11 Mars 2022
Imaginez un instant que la possibilité de revenir en arrière et de modifier vos choix vous soit accordée, quels chemins prendrait votre vie ? Max Frisch dresse un portrait féroce et drôle de l’ensemble du champ des possibles.
Fin de soirée dans un appartement bourgeois. Des cadavres de bouteilles encombrent la table côté cour. À jardin, un salon qui se vide. C’est la fin de la soirée. Il est deux heures du matin. Seule une femme traîne encore, son sac rouge négligemment posé près d’elle. Ce soir-là, on faisait une fête en l’honneur du professeur Kürmann. Celui-ci voudrait bien que la femme au sac rouge – elle s’appelle Antoinette Stein – s’en aille. Mais elle traîne et il est le siège de réactions contradictoires. Il voudrait la faire partir, ne pas la connaître, et pourtant il ne cesse de se trouver des raisons de se rapprocher d'elle. Bientôt une assistante, ou une scripte résume la scène. L’homme qu’on a vu – le réalisateur ou le metteur en scène, peut-être aussi un autre personnage, qu’on façonnera selon sa propre interprétation – cède la place au « vrai » Kürmann, qui n’est, après tout, qu’un personnage. Dès lors la situation ne va pas cesser de déraper…
La vie : un puzzle de choix possibles
De fil en aiguille, le spectateur perd ses repères. L’homme qui est entré pour jouer Kürmann conteste le choix qui lui a été donné de la scène. Et si au lieu de s’intéresser à Antoinette Stein, il l’avait ignorée ? Il ne se serait pas engagé dans une aventure dont il connaît déjà le dénouement. Qu’à cela ne tienne ! Le meneur de jeu va lui offrir la possibilité de rejouer sa vie, de changer ses choix. Mais pour arriver où ? « J’connais ça », dit-il chaque fois qu’une nouvelle situation se présente à lui. Peut-être en remontant plus en arrière, jusqu’à l’enfance ? Ou en changeant ce qui va suivre ? Le décor se modifie au fil des évocations et laisse apparaître d’autres lieux, et les signes d’une décrépitude qui n’est pas seulement celle de l’environnement.
Deux « héros » et une galerie de personnages
José Garcia et Isabelle Carré se livrent à ce jeu du « je dis une chose et je fais le contraire » ou « je prononce sans cesse les mêmes phrases mais mon intonation en change totalement le sens, ce qui infléchit complètement l’histoire » avec une délectation communicative. C’est un bonheur jubilatoire de voir revenir les mêmes situations, de les écouter prononcer les mêmes mots, mais avec un sens chaque fois différent. Et pourtant, au fil de ces tentatives avortées, reprises, réadaptées, une histoire se dessine, des personnages la peuplent. La scripte et l’assistant deviennent les personnages annexes de chacune des situations. Amis quittant l’appartement, maîtresse du mari, femme de ménage, ils se métamorphosent au gré de l’évolution de la pièce.
La parabole du destin
La vie est-elle cette partie d’échecs qui se joue entre le sociologue Kürmann et Antoinette au moment où se dessine leur première nuit d’amour ? un jeu de rôles ? Ont-ils la possibilité de déjouer leur destin commun ? Sous la conduite du Meneur de jeu démiurge qui place chaque fois les personnages en face de leurs responsabilités, change les règles du jeu en introduisant un élément nouveau, une situation possible, l’histoire s’achemine néanmoins, sans y toucher, vers une amorce de récit : une biographie. Mais sans cesse à cheval entre réel et imaginaire, franchissant sans transition la ligne invisible qui sépare une situation du quotidien du jeu auquel elle donne lieu, elle brouille les cartes. Le spectateur chemine en équilibre instable sur cette frange étroite qui, au travers des personnages, l’interroge, lui. Car dans ce jeu qui n’en est pas un tout en s’affirmant comme tel, c’est nous qu’il interroge. Quelle est notre part de responsabilité dans notre devenir ? Avons-nous une marge de manœuvre nous permettant de faire autrement ? Quel pouvoir avons-nous de changer notre destin ? La question, d’importance, justifie, en plus du plaisir de ce théâtre pur qui joue avec ses codes, la fascination de Frédéric Bélier-Garcia à son endroit. Et le fait qu’après plus de vingt ans d’intervalle, il est revenu à la pièce de Max Frisch…
Biographie : un jeu S Texte Max Frisch S Traduction Bernard Lortholary
S Mise en scène Frédéric Bélier-Garcia S Avec José Garcia (Kürmann), Isabelle Carré (Antoinette) Jérôme Kircher (Le Meneur de jeu), Ana Blagogević (L’assistante) Ferdinand Régent-Chappey (L’assistant) S Décors Alban Ho Van S Lumière Dominique Bruguière S Costumes Marie La Rocca S Collaboration artistique Caroline Gonce S Production Compagnie Ariétis 2, Arnaud Bertrand — 984 Productions S Coproduction Théâtre du Rond-Point S La pièce Biographie : un jeu est publiée et représentée par L’ARCHE – Éditeur & agence théâtrale. www.arche-editeur.com S Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National
Théâtre du Rond-Point – 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris
8 mars – 3 avril 2022, 21h, les dimanches 15h — relâche les lundis et le 10 mars
Réservations 01 44 95 98 21 - www.theatredurondpoint.fr - www.fnac.com
TOURNÉE
3 — 7 mai 2022 Marseille (13)
11 — 14 mai 2022 Théâtre de Nice (06)