Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

Institut Ophélie. La condition féminine, voie sans issue ?

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

« La blanche Ophélia flotte comme un grand lys »… Une femme peut-elle s’échapper de l’institution formatrice-castratrice physique et mentale qui fait des femmes les victimes désignées d’un système social forgé dans le passé mais toujours opérationnel ?

Une pièce parme, aux couleurs de la folie. Des murs nus, des portes fermées, pas de fenêtre et pour tout décor une table sans style et quelques chaises. C’est l’univers de cette femme échappée d’un autre temps. Elle arrive en droite ligne d’Hamlet qui a fait d’elle la victime désignée d’un monde sur lequel elle n’a pas prise. Cette femme en robe noire habillée est enfermée dans un espace d’où nulle échappatoire ne semble possible. Des personnages – des hommes pour l’essentiel, des soldats de la Première Guerre mondiale – entrent par une porte et sortent par une autre en silence, indifférents à la femme qui se lamente face au sort que lui a réservé Shakespeare. De temps en temps une lingère traverse l’espace avec le même mutisme. Nous ne sommes cependant plus à l’époque élisabéthaine, mais en 1919, dans un institut qui recueille les jeunes orphelines de guerre pour les modeler en fonction de ce qu’on attend d’elles.

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

L’Institut Ophélie, entre onirisme et réalité

Si cette femme, enfermée dans le rôle qu’on veut lui faire jouer, ne peut sortir de l’enceinte de ces murs, les passants indifférents qui traversaient la scène de porte en porte peuvent, en revanche, s’y installer. Ils ont les visages massacrés de ces rescapés de la guerre, les gueules cassées de ceux qu’on a réparés tant bien que mal et dont le visage est devenu masque. Telles les créatures fantomatiques et livides d’un Tadeusz Kantor, ils peuplent cette abstraction concrète de l’enfermement. Mais ils sont hommes et la liberté qu’avaient acquise les femmes, priées de participer à l’effort de guerre en travaillant dans les usines, les administrations et aux champs pour remplacer les soldats partis au front n’est plus qu’un souvenir qui s’évanouit devant la dictature masculine revenue. Pour la « blanche » Ophélie, retour à la case départ et à la condition des femmes, entre faiseuse d’anges et femme au foyer.

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

D’un fantasme ophélien à l’autre

L’espace de cette pièce n’est pas seulement physique mais aussi mental. Car c’est dans la tête d’Ophélie que se bousculent les images qui surgissent, avec ces mots de la colère et de la révolte qui accompagnent la valse des temps et leurs passants-marionnettes-protagonistes. Passé et présent se mêlent, les considérations philosophiques alimentent la réflexion. Au détour d’un chemin on reconnaît Sartre et son « Castor », Simone de Beauvoir qui porte le Deuxième sexe en bandoulière, et d’autres. On passe de la clinique psychiatrique au couvent et à tous ces « instituts » qui emprisonnent la femme avant d’enfermer son image. La Joconde fait son apparition, énigmatique sourire ironique aux lèvres, et avec elle, les représentations artistiques de la femme qui sont autant de carcans. Les institutions ont leur lot de volée de bois vert. La famille, la nation ou le marché de l’emploi et leurs coercitions et partis pris ne sont pas passés sous silence.

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Dans la jungle des références

Les strates s’accumulent et, au fil du temps, la vision se brouille. On finit par ne plus savoir où l’on est car le texte fait feu de tout bois. La poésie très puissante, très « impactante », du début perd de sa force dans cet éclatement qui enfile comme grains de chapelet le viol du Verrou de Fragonard, la biche qui brame dans Disney, Rosa Luxembourg et les considérations sur le relatif et l’absolu. À vouloir trop en dire, trop ajouter, on se perd. On se dit que la règle du jeu mériterait d'être explicitée, que notes en bas de page et explications de texte seraient utiles pour en saisir les nuances et les prolongements. Mais le spectacle, porté par un lyrisme débridé, ne livre pas de clés. Il s’enferme dans un formalisme, certes intéressant, mais qui part dans tous les sens. La sainte et saine colère qui l’agite prend des allures de plaidoyer pour happy few, déjà très informés et convaincus. Quant au spectateur, il se débrouille comme il peut, se perd parfois ou reste sur le banc de touche et c'est dommage. Parce que la litanie douloureuse et polymorphe des offenses faites aux femmes est longue et traverse les époques et qu'il n’est pas sûr que les rassembler en un pot-pourri elliptique et parcellaire ne les réduise pas à l'amalgame rassurant et incantatoire d'un slogan. La catharsis, qui est l’un des ingrédients « naturels » du théâtre, n’est-elle que la seule issue ?

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Institut Ophélie

S Une pièce de Nathalie Garraud et Olivier Saccomano S Écriture Olivier Saccomano S Mise en scène Nathalie Garraud S Scénographie Lucie Auclair, Nathalie Garraud S Costumes Sarah Letterier S Lumière Sarah Marcotte S Son Serge Monségu S Assistanat à la mise en scène Romane Guillaume S Avec Karim Daher, Mitsou Doudeau, Mathis Masurier, Cédric Michel, Florian Onnéin, Conchita Paz, Lorie-Joy Ramanaidou, Charly Totterwitz, Maïka Radigales S Spectacle créé le 13 octobre 2022 au Théâtre des 13 vents, Centre Dramatique National de Montpellier S Institut Ophélie est le deuxième volet de Hamlet, Ophélie, un diptyque et fait suite à Un Hamlet de moins créé le 10 juin 2021 au Festival du Printemps des Comédiens à Montpellier S Production Théâtre des 13 vents, Centre Dramatique National de Montpellier S Coproduction Les Quinconces & L'espal , Scène Nationale du Mans ; L'empreinte, Scène Nationale Brive-Tulle ; Théâtre de l'Archipel, Scène Nationale de Perpignan ; Centre Dramatique National de l'Océan Indien ; La Comédie de Reims, Centre Dramatique National ; Les Halles de Schaerbeek, Bruxelles ; Châteauvallon – Liberté, Scène Nationale ; Le Parvis, Scène Nationale Tarbes-Pyrénées ; le Théâtre du Bois de l'Aune S Avec le soutien du Théâtre du Bois de l'Aune et du Fonds d'insertion de L'Estba financé par la Région Nouvelle-Aquitaine S Durée 1h35

TOURNÉE

7 au 20 décembre 2023  Théâtre des 13 vents, CDN Montpellier

11 et 12 janvier 2024  à 20h, à l'Espal, Le Mans

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article