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Arts-chipels.fr

Zoo. Les Animaux dénaturés. Être ou ne pas être un humain…

© Nora Houguenade

© Nora Houguenade

Peut-on tracer une frontière entre l’homme et l’animal ? Et que recouvre le concept d’« homme » ? À l’heure où l’on a cessé de dire que l’intelligence était l’apanage de l’homme, cette pièce de Vercors écrite en 1952, augmentée de réflexions scientifiques d’aujourd’hui, nous interroge avec acuité sur ce qui fait la spécificité humaine et sur la manière d’en user.

 Douglas Templemore a assassiné son fils en injectant de la strychnine au bébé. Il l’a fait consciemment et a lui-même prévenu la police de son assassinat. Il a fait constater le décès par un médecin, fort étonné lorsqu’il découvre que le bébé a tout du singe… D’une banale affaire de meurtre, on glisse vers du plus complexe. Car la mère du bébé n’est pas la fiancée humaine de Templemore mais une étrange primate découverte en Nouvelle-Guinée et rapportée au zoo. Baptisée Paranthropus erectus – un nom inventé par Vercors – elle se situe entre le singe et l’homme, quelque part comme un chaînon manquant dans l’évolution vers l’Homo sapiens. La classer sur l’échelle reliant l’animal à l’humain a son importance parce que – c’est incontestable – elle a des aptitudes particulières qui la rendent capable d’accomplir certaines tâches qui se rapprochent des savoir-faire qu’on considère comme l’apanage de l’homme…

© Nora Houguenade

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Un procès qui dit sa part spéculative

Douglas Templemore a appelé de ses vœux et provoqué ce procès. Il se déroule sur scène et convoque, comme dans un tribunal, juge, avocat de la défense, procureur général et témoins – ethnologues, policiers, théologien, médecins, jury et proches. Mais c’est au public que s’adressent les protagonistes dans un environnement où cris d’animaux et apostrophes dans toutes les langues nous plongent au cœur d’un questionnement qui porte sur la définition de l’homme. L’espace revendique le caractère non réaliste de ce procès qui se présente davantage comme un débat philosophique sur la nature humaine que comme une affaire de meurtre, et qui trouve un prolongement dans les conséquences que peut avoir la qualification de non-humain. Les circonstances de la découverte de cette étrange espèce et le postulat qui conduit à l’insémination artificielle de cette femelle « tropi » par un homme pour déterminer ou non son appartenance à l’espèce humaine – la génétique affirme que seuls des individus appartenant à une même espèce sont capables de se reproduire entre eux – sont traités comme dans un théâtre d’ombres, une projection de fantômes, de silhouettes découpées qui s’invitent sur le plateau et viennent hanter la teneur des débats.

© Nora Houguenade

© Nora Houguenade

Une superposition de niveaux

À l’évocation des termes de l’« affaire » se superposent d’autres éléments qui sont autant de niveaux qui se renvoient la balle pour faire du théâtre un lieu de questionnements multiples. La morphologie du bébé, la longueur de ses membres, la place de son pouce rejoignent les considérations sur le squelette ou la taille du cerveau. Les projections nous parlent de l’apparition de l’homme, depuis l’australopithèque Lucy jusqu’à sapiens en passant par Neandertal, erectus, ergaster. Les animaux s’invitent, sous la forme de masques portés par les comédiens, à ce débat sur la frontière qui nous séparerait des autres espèces. Il est question de langage, d’intelligence et de croyance, de relation au dogmes religieux, de maîtrise et de transformation de l’environnement. Pour aboutir à la conclusion cocasse que ce qui distingue l’homme de l’animal pourrait être son besoin de se fabriquer des grigris… L’homme, en tout cas, ne vit plus dans la nature, il lutte contre, il est devenu un animal « dénaturé ».

© Nora Houguenade

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Civilisation, que d’exactions on commet en ton nom

Cette séparation que des siècles d’apprentissage ont imprimé dans nos cerveaux a de multiples prolongements que le spectacle interroge. L’une des raisons du procès qui déterminera si le Tropi est un homme est d’ordre économique. Un homme d’affaires, arguant que les Tropis n'appartiennent pas à l'espèce humaine, souhaiterait les employer à titre de main d’œuvre dépourvue de droits, taillable et corvéable à merci. Vercors fait ici écho à la Controverse de Valladolid qui, en 1527, opposait le dominicain Bartolomé de Las Casas et le théologien Juan Ginès de Sepúlveda. La question était alors de savoir si les Indiens, non chrétiens, avaient une âme et si on devait les considérer comme de « véritables êtres humains ». Si la réponse était négative, on pouvait les réduire en esclavage, comme bêtes de somme. Dans l’affirmative, ils disposaient de la liberté « naturelle » des humains… Loin de la spéculation abstraite, Zoo envisage les conséquences induites par la définition que nous donnons de l’humanité. La pièce rappelle aussi que le « progrès » apporté par l’homme à travers la science a conduit, parfois, au travers d’expérimentations contre nature, à des dérives criminelles – en 1952, l’ombre du « docteur » Mengele et des exactions nazies plane encore.

© Nora Houguenade

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L’humain en question

Le spectacle présenté par Emmanuel Demarcy-Mota ajoute au tableau un versant très contemporain dans le questionnement de la nature de l’« humanité ». Il dessine, avec la collaboration de scientifiques, une approche où éthique, philosophie et sciences ont partie liée. Si, d’un côté, les avancées scientifiques remettent en cause la distinction homme/animal, de l’autre se profilent de nouvelles occurrences. Quelle position adopter face aux manipulations génétiques sans limite que la science est aujourd’hui capable de mettre en œuvre ? Quant à l’homme « augmenté », qu’on répare avec des pièces artificielles, dont on augmente les capacités et dont on retarde toujours plus le vieillissement, est-il encore un homme ? La réponse ne peut trouver refuge dans la simplicité et la « controverse » de Templemore nous met décidément en demeure de mesurer quelle responsabilité nous incombe. Car « l’homme n’est pas dans l’homme, il faut l’y faire éclore »…

© Nora Houguenade

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Zoo. D'après Zoo ou l'assassin philanthrope & les animaux dénaturés du Vercors

Une nouvelle version du spectacle sera proposée, en avril-mai 2024, au Théâtre de la Ville

Zoo s’inscrit pleinement dans les œuvres nées des grands drames du XXe siècle et de la révélation de leurs atrocités, tout en anticipant, à l’image de fables visionnaires et dystopiques, les questions contemporaines liées à l’anthropocentrisme et au transhumanisme. Aussi, en partenariat avec l'auteur et metteur en scène Dorcy Rugamba, une nouvelle dramaturgie fera résonner la pièce de Vercors avec les crimes commis en 1994 au Rwanda à l'encontre les Tutsis, afin d'honorer la mémoire des victimes. Cette dramaturgie inclura des artistes rwandais rencontrés lors de workshops menés par Emmanuel Demarcy-Mota et la Troupe du Théâtre de la Ville à Kigali. Elle sera accompagnée de rencontres/débats.

S Mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota S Assistante à la mise en scène Julie Peigné S Collaborateurs artistiques Christophe Lemaire, François Regnault, Dorcy Rugamba S Conseillers scientifiques Carine Karachi, Jean Audouze, Marie-Christine Maurel, Georges Chapouthier S Scénographie Yves Collet, Emmanuel Demarcy-Mota S Lumière Christophe Lemaire, Yves Collet S Musique Arman Méliès S Costumes Fanny Brouste S Son Flavien Gaudon S Vidéo Renaud Rubiano S Masques Anne Leray S Maquillages & coiffures Catherine Nicolas S Accessoires Erik Jourdil S Avec Marie-France Alvarez, Charles-Roger Bour, Céline Carrère, Jauris Casanova, Valérie Dashwood, Anne Duverneuil, Sarah Karbasnikoff, Stéphane Krähenbühl, Gérald Maillet, Ludovic Parfait Goma, Mathias Zakhar & des comédiens rwandais

Du 23 avril au 7 mai 2024

au Théâtre de la Ville – Les Abbesses 31, rue des Abbesses – 75018 Paris

Tél. 01 42 74 22 77 ou sur www.theatredelaville-paris.com

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