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Arts-chipels.fr

Je vous écris dans le noir. Le combat d’une femme pour sa liberté et son droit à aimer.

© Roland Baduel

© Roland Baduel

Le destin hors du commun de Pauline Dubuisson, meurtrière par amour, a inspiré nombre d’auteurs et de cinéastes. Le roman de Jean-Luc Seigle dont est tirée la pièce se place du point de vue de la criminelle dans un récit à la première personne.

Au mois d’octobre 1950, une jeune femme de vingt-trois ans tue, volontairement ou pas, l’amant qui l’a délaissée pour une autre. Accident ? Crime passionnel ? Peut-être. Toujours est-il que la presse et la justice s’acharnent sur elle. Me Floriot, l’avocat de l’accusation, ironise, face à ses tentatives ratées de suicide : « Décidément, vous ne réussissez que vos assassinats ». Quant à l’avocat général, il la traite de « hyène ». Un déferlement de violence verbale dont les raisons peuvent sembler obscures et dont la pièce donne une interprétation plus que vraisemblable. Elle est la seule femme contre laquelle on requiert la peine capitale pour crime passionnel et ne doit sans doute sa condamnation à la perpétuité qu’à la présence d’une femme dans le jury.

© Roland Baduel

© Roland Baduel

La femme dans son cocon

Pauline Dubuisson apparaît lovée dans un grand drap blanc suspendu par deux accroches. D’où nous parle-t-elle ? Sans doute des nuées alors que finalement, le 22 septembre 1963, elle a fini par « réussir » son suicide en avalant des barbituriques. Mais lorsque la pièce s’ouvre, elle nous parle d’Essaouira, la ville blanche et lumineuse où elle s’est réfugiée, de son bonheur d’être là et d’exercer dans cette ville du Maroc la profession pour laquelle elle s’est battue, celle de médecin. Lieu métaphorique, le tissu suspendu se métamorphosera au fil du récit en hamac où elle lit Dostoïevski, en drap abritant ses amours comme en barre de prétoire lorsqu’elle évoquera son procès. Abstrait, intemporel, il fait du récit le corps d’un propos qui traverse le temps, évoque l’enfance de Pauline, son meurtre, les dix années de prison en lesquelles se mue sa perpétuité et son devenir au Maroc.

© Roland Baduel

© Roland Baduel

Un destin hors du commun

Ce que la pièce fait entendre, c’est la voix que n’ont pas voulu entendre les avocats et les jurés, la faute à pas-de-chance ou à de mauvaises options, ou la revendication d’une femme à être libre, à effectuer ses propres choix dans une époque où la femme n’a pour latitude que de se projeter dans les nouveauté technologiques qu’offrent les salons des arts ménagers. Elle remonte à l’enfance, à une mère inexistante et à un père militaire rigide, à sa compromission orchestrée par son père avec les Allemands durant l’Occupation pour favoriser ses affaires, à son amour de la médecine qui se double d’une liaison avec un médecin allemand. Premier jugement à la Libération, d’une jeune femme de dix-huit ans, tondue, dénudée et marquée sur le corps de croix gammées puis violée, qui reviendra comme un boomerang l’accabler au cours de son procès. Mais toujours elle se relève et va de l’avant. Toujours elle joue la carte de la vérité. Et elle perd…

© F. Gsell

© F. Gsell

Destins de femmes

Dans cette tragédie des temps modernes, le destin est contraire. Parce qu’elle est femme, parce qu’elle choisit ses amours, parce que les hommes considèrent les femmes comme des faire-valoir destinés à s’insérer dans leur décor, et les rejettent dès lors que leur passé sent le soufre et pourrait oblitérer leur insertion sociale. Il n’y a pas de rédemption possible pour Pauline Dubuisson à l’époque où elle vit. La situation serait-elle différente au XXIe siècle ? Sans doute en partie. Mais l’opprobre dont souffrent les femmes dès qu’elles s’écartent de la « norme » justifie-t-il le rapport de 1 sur 10 des homicides par rapport aux féminicides et les quelque 200 000 agressions que les femmes subissent au sein du couple chaque année ? Je vous écris dans le noir vient nous rappeler que c’est dans le sang et les larmes que s’est inscrite et que s’inscrit encore la libération de la femme.

© F. Gsell

© F. Gsell

Je vous écris dans le noir, adapté du roman éponyme de Jean-Luc Seigle (éd. Flammarion)

S Adaptation Évelyne Loew S Mise en scène Gilles Nicolas, Sylvie Van Cleven S Collaboration à la mise en scène Pablo Dubott S Avec Sylvie Van Cleven S Création lumière Lucie Joliot S Création sonore Philippe Mion S Production Les Sincères S Soutiens Actions Scènes Contemporaines, Théâtre Antoine Vitez et Théâtre El Duende Ivry-sur-Seine (94), Institut Français d’Essaouira au Maroc S Durée 1 h

Du 12 septembre au 19 octobre 2023, mar. & jeu. à 21h, sam. à 20h, et les 5 & 12 oct à 14h30

Théâtre de la Reine blanche – 2 bis, passage Ruelle, 75018 Paris www.reineblanche.com

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