Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

Le Beau monde. Dans le jeu du présent antérieur, je choisis…

© Mohamed Charara

© Mohamed Charara

Peut-on construire à partir de fragments un enchaînement qui ressemble à un spectacle, un objet non identifié qui reste du théâtre ? La preuve par trois, ou quatre, pour une histoire du présent racontée au passé.

Lumière. Blanche et sans apprêt. La salle est éclairée. Elle le restera comme pour inclure dans le même monde ceux qui jouent et ceux qui regardent. Les spectateurs sont assis sur des gradins en demi-cercle autour d’un espace nu parsemé de pierres de grosseurs différentes. Des petits cailloux comme ceux que le Petit Poucet sème pour retrouver sa route. Et justement il est question de se souvenir, de remonter le chemin qui mène à notre époque en partant de très loin dans le futur. De revenir au XXIe siècle. De capter les bribes de mémoire qui ont été conservées par-delà le temps, de retrouver les vestiges, incomplets, légués par le passé. De reconstituer le portrait, à trous, d’une société industrielle en pleine déliquescence qui vit ses derniers moments. La nôtre.

© Mohamed Charara

© Mohamed Charara

L’archéologie d’un passé présent

Le lieu, c’est une reconstruction. Une reconstitution de ce qui fut au XXIe siècle un théâtre. Des traces de cette époque, il ne reste que des fragments que les trois jeunes gens – une fille et deux garçons – vont s’efforcer d’évoquer. Une mémoire orale qu’on sort d’une naphtaline métaphorique tous les soixante ans. Des traditions, des rituels, des mythologies dont l’étrangeté a franchi la barrière du temps et dont une partie seulement sera évoquée ce soir-là. On connaissait le bon sauvage, le candide qui décrypte la société occidentale avec son regard neuf qui en souligne les bizarreries et les contradictions, comme une incarnation d’un présent d’ailleurs qui regarde un autre présent que le sien. Dans le Beau monde, l’affaire tourne autour d’un schéma de science-fiction à rebours. Nous ne regardons pas ce qui se passera. C’est le futur qui regarde notre présent qui est le passé qu’évoquent les personnages. Dans ce monde d’après, l’ordre des choses connues est renversé. Les trois protagonistes ont retourné leur veste et présentent au public l’envers de leurs vêtements qui est leur endroit, au contraire de ce que nous percevons, vu du XXIe siècle.

© Mohamed Charara

© Mohamed Charara

Étranges étrangers

Les trois personnages qui occupent la scène sont venus nous parler d’un temps très exotique, plein de coutumes singulières, où on levait la main et où on appelait cela voter, où on échangeait des « bonjour » à tire-larigot et où l’on se regroupait en masse en hurlant des choses incompréhensibles en bloquant les rues. Cette société-là avait ses rituels comme de regarder des illuminations bruyantes en référence à un événement mystérieux : la prise de la Bastille. En ce temps-là existaient la terre, la mer, le ciel et de petits moutonnements qu’on nommait les nuages. Les gens éprouvaient de drôles de choses qu’on appelle sentiments, ou sensations : des émois amoureux, de la souffrance, de la gourmandise. Les petits cailloux s’accumulent. Seuls ou à plusieurs, les interprètes dévident la pelote des fragments retrouvés. Ils miment, bruitent, chantent a capella, se démènent avec application, lèvres tendues vers l’avant et commentaire à l’appui pour expliquer la coutume du baiser, lancés dans l’énumération sans fin de ce que les gens d’alors appelaient « pâtisserie » ou adoptant le visage déformé par la passion mais muet des supporters de football. Ces étrangers-là vivaient dans un « beau » monde, plein de bombes « pour nous détruire et éviter la guerre ». Et les auteurs-interprètes ne reculent pas plus devant un jeu de mots laid, parlent de laisser l’État dans les toilettes comme on l’a trouvé en même temps qu’ils se penchent sur la nostalgie, l’argent ou l’héritage.

Un processus de création collective

Cette collection d’objets rétrospectivement identifiée sans difficulté par le spectateur qui se tient à la croisée des chemins entre un temps et l’autre est la résultante d’une création où collectif et individuel se sont articulé. Un postulat, une règle du jeu émise par Rémi Fortin, que tous reprennent à leur compte et explorent individuellement. Chacun invente avec ce qu’il est, ce qu’il sait faire, ce qu’il a envie de faire. Et puisqu’Arthur Amard est proche des arts du cirque et en même temps musicien, il mettra dans la corbeille une part de son expérience. En découlent des propositions, soumises au regard des autres, critiquées, amendées, enrichies qui forment, mises bout à bout, plusieurs heures de « beau monde » placées sous le regard extérieur de Simon Gauchet, un scénographe passé par les Beaux-Arts. Dans les fragments de la collection, il faudra trier, revoir, agencer et il n’est pas innocent que ces petites pièces portent des numéros, rappelant qu’au cirque c’est ainsi qu’on nomme les prestations des artistes.

© Mohamed Charara

© Mohamed Charara

Une discontinuité revendiquée

Il serait vain de chercher au fil du spectacle une construction « dramatique », un scénario, une histoire. Les saynètes qui le composent sont indépendantes les unes des autres et rien n’empêcherait de placer les numéros dans un sac et de les tirer les uns après les autres pour redéfinir un autre ordre et rejouer les Cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau en modifiant les combinaisons et les ordres. Pour le théâtre, c’est faire de l’anti-théâtre dans le théâtre, jouer avec le feu et avec la frustration potentielle du public. Mais, signe des temps, nous sommes à l’ère de la culture zapping, du picorage universel distillé par les réseaux sociaux. Alors un beau monde en petits bouts sans lien entre eux, semés au hasard la chance ou presque, ça ne peut que s’intégrer dans le paysage. Et le public le comprend bien, qui accueille avec enthousiasme ce jeu d’rôle, original et jouissif…

Le Beau monde

S Une création collective de Arthur Amard, Rémi Fortin, Simon Gauchet, Blanche Ripoche S Sur une idée originale de Rémi Fortin S Avec Arthur Amard, Rémi Fortin, Blanche Ripoche  S Regard extérieur et scénographie Simon Gauchet S Assistanat à la mise en scène Thaïs Salmon-Goulet S Musique Arthur Amard S Accompagnement technique et régie générale Michel Bertrand S Construction du gradin Guénolé Jézéquel S Céramiste Elize Ducange S Regard costumes Léa Gadbois-Lamer S Administration - production Bureau Hectores – Grégoire le Divelec et Anaïs Fégar S Production – diffusion Céline Aguillon S Production L’Ecole Parallèle Imaginaire S Coproduction Théâtre Public de Montreuil – CDN, Théâtre de Lorient – CDN , TAG Grigny S Accueil en résidence Théâtre La Paillette, Théâtre de Bécherel  Avec le soutien de la ville de Rennes, Rennes Métropole, la Région Bretagne et le conseil département d’Île-et-Vilaine, L’entre-deux – Scène de Lésigny. Ce projet a reçu l’aide à la création du Ministère de la Culture – DRAC Bretagne S Spectacle lauréat du prix du Festival Impatience 2022, qui encourage les démarches scéniques innovantes des metteurs, metteuses en scène et collectifs émergents S Durée 1h15

Du 12 au 23 septembre, du mardi au samedi à 20h / dimanche à 17h00 / relâche le lundi

Le Centquatre - 5 rue Curial - 75019 Paris www.104.fr 

SAISON 2023/2024

du 12 au 23 septembre 2023 : le 104 - Paris

du 2 au 6 novembre 2023 : MAIF social club – Paris

du 13 au 18 février 2024 : Le Trident - scène nationale de Cherbourg

du 28 février au 2 mars 2024 : Scène Nationale de Sénart - tournée en décentralisation

le 5 mars 2024 : Théâtre Châtillon Clamart

les 26 et 27 mars 2024 : Théâtre Jean Vilar – Montpellier

le 5 avril 2024 : Théâtre Louis Aragon – Tremblay-en-France

du 3 au 5 mai 2024 : Scène Nationale de Sénart

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article