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Arts-chipels.fr

Chasser les fantômes. Un amour interracial au temps de l’après-colonisation

Phot. © Collectif Ildi Eldi

Phot. © Collectif Ildi Eldi

Peut-on s’aimer quand on n’a pas la même couleur de peau, qu’on ne vit pas au même endroit et que l’un est condamné à l’exil pour rejoindre l’autre ?

Un espace composé de trois aires, entourée par des panneaux réfléchissants. Sur l’aire centrale, surélevée par rapport aux deux autres, un batteur et son instrument. De chaque côté deux blocs plus bas sur lesquels se tiennent un homme et une femme. Elle s’appelle Roxane, il s’appelle Marco. Elle est blanche, il est noir. L’espace est abstrait si leur histoire ne l’est pas. Il se sont rencontrés, quelque part en Afrique. Ils se sont aimés d’amour fou. Elle était Française. Elle est repartie. Ils ont décidé de se revoir. Ils ont fait des pieds et des mains pour qu’il vienne en France. C’est arrivé. Il est à l’aéroport. Il débarque. 

Une histoire d’amour dans la distance

Cet amour, ils l’évoquent chacun dans leur espace comme si déjà entre eux se dressait une barrière invisible mais néanmoins présente. Ils racontent, ils se racontent et nous racontent. Ils ne se touchent pas ou si peu, ne se regardent pas, sauf par moments. Chacun dans sa bulle et chacun son histoire, qu’ils essaient de faire coïncider. Leur rencontre, la difficulté de leur séparation, le serment de se revoir dont ils ont fait une réalité. Seulement voilà, insidieusement, le quotidien a commencé de fissurer leur attirance irrépressible. Elle vit seule, elle a ses petites habitudes, ses manies. Il est venu avec une trop grosse valise pour quelqu’un qui est censé ne faire qu’un séjour limité.  On les suivra dans le temps. Les saisons se suivent, entrecoupées de solos musicaux. Chaque fois les blocs où ils se tiennent s'avancent vers le public tour en se resserrant pour finir par se joindre. Dans le même temps le fossé s’agrandit entre eux…

Phot © Pauline Le Goff

Phot © Pauline Le Goff

Une pièce nourrie de témoignages

La première étape, qui préside à l’écriture, est une série de rencontres, en France et en Afrique de l’Ouest, de couples franco-africains. Ils racontent leur histoire d’amour, les difficultés qu’ils ont rencontrées, les réactions des familles, abordent les différences d’approche liées à leurs cultures respectives, les problèmes d’intégration ou non qu’ils ont rencontrés dans le pays de l’être aimé. Ce matériau, les deux interprètes, Sophie Cattani et Nelson Raffael Madel, l’interrogent au plateau avec la collaboration d’Hakim Bah qui en fixe ensuite les contours fictionnels au terme d’allers-retours entre plateau et écriture. Leur projet : questionner l’après-colonialisme et aborder le social et le sociétal en partant de l’intime.

Un unisson impossible

Sans que l’accent soit mis sur un thème unique se dessinent les différences de mode de vie et de conceptions de l'existence, l’inégalité entre celui qui est chez lui et celui qui vient se greffer dans son univers, le vide de celui qui « dépense » sa journée en la meublant comme il le peut face au trop-plein de celui – ici celle – qui la gagne en travaillant, les attentes vis-à-vis des familles, l’impossibilité de trouver du travail… Sans ce chassé-croisé de monologues, ces arguments reviennent, de manière voilée, embarrassée d’abord, avant que les comédiens ne se les lancent à la figure avec une acrimonie et une virulence croissantes.

Phot © Pauline Le Goff

Phot © Pauline Le Goff

Une pulsation textuelle et musicale

Le jeu de batterie tout en nuances de Damien Ravnich accompagne chaque moment de la relation du couple. Il épouse le rythme de leurs battements intimes. Délicate quand elle s’insinue dans la tendresse de leurs rapports amoureux, la batterie prend de l’ampleur quand leurs rapports se dégradent. Elle épouse la rythmique qu’Hakim Bah donne à son texte, tout en phrases courtes, incisives, martelées, découpées dans cette alternance entre Elle et Lui, musicalisées, un beat bourré d’énergie que l’instrument souligne et accompagne. On navigue entre non-dits chuchotés à l’oreille du spectateur, adresse directe et gestuelles qui démentent ce que les personnages se disent. Il n’y a ni bon ni méchant dans cette histoire de l’affrontement de deux êtres qui se déchirent et s’aiment à la fois, ni tort ni raison. Seulement une situation impossible qui les broie. Celle d’un divorce qui s'enracine dans un passé colonial, aujourd’hui encore difficile à oublier.

Phot © Pauline Le Goff

Phot © Pauline Le Goff

Chasser les fantômes d’Hakim Bah (éd. Quartett)

S Mise en scène Antoine Oppenheim S Avec Sophie Cattani, Nelson-Rafaell Madel et Damien Ravnich (batterie) S Idée originale Sophie Cattani S Musique et création musicale Damien Ravnich S Scénographie, lumière & vidéo Patrick Laffont de Lojo S Son Benjamin Furbacco S Régie Erick Billabert, Martin Birchler & Guillaume Bosson S Production & administration Charlotte laquille S Diffusion Olivier Talpaert S Production Collectif ildi ! eldi S Coproductions Théâtre Joliette – Scène conventionnée art et création expressions et écritures contemporaines – Marseille, Théâtre du Bois de L’Aune, Théâtre des Halles – Scène d’Avignon S Soutien et accompagnement technique Les Plateaux Sauvages – Paris S Soutiens Région Sud, département des Bouches du Rhône & SPEDIDAM S Avec l’aide du ZEF – scène nationale de Marseille dans le cadre d’une mise à disposition du studio, de la Friche de la Belle de Mai – Marseille, du Carreau du Temple – Paris, du Théâtre Episcène – Avignon et de Châteauvallon, scène nationale dans le cadre d’une résidence de création S Le collectif ildi ! eldi est soutenu au titre du conventionnement par la DRAC Provence-Alpes-Côte-D’Azur S Durée 1h25 S À partir de 14 ans

Du dimanche 7 au mardi 30 avril 2024. Lun. 21h15, mar. 19h, dim. 15h

Théâtre de Belleville – 16, passage Pivert, 75011 Paris

www. theatredebelleville.com • 01 48 06 72 34

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