29 Mars 2024
Le Festival des Francophonies en Limousin se décline en deux temps forts : Les Zébrures de printemps sont consacrées à l’éclosion des écritures théâtrales quand les Zébrures d’automne en récoltent les fruits.
En ce mois de mars, autrices et auteurs nous ont fait voyager d’un continent à l’autre, croisant leur imaginaire pour dessiner une géographie littéraire contrastée. Deux courants émergent de cet archipel : l’un ancré dans le réel, l’autre en quête de racines enfouies.
La Maison des auteurs, un vivier
Nous avons eu la primeur de pièces en cours d’écriture, présentées par des jeunes autrices venues en résidence à la Maison des auteurs des Francophonies Avec trois studios et un espace partagé, cette Maison a accueilli, depuis 1988, quelque deux cents écrivains francophones, leur offrant aussi l’accompagnement de dramaturges et metteurs en scène chevronnés…
Cette manifestation printanière est l’occasion pour le directeur du festival, Hassane Kassi Kouaté, de faire valoir ces activités peu visibles mais, pour lui, essentielles : «Qui va faire aujourd’hui sortir les Hakim Bah, Aristide Tarnagda, Dieudonné Niangouna… sinon nous ? Je veux rester sur ce créneau et les autrices ont été notre priorité. Les voilà plus nombreuses à Limoges, aujourd’hui. »
Des écritures à la scène
Ceux qui ont le goût de la découverte retrouveront, et c’est heureux, certaines œuvres entendues en lecture, sous forme de spectacles à l’automne. Quelques-unes sont déjà programmées. En 2024 : À cœur ouvert d’Éric Delphin Kwégoué (Cameroun), Je suis Blanc et je vous merde de Soeuf Elbadawi (Les Comores). Et en 2025 : Bois Diable d’Alexandra Guénin (Guyane / République du Congo) Fadhila d’Aristide Tarnagda (Burkina Faso), La Naissance du Tambour de Dorcy Rugamba (Rwanda) et Josué Mugisha (Burundi)
Parmi les onze auteurs et autrices figuraient les lauréats des Prix partenaires des Francophonies RFI : Éric Delphin Kwégoue ; SACD : Pamela Ghislain ; l’association Etc.-Caraïbes : Mélissa Mambo Bangala. Un impromptu littéraire les a tous rassemblés sur scène, pour présenter un court texte, écrit sur commande, à partir d’une lettre de l’alphabet. Un avant-goût de la langue de chacun et des thèmes qui leur sont chers.
D’un combat l’autre, haut les cœurs dans l’adversité
Fadhila d’Aristide Tarnagda (Burkina Faso) dresse le portrait de deux mères courage. Elles ont tout perdu. L’une attend en vain des nouvelles de son enfant disparu sur les chemins de l’exil. L’autre ne reverra plus son mari, parti en Europe, ni ses deux fils avalés par la guerre civile. Elles conversent avec leurs fantômes... D’une grandeur tragique, elles restent dignes dans leur douleur, jusqu’à, pour l’une, s’arracher les yeux pour ne plus voir l’horreur qui la frappe, pour l’autre, tuer son fils pour qu’il ne prenne pas les armes. Dans une langue magistrale, l’auteur, metteur en scène et comédien, restitue la parole de nombreuses personnes femmes et enfants qui ont fui le terrorisme. Fadhila est né de la barbarie qui ravage le Burkina Faso, son pays, « de la nécessité de transcender l’horreur en faisant récit de ce qui nous est arrivé. Rendre intelligible cette tragédie par la figure des femmes ». Servi par deux grandes comédiennes, Safoura Kaboré et Yaya Mbilé Bitang, et mis en lecture par l’auteur, ce fut un des grands moments du festival. Le spectacle verra le jour, réalisé par l’auteur, dans cette même distribution.
Lune de Pamela Gishlain (Belgique), deuxième volet d’une Trilogie du Cri raconte l’acte héroïque de Lune Bogaert. La jeune femme porte plainte contre l’État belge « pour inaction envers l’égalité homme femme ». Une question de principe plutôt que personnelle. Seule contre l’appareil patriarcal, elle trouve le soutien d’un courageux avocat et d’une employée au greffe du tribunal. La radicalité de la rebelle, qui y laissera sa peau, déteint sur la vie de ces deux personnages qui vont se remettre en question. « J’avais envie de parler des luttes sans expliquer le féminisme, confie l’autrice. » Sa plume acérée et caustique fait entendre une cause qui n’est pas gagnée d’avance.
Wilé ! de Nadale Fidine (Cameroun) est un chant de résistance contre la fatalité : Maygira ne reverra jamais son fils, enlevé et massacré par des terroristes – à l’instar de nombreux enfants au Cameroun. En dépit de la résignation de son entourage, elle entraîne les femmes du village à clamer leur indignation : que leurs mélopées s’élèvent pour demander des comptes... L’autrice, enseignante dans le nord du Cameroun, témoin de ces crimes, veut faire entendre la voix des victimes.
Je suis blanc et je vous merde de Soeuf Elbadawi (Comores) nous transporte au pays de l’auteur. À Moroni, Gaucel, un blanc, se fait cueillir dans une boîte de nuit par les forces de l’ordre. On l’accuse d’être un espion à la botte de la France. L’enquête s’enlise dans une paranoïa réciproque autour d’un improbable coup d’État. Mais qui peut dire qui, du blanc ou des noirs, est derrière cette trouble affaire entre la France et Les Comores ?... De son métier de journaliste l’auteur a gardé le goût de l’enquête et « essaye de remembrer quelques chose de brisé ». Dans cette pièce en forme de puzzle, il veut « ouvrir la marmite coloniale d’où il ne sort qu’un fumet » et « et faire récit avec les non dits. » On aura le fin mot de l’histoire cet automne.
À cœur ouvert d’Éric Delphin Kwégoué (Cameroun) part d’un fait divers : l’assassinat d’un journaliste dans le pays. La pièce, sous forme d’un thriller policier, met en scène un journaliste pourchassé et menacé de mort, car il détient des documents prouvant corruption du pouvoir en place. Sa femme et son fils sont pris en otage par des hommes cagoulés... Mais, les réseaux sociaux viennent à sa rescousse via le podcast de La Pamphlétaire du Ghetto... En lanceur d’alerte, l’auteur montre à quel point la presse d’opposition est menacée, dans son pays en proie à la guerre civile, au nord comme au sud. « C’est aussi le cas au Burkina Faso et au Mali », dit-il.
Les voix des origines
Alexandra Guénin, avec Bois Diable (Guyane – République du Congo), part dans un voyage initiatique sur les traces de ses ancêtre. Du Congo à la Guyane où les arbres lui chuchotent des histoires sans âge. L’autrice partie enfant de Guyane vit au Congo et elle retrace ici les pratiques magiques occultes qui rattachent les descendants d’esclaves africains à leur terre originelle dont ils ont été violemment séparés...
Dans Polyglottes, Émilie Monnet (France-Anichinabée) laisse parler la nature avec les mots disparus des autochtones. Franco-canadienne d’origine anichinabé (un ensemble de nations d’Amérique du Nord ayant pour même racine linguistique la langue algonquienne), elle a parcouru les deux Amériques pour les étudier. « Les arbres brûlent et les langues disparaissent. Les arbres absorbent la mémoire, les arbres sont les ancêtres. » En apprenant le nom des arbres dans la langue des premières nations du Canada, dont la sienne, elle retrouve le savoir millénaire inscrit sur leur écorce, là où le son prend naissance. De la graine au fruit, l’arbre s’invente lui-même au féminin. À pister dans la brume des temps révolus.
Animisme aussi dans l’étrange Dictionnaire de la rouille de Mélissa Mambo Bangala (France). Dans un monde post-apocalyptique, des êtres vivants mutants entre humains, végétaux et animaux, s’agitent. Face à un monstre Neznuphar. Il ne reste du langage que des bribes et onomatopées. Pour traduire cette inquiétante étrangeté, l’autrice, encore étudiante à l’ENSATT à Lyon, invente une langue originale entre créoles et français. Une première pièce prometteuse...
Les Zébrures de printemps se sont déroulées du 19 au 24 mars au CCM Jean Gagnant
7 avenue Jean Gagnant – 87000 Limoges
S Directeur Hassane Kassi Kouyaté S Responsable des activités littéraires et de la Maison des auteurs∙rices Corinne Loisel S Secrétaire de direction et assistante aux activités littéraires, résidence d’auteurs∙rices Sandrine Ghys S Secrétaire général Quentin Carrissimo-Bertola S Administrateur Guillaume Taillebourg S Coordination accueil des compagnies, administratrice de production Hanïa Jaafri S Direction technique Pierre-Henri Rubrecht S Libraire La librairie-tartinerie – Hélène Bustos
Les Francophonies - Des écritures à la scène
11 av. du Général de Gaulle, 87000 Limoges T. 05 55 10 90 10