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Arts-chipels.fr

Des châteaux qui brûlent. Les revendications sociales sont-elles solubles dans la fête ?

Des châteaux qui brûlent. Les revendications sociales sont-elles solubles dans la fête ?

Entre invraisemblance et très – trop – grande vraisemblance, cette variation autour du thème maintes fois traité de l’occupation d’usine nous renvoie aux discours obligés qui accompagnent généralement la protestation sociale. Un exercice de style réjouissant mais pas entièrement convaincant.

À l’entrée dans la salle, des écrans disposés sur les côtés donnent le ton. Des poussins affolés s’agitent dans des bacs, des poules lâchent laborieusement des œufs qu’on calibre et qu'on trie. On retrouve ces mêmes volailles sous forme de bêtes déplumées qui tournent sur une chaîne avant d’être automatiquement débitées. Le décor est planté. Nous sommes dans une de ces usines de la consommation de masse avec poules en batterie et tout le tralala. Des lieux qui vous donneraient l’envie de devenir végétalien… Le vacarme des chaînes de transformation résonne dans les haut-parleurs, alors que la scène figure un lieu vide, un hall de passage avec des bureaux en fond de scène, sur deux niveaux.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Une situation – presque – sans surprise

Cette usine du bout du monde – le Finistère – accueille au début de la pièce un Secrétaire d’État et tout le monde est sur le pied de guerre pour donner une bonne image de l’entreprise. On a léché au petit poil le parcours à lui faire faire et son timing en programmant l’accélération progressive de la visite. On a briefé les employés pour faire bonne figure car les rumeurs de fermeture courent et qu’il faut convaincre de la bonne marche de l’entreprise, de sa rentabilité et du professionnalisme des salariés. Pour eux, c’est une question de survie, au quotidien. Mais le politique donne le ton. Façon langue de bois mille fois entendue. Une reconversion est nécessaire, les emplois seront préservés, l’inquiétude n’est pas de mise. De surcroît, il est lui-même « écolo », les usines de la mal-bouffe n’ont plus d’avenir, ils ne peuvent qu’en convenir. L’irritation monte, le sentiment d’être le dindon de la farce aussi. Faute d’être entendus, les salariés n’ont plus qu’à occuper l’usine et, pour faire bonne mesure, à séquestrer le Secrétaire d’État !

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Une galerie de personnages archétypiques

Ces salariés, ils sont hommes et femmes, de toutes les origines et de toutes les couleurs. Ils couvrent l’échelle des âges et des situations sociales. Jeunes ou en fin de carrière, dotés de famille ou pas, ils sont comme un échantillon représentatif d’humanité. Plus ou moins timorés, plus ou moins concernés par la lutte sociale, ils hésitent, discutent, pondèrent les jusqu’au-boutistes, étalent leurs désaccords comme leur solidarité. Ils prennent le public pour réceptacle de leurs opinions, en font, à l’avant-scène, le témoin de leurs incertitudes ou au contraire du bon droit de leur prise de position. Face à eux le pouvoir a cependant une bien curieuse allure. Car le ministre « plus-écolo-tu-meurs » va se montrer sous un jour inédit, se placer où on ne l’attend pas, franchissant allègrement la barrière qui sépare le pouvoir de ses administrés. Et que sa chargée de mission, sortie du « bain » populaire et traître à sa classe, censée expliquer la pensée de la « base » à ces « élites » en col blanc, résoudra finalement son dilemme d'avoir le cul entre deux chaises et d'aller à contrecourant de ses convictions.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Un florilège de langues – de bois, de velours, de vérités et de contre-vérités

Sur la scène de cette comédie humaine se donnent la réplique des discours qui ont comme un air de déjà-entendu. Le délégué syndical débordé par sa base use d’une langue de bois qu’on a l’impression d’avoir toujours entendue, celle des militants vieillis sous le harnais que vient remettre en cause la volonté d’expression directe des salariés. Les querelles d’« anciens » et de « modernes » ont un air familier. On retrouve tout l’échantillonnage des concernés ou non par la politique, de ceux qui pensent que c’est déjà foutu, de ceux qui s’en foutent ou de ceux qui veulent en foutre. Ils montrent la même désaffection, la même méfiance à l’égard des politiques, le même sentiment de se faire avoir, la même impression de loup caché prêt à les dévorer. Il y a ceux qui croient ce qu’on leur dit et ceux qui dénoncent la manipulation. Au milieu, il y a les rumeurs et leur lot d’informations fausses ou faussées ou prétendues telles. Bref, on navigue à vue dans un air familier.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Les mille et une manières de sortir de l’impasse

Dans l’usine occupée, ça phosphore dur pour chercher une porte de sortie alors que les CRS sont aux portes et qu’on s’attend d’une minute à l’autre à un assaut. On passe en revue les prises d’otages « historiques » et ce à quoi elles ont conduit. On revoit les anciens combats et les manipulations dont ils ont fait l’objet. Après les piquets de grève et les ventes sauvages, ou les projets de SCOP, les propositions prennent un tour plus étrange, plus saugrenu, pour trouver le moyen d’échapper à toute forme de récupération car toutes ces formules ont un air de déjà-vu et de déjà-mâché et on sait comment ça se termine et ce qu’en fera la presse massée aux portes de l’usine.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Sur le char de la grande réconciliation humaine

La solution ne peut être que là où on ne l’attend pas. Elle surgit du sentiment de revivre qu’ils ont eu en changeant « de cerveau ». Pendant leurs journées et leurs nuits d’occupation, ils ont appris à se connaître, discuté d’autre chose que de la grève et de l’avenir de leur emploi, chanté et dansé ensemble, réinventé une sociabilité. Ils se sont sentis vivants. On se souvient que certains gilets jaunes, interviewés au sujet de leurs occupations hebdomadaires de places publiques et de ronds-points, avaient mentionné les liens noués et les amis qu’on avait plaisir à revoir, semaine après semaine... L’idée germe que là se trouve la vraie nouveauté. Échapper à l’isolement et retrouver le plaisir d’être ensemble. Trouver une réponse dans la fête avec ses valeurs d’humanité et de plaisir qui remplaceront celles de la productivité et du profit. Les comédiens, bien campés dans leurs archétypes, se livrent à cœur joie à la figuration de cette nef des fous aussi politique que cocasse. Mais cette éviction de l’ensemble des discours convenus, dont la pièce a fait bonne mesure, au profit d’un hypothétique imaginaire magiquement réinventé, pour séduisante qu’elle est, nous laisse sur notre faim. Parce que la farce, si elle fait son lit dans les poncifs et les attendus, n’évite pas le retour en force du réel refoulé et que la jointure du rêve et de la vie craque aux articulations bien qu'au théâtre, après tout, tout soit possible…

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Des châteaux qui brûlent d'après le roman d'Arno Bertina

S Adaptation Anne-Laure Liégeois avec la collaboration d'Arno Bertina S Mise en scène Anne-Laure Liégeois S Avec Alvie Bitemo, Sandy Boizard, Olivier Dutilloy, Anne Girouard, Fabien Joubert, Mélisende Marchand, Marie-Christine Orry, Charles-Antoine Sanchez, Agnès Sourdillon, Assane Timbo, Olivier Werner, Laure Wolf S Scénographie Aurélie Thomas, Anne-Laure Liégeois S Lumières Guillaume Tesson S Création sonore François Leymarie S Costumes Séverine Thiebault S Vidéos Grégory Hiétin S Régie générale François Tarot S Construction décor Ateliers de la Comédie de Saint-Etienne S Régie Laurent Cupit, Wilhelm Garcia-Messant S Production / administration / diffusion / presse Mathilde Priolet S Production Le Festin – Compagnie Anne-Laure Liégeois S Coproduction Le Volcan – scène nationale du Havre, Comédie de Saint-Étienne, Maison de la Culture d’Amiens, La Filature – scène nationale de Mulhouse, Théâtre de l’Union – CDN du Limousin, L’Équinoxe – scène nationale de Châteauroux, Le Manège – scène nationale de Maubeuge Avec l’aide au montage d’Artcena S Avec la participation artistique du Studio-ESCA S Coréalisation Théâtre de la Tempête S Le texte est lauréat de l’aide à la création dramatique d’Artcena en 2022 S Le Théâtre de la Tempête est subventionné par le ministère de la Culture, la région Ile-de-France et est soutenu par la ville de Paris S Durée 2h15

Du 1er au 22 avril 2023, du mardi au samedi 20h, dimanche 16h
Théâtre de la Tempête – Cartoucherie, Route du Champ de manœuvre, 75012 Paris
T. 01 43 28 36 36
www.latempete.fr

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