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Arts-chipels.fr

L’enfant que j’ai connu. « Je ne pensais pas que la police pouvait tuer des enfants blancs. »

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Dans cette adresse d’une mère en état de choc à son enfant mort se loge toute la complexité des rapports entre les générations, de la transmission et de la question de la nature de l’engagement politique aujourd’hui.

Sur une scène encombrée de sacs qui sont autant de valises mentales qu’on trimballe avec soi sa vie durant, une femme parle. Elle s’appelle, dit-elle, Nathalie Couderc, et vient prendre la parole pour qu’on comprenne – enfin – ce qu’elle a voulu dire en déclarant : « Je ne pensais pas que la police pouvait tuer des enfants blancs. » L’enfant « blanc » est son fils, Cédric, tué sciemment par un policier qui a bénéficié, on l’apprendra plus tard, d’un non-lieu à l’issue de son procès. Deux thèmes se superposent et se chevauchent : sa déclaration, que la presse a montée en épingle, avec ce qui a suivi, le désordre, des émeutes avec voitures brûlées et répression, et ce dialogue imaginaire qu’elle instaure avec le disparu. Ce jour-là, elle veut témoigner, cette mère qui ne souffre pas seulement du meurtre de son fils, elle veut s’expliquer et comprendre. Elle veut aussi retisser le lien avec le disparu, appréhender ce qui n’a pas marché, revenir au point de départ.

© Simon Gosselin

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Une histoire en forme d’épitaphe

Réapparaissent par bribes les pièces du puzzle qui composent l’histoire. Deux années se sont écoulées depuis cette mort inacceptable. « C’est nous qui aurions dû mourir », dit-elle, parce qu’il était le futur, le symbole d’un monde à naître. Sortant des sacs épars un pull, des baskets, un sweat qu’elle enfile, elle évoque le disparu et le fossé des générations, le refus de l’héritage des parents bons bourgeois bien-pensants proprios de gauche, les piercings et écarteurs d’oreille, les tatouages qui couvrent le corps. Celle qui n’a pas vu se ficelle des sacs sur la tête. Elle n’a pas vu venir ce qui se cache, elle n’a pas compris qu’elle devait le protéger, surveiller ses sorties de jeune de dix-neuf ans, son désir de caillasser tout ce qui porte un uniforme.

© Simon Gosselin

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Une transmission inversée

Le point de départ de la réflexion pour Alice Zeniter et Julien Fišera, était l’histoire de Cédric Herrou, cet agriculteur qui faisait passer la frontière à des immigrés clandestins et dont les multiples procès, au fil du temps, s’étaient finalement soldés par un non-lieu, après des séjours en prison, des appels et des contre-appels. Beaucoup, dans l’opinion pensaient qu’il était un criminel et l’autrice et le metteur en scène s’interrogeaient sur la capacité d’une pièce de théâtre à modifier leur point de vue. L’évolution de la réflexion les a conduits à l’idée de faire passer cette force de conviction par l’intime. Dans la pièce, au contraire des idées reçues sur la transmission, c’est le fils qui a quelque chose du monde à apprendre à sa mère. Les odeurs de la vie, les saveurs de confiture et les bras enserrant un petit corps blotti rendent immédiatement perceptible, tangible,  l’incompréhension face à cette mort absurde, et la colère et la révolte qui en découlent.

© Simon Gosselin

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Une marche blanche pour enfants noirs

Cette transmission inversée passe par l’évocation de cette violence « légitime » qui est un monopole d’État et qui n’épargne personne, et par la leçon que le fils donne à sa mère, son refus de la fermer dans un monde où le politiquement correct a transformé les « bougnoules » en « immigrés », les « arabes » en « gens de confession islamique » et les « sales étrangers » en « migrants » sans que la réalité d’un racisme qui n’est plus rampant en soit modifiée. Il se porte au contraire en bandoulière et s’affiche fièrement dans un pays où la haine de l’étranger prend une allure institutionnelle avec les quatre-vingt-neuf députés qui siègent à l’Assemblée nationale. Cette mémoire que la mère égrène à coups de petits objets qu’elle tire des sacs, de ces mille petits riens qui composent la vie et prennent tout à coup une importance sans commune mesure avec la nature de ce qui les compose, c’est la vérité d’une révolte qui se doit de survivre à la disparition. Et il n’est pas question de poser les valises mais au contraire de les porter avec soi pour avancer…

L’Enfant que j’ai connu d’Alice Zeniter

S Mise en scène Julien Fišera S Avec Anne Rotger S Collaboration artistique Nicolas Barry S Espace François Gauthier-Lafaye S Création lumières Jean-Gabriel Valot S Costumes Benjamin Moreau S Regard chorégraphique Thierry Thieû Niang S Régie Jean-Gabriel Valot S Production Compagnie Espace commun Coproduction Le TAG / Amin Théâtre ; Théâtre Dunois ; Fabrique de Théâtre / Site Européen de Création ; les Bords de Scènes Grand-Orly Seine Bièvre S Partenariats l’Amin Théâtre - Le TAG S Accueil en résidence Théâtre Paris-Villette ; Les Tréteaux de France - Centre Dramatique National ; La Fabrique de Théâtre de Bastia ; Résidence Ferme du Buisson / Scène nationale de Marne la Vallée S Avec le soutien de la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon – Centre national des écritures du spectacle ; le Hublot Théâtre / Colombes ; Théâtre de la Ville – Paris S La compagnie est soutenue par la Direction régionale des affaires culturelles d’Île de France S Texte inédit - Commande passée à l’autrice S Alice Zeniter est représentée par L’Arche - agence théâtrale www.arche-editeur.com S Création le 17 novembre 2021 au Lavoir Moderne Parisien

TOURNÉE 2022/2023

Du 4 au 21 octobre 2022 au Théâtre de la Ville, Paris (www.theatredelaville-paris.com)

Le 16 février 2023 aux Bords de Scènes – Grand-Orly Seine Bièvre

Du 9 au 10 mars 2023 à l’Aghja, Ajaccio

Le 12 mars 2023 à La Fabrique Théâtre – Site européen de création, Bastia

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