, dénoncent, surjouent et mettent ainsi à nu une certaine vérité populaire, très éloignée des poncifs normalisés et moralisateurs en même temps qu’ils racontent une autre histoire, tue mais millénaire, celle des classes subalternes condamnées au silence.
La barrière de la langue – le spectacle se déroule en dialecte padouan mais les séquences sont auparavant présentées par Eugenio de’ Giorgi – n’en est pas réellement une, tant le corps entier est engagé dans le texte. Les mimiques sont amples, outrées, explicites. On rit beaucoup à ce spectacle, d’un rire libérateur, impertinent, iconoclaste, et cela fait du bien…
Ce spectacle sera présenté à nouveau au centre Rachi à Paris à une date qui reste à confirmer
Mistero buffo de Dario Fo
Mise en scène et interprétation d’Eugenio de’ Giorgi
Institut culturel italien – 50 rue de Varenne – 75007
Jeudi 20 avril 2017