Walden [Philharmonie de Paris]. La musique des lieux.

Loïc Guénin aime écouter et faire écouter la petite musique qui s’échappe des lieux. Le 4 juin 2022, c’est à Paris, avec sept musiciens de l’Ensemble Intercontemporain et autant d’amateurs, qu’il a mis en musique la Philharmonie et son environnement.

Chaque lieu, de par son architecture, sa situation, son environnement, respire un air spécifique. Se mettre à l’écoute du lieu, le laisser résonner à l’intérieur de soi et en faire émerger un équivalent musical écrit comme une partition-paysage est le projet que mène depuis 2015 le compositeur Loïc Guénin qui déjà pris possession d’une dizaine de lieux.

Sur les traces d’Henry David Thoreau

En 1854, le philosophe, naturaliste et poète Henry David Thoreau publie Walden ou la Vie dans les bois, qui relate le séjour de son ami et mentor l’essayiste et philosophe transcendentaliste Ralph Waldo Emerson à l'écart du monde. La dimension critique à l’égard de la société occidentale en fait un véritable pamphlet-manifeste. Considéré comme une œuvre phare de la littérature américaine inaugurant le nature writing, Walden, qui fait de la nature un véritable protagoniste, inaugure ce qu’on appelle aujourd’hui l’écologie citoyenne. Il traduit la recherche par Thoreau d’un sens de l’existence, menacé et en voie de disparition dans une société marquée par l’industrialisation, et le besoin d’échapper au sentiment d’enfermement dans l’ornière sociale. Loïc Génin reprend au philosophe cette manière d’écouter autrement ce qui nous entoure, de créer une interaction entre notre environnement et nous-mêmes. À Marseille, où il se plonge dans le Parc Borély, à la Cité Radieuse de Le Corbusier, sur le Port autonome ou dans l’île du Frioul, ou dans des lieux plus historiques et propices à la méditation comme à l’abbaye cistercienne de Noirlac ou à celle de Royaumont, avec leur écrin de verdure, c’est une certaine respiration du monde et du lieu avec laquelle il se met en accord.

Une musique de la résonnance

Dans la démarche de Loïc Guénin, la promenade dans les lieux occupe une place prioritaire, afin d’en saisir les architectures sociales, visuelles et sonores, qu’il rassemble et assemble dans un collectage minutieux et attentif. Relevés topographiques, croquis, notes et symboles composeront des partitions graphiques interprétées ensuite in situ par des ensembles de création. Sur ces partitions, point de portées sur lesquelles reposent des notes, mais des codes inventés par le compositeur pour définir le but à atteindre, qui s’articulent et se combinent, s’expriment au travers de formes ou de dessins, de gammes colorées ou de mises en espace. Ce n’est pas par hasard que les percussions, qu'elles aient été produites par des cordes ou tout autre moyen que des peaux tendues, balais et baguettes en bois, feutre ou caoutchouc, intègrent aussi toutes sortes d’objets insolites – pierres, morceaux de bois, fragments de toutes sortes – dans la panoplie de l’instrumentiste. Encore une fois, il est question de résonnance…

À la Philharmonie, une articulation entre amateurs et professionnels

Un pas de plus est franchi au travers de l’expérience menée à la Philharmonie avec un groupe d’amateurs d’origines diverses, tant géographiques que sociales – si certains ont des connaissances musicales, d’autres en sont dépourvus, ils peuvent venir d’autres pays, de groupes sociaux défavorisés, toutes les formules sont possibles… La règle reste la même : la découverte du lieu sonore Philharmonie à l’intérieur comme à l’extérieur du bâtiment, avec le bruit de fond permanent du périphérique tout proche et ses « accidents » liés au trafic, comme les architectures intérieures, salles et passages. Des binômes entre un musicien professionnel de l’Intercontemporain et un amateur qui jouera le rôle de compositeur sont crées pour mener le projet à bien. À travers le dialogue de chaque binôme s’élaborent de courtes séquences dans lesquelles s’inventent des partitions que tous interpréteront, ensemble, en gardant en mémoire la nécessité du respect de l’autre. Temps forts et temps faibles se répondront ou coïncideront au cours du concert où chacune des partitions du groupe a sa logique propre, son mode d’écriture spécifique. Le plus étonnant, peut-être, dans ces craquements, grincements, frottements, claquements parsemés d’embryons mélodiques, de cris du cor ou de montées de harpe, c’est bien qu’au bout du compte l’ensemble ressemble à quelque chose, de diffus, d’inarticulé parfois, mais qui réveille chez l’auditeur des sensations, des bruits enfouis, des impressions fugitives. Si la musique telle qu’on croit la connaître explose et s’atomise, c’est peut-être un chemin plus intime et plus questionnant que prend cette musique-là. En tout cas, on sent la passion et le plaisir qui anime ces musiciens et le chemin parcouru l’un vers l’autre dans chacun des binômes. Un partage que l’auditeur, extérieur à l’expérience, ressent et intériorise.

Walden [Philharmonie de Paris]

Création le 04 juin 2022 à la Philharmonie de Paris Commanditaires La Philharmonie de Paris L’Ensemble intercontemporain Lieux La Philharmonie de Paris et le Parc de la Villette (75) Interprètes Les solistes de l’Ensemble intercontemporain Emmanuelle Ophèle, flûte, Alain Billard, clarinette basse, Jens McManama, cor, Samuel Favre, percussions, Valeria Kafelnikov, harpe, Diégo Tosi, violon, Éric-Maria Couturier, violoncelle Amateurs d’Île-de-France Baptistine d’Aboville Auriane Baudoin Mhamed Belghith Michelle Meni Jessica Passafione Kiara Walker Direction Loïc Guénin Coproduction Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris. En partenariat avec l’Association de Prévention du Site de la Villette.

Les opus déjà créés

Walden [Chaumont], création 2021 à Chaumont (52) Le lavoir d’en Buez, la ganterie Tréfousse, le kiosque du Boulingrin, les Halles, le jardin Agathe Roullot, les Subsistances, le square Philippe Lebon, le Signe Les interprètes Alvise Sinivia – piano, Éric Brochard – contrebasse, RIM et électro-acoustique, Julien Desprez – guitare électrique, Loïc Guénin – composition, objets sonores, claviers analogiques, électro-acoustique Marine Rodallec – violoncelle

Walden [Montreuil], création 2020 (report en 2021) avec le Nouveau Théâtre de Montreuil, Place Jean Jaurès, Montreuil (93) Les interprètes Ensemble l’Instant Donné

Walden [Metz], avec la Cité musicale de Metz (57) Le Centre Pompidou-Metz, la gare de Metz-ville, le cloître des trinitaires, la terrasse de l’esplanade, la grande salle de l’Arsenal Les interprètes Ensemble l’Instant Donné

Walden [Gonesse], création 2017 Commanditaire l’Abbaye de Royaumont Lieux Ville de Gonesse (95), Centre-ville, cité de la Fauconnière Les interprètes Ensemble l’Instant Donné

Walden [autour du Ventoux], création 2017 Commanditaires La Gare (association A.V.E.C), Le Phare à Lucioles, Arts Vivants Lieux Autour du Mont Ventoux (84), La gare de Maubec, La Courroie, paysages Les interprètes Ensemble Ars Nova

Walden [Jardins de Royaumont], création 2016 Commanditaires Abbaye de Royaumont – Centre culturel de rencontre, Ville d’Asnières-sur-Oise Lieux Jardins de l’Abbaye cistercienne de Royaumont (95) Interprètes Ensemble Ars Nova

Walden [La Brière], création 2016 Commanditaires Athénor scène nomade – CNCM, Ville de Saint-Nazaire Lieux Château de Ranrouët (44) Interprètes Ensemble Ars Nova

Walden [La Vergne], création 2015 Commanditaires La Maison du Comédien – Centre culturel de rencontre, Ville d’Alloue Lieux Ancienne demeure de Maria Casarès et alentours (16) Interprètes Ensemble Ars Nova

Walden [Noirlac], création 2015 Commanditaires Abbaye de Noirlac – Centre culturel de rencontre, Ville de Bruère-Allichamps Lieux Abbaye Cistercienne de Noirlac (18) Interprètes Ensemble Ars Nova

Walden [Marseille], création 2015 Commanditaire Le gmem-CNCM-marseille Lieux Marseille (13), Parc Borély, Cité Radieuse, Port autonome, Île du Frioul Interprètes Ensemble C Barré