Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

Le rêveur rêvé. Une osmose artistique réussie.

© Lysiane Louis

© Lysiane Louis

Les projets combinant texte, arts graphiques, vidéo et musique apparaissent régulièrement dans le domaine du spectacle vivant, mais ils parviennent rarement à une synergie telle que le spectacle trouve sa colonne vertébrale dans leur association. Le Rêveur rêvé, dans un registre poétique et musical, offre une très intéressante symbiose, à la fois forte et séduisante.

Il n’est pas seul, le Rêveur auquel Hélène Breschand et Wilfried Wendling ont donné une multitude de visages qui occupent le fond de scène et encombrent toutes les surfaces visibles, horizontales comme verticales. C’est une légion de visages-masques dessinés qui imposent leur présence multidimensionnelle. Ils s’insèrent dans le projet de l’Imaginarium, dans lequel les deux musiciens ont choisi d’explorer une multiplicité de visions-propositions aux frontières du réel. Avec l’Imaginarium, un cycle composé de séquences indépendantes les unes des autres d’une durée d’une heure environ chacune, ils créent un petit théâtre, multisensoriel, musical, modulaire, adapté chaque fois au lieu de sa représentation, au milieu duquel le public est immergé et avec la participation de groupes avec lequel les deux musiciens travaillent. Pour chacune de ces séquences indépendantes, un auteur, un scientifique ou un artiste fournissent un texte, une pensée, une œuvre graphique qui donne naissance à une création multimédia. Ainsi, dans Nuit, Maurits Cornelis Escher dont on connaît les architectures vertigineuses qui reviennent vers elles-mêmes dans une escalade sans fin sont associées à Jean Genet et Henri Michaux. Max Ernst correspond avec la Logique sans peine de Lewis Carroll dans Alice, et les aux considérations sur le Hors temps et l’Origine du physicien Étienne Klein sont accompagnées tantôt par le cinéaste Chris Marker, tantôt par le dessinateur Marc-Antoine Mathieu. Les Histoire(s) de cinéma, quant à elles, rapprochent Jean-Luc Godard, Ingmar Bergman et David Lynch de Guy Debord.

© Lysiane Louis

© Lysiane Louis

Le jeu du Rêveur rêvé

Le Rêveur rêvé, inspiré et accompagné par Marc-Antoine Mathieu, procède de la même démarche. Le spectacle naît d’une œuvre encore inédite du dessinateur : un jeu de quarante cartes sur chacune desquelles figure une vignette de bande dessinée. À l’intérieur, un personnage qui se balade dans un monde onirique où le livre et l’écrit sont omniprésents, petite silhouette dans un univers où le livre est géant. Comme dans les Cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau, la règle du jeu réside dans la combinatoire, dans la naissance aléatoire de sens nouveaux créés par l’agencement des éléments entre eux. Le livre de Raymond Queneau compte dix pages découpées en quatorze bandes horizontales comportant chacune un vers, imprimé au recto. Le lecteur peut choisir, dans chacune des bandes, un vers qu’il combine avec d’autres sur les autres bandes, choisis au fil du feuilletage. Ainsi naissent les 1014 poèmes, ces cent mille milliards de possibilités que le lecteur compose et décompose à loisir.

© Lysiane Louis

© Lysiane Louis

Un dispositif littéraire et musical

Dans le Rêveur rêvé, la démarche est elle aussi, combinatoire. Les cartes-images de Marc-Antoine Mathieu sont associées à des séquences sonores dont la superposition forme le discours. À chaque carte est associé un fragment de texte, qui lui confère un sens particulier, et une proposition musicale. L’alternance des combinaisons et la variabilité de leurs durées accentuent le processus en introduisant un facteur temps qui en enrichit l’écoute et introduit une nouvelle dimension de l’imaginaire. Tantôt en voix off, tantôt en live, des récitants, qui diffusent ces fragments de phrase et des chanteurs, tous épatants, ajoutent la force de la voix au lyrisme et à la poésie mystérieuse qui émane des images de Marc-Antoine Mathieu. À son tour, la harpe d’Hélène Breschant entre dans la danse et, en mouvement dans l’espace, joue à son tour le rôle de matière sonore en même temps que de déclencheur de l’électronique dans cet objet improbable doué d’une existence forte et énigmatique.

© Lysiane Louis

© Lysiane Louis

La vidéo, une création à part entière

Les hauts parleurs, disposés à différents niveaux de la salle, plongent le public dans l’univers sonore de ce rêveur imaginé. Le dispositif vidéo, quant à lui, renvoie aux fragments qui composent le parcours. Elles aussi fragmentées, les images tordent le cou à toute possibilité de vision linéaire. Tantôt focalisée sur une narratrice, un narrateur, une chanteuse, un chanteur, dont elle choisit de ne montrer qu’une partie, une silhouette, un fragment de visage, tantôt révélant en plan large les intervenants, assis au centre de la scène, qui attendent d’intervenir et se font témoins et complices de ce rêve éveillé, tantôt reprenant des images qui nous ramènent aux archétypes du cinéma, la caméra alterne plans d’ensemble et détails, sujets uniques ou multiples, statisme et mobilité. La création vidéo, en direct, découpe et distord, isole et rassemble, contribuant au caractère symphonique et combinatoire de la composition.

© Lysiane Louis

© Lysiane Louis

De l’immersion comme un des beaux-arts

Puis, alors que retentit la harpe d’Hélène Breschand, lancée dans un lent déplacement scénique dont les images accentuent le caractère fascinant, la vidéo s’échappe de la projection en deux dimensions de l’écran. Devenue faisceau qui se développe dans l’ensemble de l’espace, projetée sur le public et dans tous les coins de la salle, elle détruit, dans son mouvement stroboscopique, la paroi qui isole la scène de la salle et introduit le spectateur à l’intérieur même du champ des possibles que le jeu comporte en germe et développe. Perturbante, interpellante, cette sollicitation directe, quoiqu’un peu longue, accompagne la vision dedans-dehors qui caractérise cette proposition très séduisante dans laquelle on se laisse porter comme dans un fleuve au cours imprévisible. Le Rêveur rêvé ne nous enferme pas dans son parcours. Il nous invite, de notre côté, à naviguer en eaux incertaines, il nous pousse à rêver…

Imaginarium – Le Rêveur rêvé de Hélène Breschand & Wilfried Wendling d’après l’œuvre de Marc-Antoine Mathieu

S Avec Hélène Breschand, Jean-Wilfried Wendling et, au POC d’Alfortville, la collaboration d’élèves du Conservatoire de musique de Paris 6e S Production déléguée Extensio S Coproduction La Muse en Circuit – CNCM S Aide à la création de la DRAC Île-de-France

Le 24 novembre 2023 à La Muse en Circuit - 18, rue Marcelin Berthelot, Alfortville Rés. billetweb.fr/le-reveur-reve 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article