7 Décembre 2023
Apprivoiser la nuit et vaincre la peur du noir figurent parmi les grands défis de l’enfance. Ce joli spectacle, tout en ombres et lumières, offre aux enfants l'opportunité de pénétrer sans appréhension dans le monde de la nuit.
Des draps blancs, grossièrement disposés pour former une tente ou une cabane pas vraiment d’équerre. C’est la nuit, le moment des histoires avant d’affronter les ombres et de s’abandonner au sommeil. L’heure de ces contes qu’on ressasse, toujours les mêmes, dans la ronde des « Il était une fois »… une petite fille aux boucles blondes, un bûcheron et une bûcheronne, une princesse qui… Mais ce ne sont pas ces histoires-là que l’enfant veut entendre. Il veut toucher l’invisible, une histoire qui n’existe pas encore mais que ses doigts cherchent dans l’épaisseur de la nuit. Il veut entrer dans les ténèbres pour écouter ce qu’elle lui raconte. Comme la nuit, qui ne veut pas vivre repliée sur elle-même, cherche un ou une amie, tous deux se trouvent. Et les parents vont devoir s’accoutumer à cette présence qui est flottement dans l’indicible et l’infini de l’espace.
Jouer à jouer
Les personnages sont d’abord voix qui percent l’obscurité, ombres mouvantes que l’on devine sous la tente-cabane avant que l’enfant ne se matérialise sous la forme du comédien musicien qui rythmera le spectacle au violon et à la contrebasse en les enrichissant d’une pédale d’effets qui lui permettent de moduler des ambiances, de les rendre plus légères ou plus dramatiques. Mais ces voix ou ces présences qui peupleront le spectacle jouent les personnages, ils ne sont pas eux. Ils les racontent à coups de « demande la mère », « s’exclame le fils » et « dit la nuit ». Ils représentent des personnages sans pour autant les incarner et leur distinction se fera encore plus floue quand la comédienne, qui sort de la tente-cabane, devient à son tour l’enfant au moment où l’acteur qui portait l’enfant s’empare du rôle de la nuit. Quant au père, évoqué à la fin du spectacle, il sera pris en charge par la comédienne. Ce chassé-croisé permanent qui sort les personnages de toute référence au réalisme et les fait cheminer entre réalité et fiction, récit et théâtre, réel et imaginaire renforce cet indéterminé où réside la nuit que l’enfant appelle de ses vœux, qui floute les contours et questionne le réel.
Ombres et lumières
La présence et l’absence, l’ombre et la lumière établissent tout au long du spectacle un jeu subtil qui reflète les incertitudes qui naissent de l’obscurité. Dans l’univers enfantin, dans son imaginaire, elle abrite les fantômes des angoisses en même temps que ceux des désirs et acquièrent un caractère de réel. Tout un petit peuple de figures s’anime alors dans les jeux d’éclairages qui les dévoilent et les estompent. Dans ce théâtre d’ombres projetées se dessine une figure fantomatique de roi, un ange se promenant en suspension dans l’air au bout d’un fil invisible, ou l’ombre d’un cheval filiforme emprunté à Giacometti. Elles dialoguent avec des ombres humaines, animées qui tantôt se rétrécissent et tantôt se déplient jusqu’à devenir géantes, tantôt même se donnent la réplique en se redoublant. Situées dans des espaces séparés, les mains se parlent, se rejoignent et se mêlent, à cheval entre des mondes aux frontières abolies.
La voix du texte et la musique
Le texte de Claudine Galea nous promène entre onirisme et réalité dans un entre-deux où la poésie affleure. La langue est belle, musicale, en ritournelles assonantes, en images qui ouvrent le champ lexical de la nuit. Les chats hantent les lieux, les noctambules et les somnambules, voyageurs de l’évasion, passent et repassent dans cet univers du double et de la perte de repères. La musique en complète l’atmosphère. Le violon et la contrebasse forment un duo où harmonie et disharmonie se mélangent, où les cordes se font percussions, où elles jouent avec la caisse de l’instrument et son chevalet. Ce jeu sur l’un et son contraire, avec son caractère répétitif et obsédant qui s’accompagne de transformations permanentes, renvoie à la déconnexion du réel que propose la fable, à sa volonté de naviguer dans la parabole.
Sortir de l’enfance pour s’accomplir
La quête de l’inconnu qu’entreprend l’enfant qui s’échappe du ventre-cocon protecteur de la tente-cabane maternelle pour affronter ce qu’il ne connaît pas encore est celle d’un apprentissage qui le sortira de sa zone de confort et le fera grandir. Prendre le risque de l’inconnu, c’est aussi s’affirmer, se définir. Et s’il faut galoper avec les chevaux noirs des ténèbres, ce n’est pas seulement pour affronter ses peurs. S’impose à l’esprit, lorsque la Nuit demande sa main à l’Enfant, la balade funèbre, créée par Goethe, du père et de son fils tentant d’échapper au roi des Aulnes qui veut s’emparer de l’enfant, si admirablement mise en musique par Schubert. Car les ténèbres sont infinies comme la mort, et les apprivoiser revient aussi à intégrer la nuit comme composante du jour, et la mort comme la donnée indissociable de la vie. Dans le cheminement entre les mondes de Toutes leurs robes noires, il y a plus que l’ombre et la nuit…
Toutes leurs robes noires. Texte Claudine Galea – éditions Espaces 34 (2009)
S Mise en scène Antoine Hespel S Avec Najda Bourgeois et Baptiste Mayoraz S Composition musicale Baptiste Mayoraz S Assistanat à la mise en scène Najda Bourgeois S Lumières Christian Dubet S Régie générale et lumières Zoé Robert S Costumes Malika Maçon S Scénographie Antoine Hespel en collaboration avec Ninon Le Chevalier, Constant Chiassa-Pollin et Frédéric Lefèvre des Ateliers du Préau S Décor Les Ateliers du Préau S Production Le Préau CDN de Normandie-Vire S En partenariat avec L’Ecole du Théâtre National de Strasbourg S Créé au Préau CDN à Vire en décembre 2021 S À partir de 6 ans S Durée 1h15
Du 30 novembre au 9 décembre 2023, 10h & 14h30 le 7, 10h le 8, 17h le 9
Théâtre Dunois - 7 rue Louise Weiss, 75013 Paris www.theatredunois.org